La survie de Postes Canada en jeu

2014/06/12 | Par Maude Messier

Après Lorraine, Rosemère et Bois-des-Filion, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) apprenait la semaine dernière l’emplacement des nouvelles boîtes postales communautaires qui seront installées à Repentigny et à Charlemagne.

À ce jour, 11 municipalités canadiennes, dont 5 au Québec, sont touchées par la fin de la livraison du courrier à domicile en zone urbaine, selon le plan de retour à la rentabilité annoncé par Postes Canada en décembre dernier.

Le Nouveau Parti démocratique tient actuellement une tournée d’assemblées publiques. 26 circonscriptions québécoises seront visitées d’ici l’automne prochain et des circonscriptions ontariennes pourraient aussi s’ajouter au programme, selon Alexandre Boulerice, député de Rosemont-La Petite-Patrie et critique de l’Opposition officielle dans le dossier de Postes Canada.

« L’objectif est de rejoindre un maximum de gens, d’échanger de l’information et de déboulonner des mythes sur Postes Canada, explique-t-il, en entretien avec l’aut’journal. Par exemple, une grande part des gens rencontrés croient que Postes Canada est financé à même leurs taxes et impôts. »

« On insiste aussi sur les alternatives de financement pour Postes Canada et la diversification des services qui permettrait de hausser les revenus et de maintenir la livraison du courrier à domicile, comme le déploiement de services bancaires. On explique ce qui se fait déjà en Italie, au Japon et en Nouvelle-Zélande par exemple. » Une avenue mise de l’avant tant par le STTP, le Centre canadien de politiques alternatives et l’Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS).

Le député Boulerice et le STTP avancent que près de 900 000 Canadiens n’ont actuellement pas de comptes bancaires. « Parce qu’il n’y a pas de banques là où ils vivent, parce que les caisses populaires ont fermé. Avec ses installations bien réparties sur tout le territoire, Postes Canada pourrait offrir toute une gamme de services bancaires, à bien meilleurs coûts que les banques, qui prennent jusqu’à 8% en commission. D’ailleurs, on oublie que jusqu’en 1968, Postes Canada offrait de tels services. »

Si le NPD entend mettre toute la pression possible et continuer le travail d’information auprès de la population, il n’en demeure pas moins que l’objectif ultime, ce sont les élections fédérales d’octobre 2015. « Si les gens veulent sauver Postes Canada, il faut débarquer les conservateurs. C’est aussi simple que ça. »

« Les élections, c’est notre survie, affirme le président de la section locale de Montréal du STTP, Alain Duguay. Ça doit être un enjeu électoral. Les Conservateurs n’ont pas de mandat pour démanteler le service postal de la sorte. » Le bon côté des choses, selon les deux hommes, c’est qu’il s’agit d’un dossier rassembleur.

Le NPD est un précieux allié du STTP dans la lutte que mène le syndicat contre les orientations de Postes Canada. Lutte qui leur vaut d’ailleurs un nombre grandissant d’appuis. « Les portes nous sont ouvertes partout. On est invités à s’adresser à de nombreux groupes, comme dans les assemblées publiques organisées par le NPD, ou encore des conseils régionaux de la FTQ et plus tard cet automne, des conseils centraux de la CSN. Nous avons un accès direct à la population. C’est précieux », d’expliquer Alain Robitaille, coordonnateur de campagnes au STTP, section locale de Montréal.

Même si la Ville de Montréal n’est pas directement touchée pour l’instant par la fin de la livraison à domicile, la section locale de Montréal du STTP suit de près de ce qui se passe sur la couronne nord. Le Syndicat est présent sur le terrain, distribuant des cartes postales informatives et faisant du porte à porte dans les secteurs visés.

