Les Artistes pour la Paix et le conflit au Moyen-Orient

2014/07/23 | Par Les Artistes de la Paix

Monsieur le premier ministre,


Nous considérons l’appui de votre gouvernement et celui des grandes banques et entreprises canadiennes à la politique agressive de M. Netanyahu en contradiction totale avec l’appel à la cessation des hostilités lancé par le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, et donc ultimement à la paix au Moyen-Orient, que les Artistes pour la Paix souhaitent de tous leurs vœux.

Malgré la vive compassion éprouvée, notre charte nous interdit de prendre fait et cause pour un belligérant lors d’un conflit, qu’il soit minorité alaouite en Syrie, russophone en Ukraine ou Gazaoui écrasé par la répression brutale de Tsahal.

Nous avons refusé de participer aux manifestations appelées par les Palestiniens et alliés, parce que leurs organisateurs ne condamnaient pas les salves de roquettes Qassam du Hamas. Or, le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme est formel : s’il statue d’une part qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression, il précise d’autre part qu’une révolte justifiée ne doit pas inclure l’action armée indiscriminée contre des civils, ce que fait le terrorisme aveugle des Qassam. Les Artistes pour la Paix sont irréductiblement pour la paix, pas seulement pour les Palestiniens, mais aussi en faveur des Israéliens!

Ces derniers souffrent surtout en raison de l’insensibilité persistante, face à la réalité historique infâmante des Palestiniens, de leurs gouvernements, à l’exception du regretté Itzakh Rabin, assassiné par un zélote juif.

En 2012, le rapporteur spécial de l’ONU Richard Falk dénonçait l’attaque frontale des gouvernements de droite expansionnistes israéliens : «Toutes les colonies de peuplement en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, ont été établies en violation flagrante du droit international.

Pourtant, aujourd'hui, elles contrôlent plus de 40% de la Cisjordanie, tandis qu'entre 500.000 et 600.000 colons vivent dans le territoire palestinien occupé. Au cours des 12 derniers mois, leur nombre s'est accru de plus de 15.000 personnes. » En conséquence, M. Falk préconisait le boycott des compagnies faisant affaire avec les colonies israéliennes :

http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=29260#.U8lFE41_trU


De concert avec l’Église Presbytérienne et avec le tout récent appel d’Avaaz.org, les Artistes pour la Paix dénoncent banques et entreprises qui investissent chez les fabricants d’armes israéliens, par exemple Caterpillar et Hewlett-Packard. Nous adhérons donc au mouvement et en particulier à la lettre demandant que l’ONU et les gouvernements imposent un embargo militaire sur Israël (l’embargo envers le Hamas étant effectif vu son inscription sur une liste noire). Cette lettre est signée par six lauréats de Prix Nobel pour la Paix, l’archevêque Desmond Tutu, Adolfo Peres Esquivel, Jody Williams, Mairead Maguire, Rigoberta Menchú and Betty Williams, ainsi que par des signataires tels que Noam Chomsky et Roger Waters (Pink Floyd).

Nous appelons les artistes fortunés à imiter le geste magnifique de fraternité de l’équipe de soccer algérienne qui aurait versé sa prime du Mondial à leurs frères et sœurs de la Bande de Gaza. On peut envoyer des dons à la docteure Mona El-Farra, Gaza Project Director, actuellement sous les bombes [meca@mecaforpeace.org].

En conclusion, monsieur le premier ministre, comme les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux, vous cautionnez, en ne mettant pas le poids politique du Canada derrière le respect des résolutions de l’ONU, l’injustice, la confiscation des terres par l’érection du Mur (voir le cas de Bil’In) et les expéditions guerrières de Tsahal en 2006 au Liban puis en 2008-9 et l’actuelle qui vient de causer la mort d’une soixantaine d’enfants innocents.

Sans compter que votre militarisme nourrit hélas, par son intransigeance et son exemple néfaste, l’extrémisme grandissant du Hamas, de l’Armée islamiste (AIIL) qui met à feu et à sang l’Irak et la Syrie et celui des Frères musulmans persécutés par l’armée égyptienne (que vous encouragez par ailleurs). Ne croyant plus à la justice planétaire, les extrémistes ne puisent-ils pas, dans une religiosité intégriste passéiste, le recours à leur violence rigoriste désespérée ?

Nous vous prions donc de reconsidérer votre politique à la lumière des derniers événements et, votre patience aidant, à celle de notre dernier article inspiré par un appel de M. Jooned Khan reproduit ci-dessous.

Veuillez accepter l’expression de nos sentiments distingués,

Pierre Jasmin
Vice-président des Artistes pour la Paix,
Avec l’accord de la présidente Guylaine Maroist et du conseil d’administration

cc Thomas Mulcair, chef de l’Opposition
Justin Trudeau, chef du Parti Libéral
Elizabeth May, chef du Parti Vert
Divers médias


***


Il est temps que le Canada honore ses obligations envers la Palestine

Par Jooned Khan, ex-journaliste à La Presse


Il y a 10 ans aujourd’hui, la Cour internationale de justice (CIJ) statuait que le Mur de séparation géant qui ceinture et charcute les Territoires palestiniens est illégal.

Saisi par l’Assemblée générale des Nations unies, le bras juridique de l’ONU émettait en effet, le 9 juillet 2004, un Avis consultatif déclarant que « la construction du Mur (par Israël, puissance occupante), et le régime qui lui est associé (imposé auX Palestiniens), sont contraires au droit international ».

L’Avis de la CIJ estimait qu’ « Israël ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense ou de l'état de nécessité, pour se soustraire à l'illicéité de la construction du Mur ».