« On consulte les gens et on discute avec eux. Ils sont inquiets et souvent fâchés. Dans les municipalités où des boîtes communautaires sont implantées et prévues dès le départ dans les quartiers, c’est une chose. Mais on regarde actuellement si la fin de la livraison à domicile n’aurait pas un impact sur la valeur des propriétés. Sans compter l’achalandage autour des boîtes qui peut entrainer une perte de jouissance pour les résidents à proximité, les déchets, le vandalisme », explique Alain Robitaille.

Pour le STTP, cette lutte ne concerne toutefois pas uniquement la livraison à domicile, mais bien la survie de Postes Canada. C’est la raison pour laquelle ils déploient autant d’énergie à informer la population, notamment sur les possibilités de développement de l’offre de services, bancaires et de livraison de colis, pour assurer la rentabilité de l’entreprise et assurer le service public de livraison du courrier.

« Avec les ratées du système informatique et la faille de sécurité à l’Agence du revenu du Canada, il est évident que la poste est essentielle et demeure un outils de communication sécuritaire », fait valoir Alain Duguay.

Pour le STTP, il ne fait aucun doute que les orientations de Postes Canada pavent la voie à une diminution des services et à la privatisation du service postal canadien, comme ailleurs dans le monde, notamment en Grande-Bretagne.

« D’ailleurs, on ne comprend pas, dans un contexte de baisse constante de la lettre poste, que Postes Canada ait choisi d’investir, dans le cadre de sa fameuse transformation postale au coût de 2,3 milliards de dollars, en priorité dans le tri séquentiel des lettres. Pourquoi faire passer les colis en deuxième étape? », s’interroge Alain Robitaille.

Il indique que le salaire d’entrée est d’environ 22 $ de l’heure pour les employés de compagnies privées de livraison de colis, qui doivent faire quelque 60 arrêts par jour. Chez Postes Canada, le nouveau salaire d’entrée depuis la dernière « négociation » est de 19,38 $ de l’heure. Les facteurs font quotidiennement une quarantaine d’arrêts pour les colis et effectue la livraison du courrier à plus de 1 200 adresses.

Les conditions de travail sont problématiques à un point tel que c’est maintenant la qualité de la livraison qui en pâtit, selon le syndicat. Selon leurs données, en 2013, sur 240 nouveaux travailleurs, seuls 40 sont restés en poste.

« Le taux de roulement est de plus de 50%, ça coûte une fortune en formation de la main-d’œuvre. Le surtemps est désormais obligatoire, faute de personnel. Quand une route est laissée en pan, il n’y a juste pas de livraison à ces adresses ce jour-là. »

Au cours de l’été, le STTP sera présent dans les différents festivals pour distribuer de l’information.

Si pour l’instant seulement 5 municipalités du Québec sont touchées, Alain Duguay indique avoir des craintes pour l’Ouest de l’île de Montréal (Dorval et Pierrefonds notamment), ainsi qu’à Brossard, La Prairie et Anjou. « Les réorganisations qui y étaient prévues ont été annulées. C’est un signe. Je ne serais pas surpris d’avoir une annonce sous peu. »

Pour Alain Robitaille, un des éléments centraux de campagne d’information, c’est de contrer la « désinformation » de Postes Canada. « Les gens ne sont pas dupes. »

Il prend pour exemple le cas de l’étude publiée par le Conference Board du Canada il y a un an qui projette un déficit d’un milliard de dollars chez Postes Canada en 2020. Pourtant, les états financiers de Postes Canada faisaient états de profits de 98 millions de dollars pour cette même année.

Réponse de la porte-parole de Postes Canada : l’étude se basait sur une projection annuelle à partir des chiffres des neufs premiers mois, évacuant le dernier trimestre de l’année, qui correspond à la période des fêtes et donc, à la périodes la plus forte de l’année!

Si le syndicat reconnaît que Postes Canada doit effectuer un virage pour maintenir ses activités viables, ils refuse l’« austérité postale », soutient que des avenues sont possibles et que les coupures de services ne sont qu’une solution à court terme qui ne règlent en rien les problèmes de baisses de revenus.