La CIJ réclamait que le Mur soit démantelé, que les résidants soient compensés pour dommages subis, et que les États membres de l’ONU, dont le Canada, prennent les mesures nécessaires pour qu’Israël se conforme à la 4e Convention de Genève (GCIV) – dont le Canada est signataire.

 

À l’ombre du Mur, main basse sur terres et ressources

Le Mur israélien ne suit pas la Ligne verte qui le sépare de la Cisjordanie. Il s’enfonce en Territoire palestinien, protégeant les colonies de peuplement juives illégales, expropriant des terres arabes et des réserves d’eau vitales pour les Palestiniens, et isolant plusieurs de leurs villes et villages.

Cet important anniversaire met en lumière deux positions contraires face au conflit Israël/Palestine. Le gouvernement Harper et Israël prônent l’annexion de toujours plus de Territoires palestiniens, tout en maintenant une occupation et un état de siège débilitants. À l’opposé, l’ONU, la société civile mondiale, et de plus en plus d’États. s’emploient à rechercher la fin de l’occupation et le rétablissement des droits humains des Palestiniens par des voies diplomatiques et pacifiques.

Il incombe à Israël, puissance occupante, de mettre fin aux conditions qui alimentent ce violent conflit – dont les plus récentes victimes ont été des ados israéliens et palestiniens brutalement assassinés.

La GCIV a trait à la protection des civils en temps de guerre. Elle impose aussi aux puissances occupantes des obligations précises quant au transfert de populations, à l’éducation des enfants, à la destruction des propriétés, et aux services médicaux (Articles 47 à 78). Ainsi, l’article 49 affirme qu’une puissance occupante ne peut déporter de force des personnes protégées, ni déporter ou transférer des parties de sa propre population civile vers un Territoire occupé.

En d’autres mots, Israël viole la Convention de Genève en construisant des colonies juives à l’intérieur de la Cisjordanie palestinienne, et en utilisant ensuite le Mur de séparation pour annexer les terres des colonies et pour les intégrer à son propre territoire.

 

L’Avis de la CIJ et la Campagne BDS globale

À l’occasion du 1er anniversaire de l’Avis consultatif de la CIJ, le 9 juillet 2005, près de 200 organisations de la société civile palestinienne ont lancé une campagne globale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour amener pacifiquement Israël à assumer ses obligations en vertu du droit international.

La Campagne BDS demande à Israël de mettre un terme à l’occupation et à la colonisation de toute terre arabe, de démanteler son Mur de séparation, de reconnaître les droits fondamentaux des Arabes Palestiniens d’Israël à l’égalité citoyenne pleine et entière, et de respecter les droits des réfugiés palestiniens de retourner dans leurs demeures et de reprendre possession de leurs propriétés selon les termes de la résolution 194 de l’ONU.

Avec le soutien d’importantes personnalités comme Mgr Desmond Tutu, figure iconique de la résistance à l’Apartheid sud-africain, et de rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la Palestine, la Campagne BDS continue de croître et affiche l’ampleur d’un dynamique mouvement global qui relie des étudiants, des syndicats, des Églises, des organisations de droits humains, et même des États, du monde entier.

De nombreux syndicats canadiens et québécois, comme le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP/ CUPW), la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), des organisations comme la Fédération des femmes du Québec (FFQ), et des partis comme Québec Solidaire (QS), et bien d’autres encore, soutiennent activement la Campagne BDS.


Engagement croissant des syndicats et des Églises

L’Église unie du Canada a approuvé en 2012 un boycott limité de produits israéliens en provenance des Territoires occupés. En mai dernier, la CSN, forte de 300.000 membres, a résolu d’œuvrer de concert avec des syndicats d’Europe, d’Amérique latine, du Moyen-Orient, pour exercer des pressions susceptibles d’amener Israël à se soumettre au droit international et à respecter les centaines de résolutions de l’ONU qui sous-tendent le droit international en ce qui concerne la Palestine.

Le BDS cible les relations d’affaires, la coopération militaire et sécuritaire, et les échanges culturels et académiques avec Israël. La revue The Economist rapportait début 2014 que le BDS « est en train de devenir dominant comme fait de société » avec « le retrait d’investissements de certains fonds de pension européens », et « l’annulation de contrats par certaines grandes sociétés ».

Il y a quelques semaines à peine, l’Église presbytérienne des Etats-Unis a voté pour retirer ses investissements de Hewlett-Packard, Motorola Solutions et Caterpillar – en se fondant sur leur passé de complicité dans l’oppression et le déni des droits humains des Palestiniens.

Réunie à Liverpool la semaine dernière, Unite, la plus grande centrale syndicale du Royaume-Uni (1,4 million de membres dans tous les secteurs d’activités), a décidé d’adhérer à la Campagne BDS. Le congrès a condamné « la persécution » et « le nettoyage ethnique » exercés par Israël à l’encontre du peuple palestinien, « la torture des enfants » et « les lois racistes » dirigées contre les Palestiniens citoyens d’Israël.

La directive de la CIJ aux États membres de l’ONU d’amener Israël à se conformer à la Convention de Genève, ainsi que la pression croissante de la société civile globale en ce sens, ont fini par pousser des gouvernements à accroître eux aussi la pression.


Les USA et l’UE s’impatientent – Et le Canada ?

Comme il continue de construire de nouvelles colonies de peuplement juif en Cisjordanie occupée, même les USA et l’UE critiquent Israël de plus en plus ouvertement. L’UE tente de renverser la vapeur en intensifiant la pression : l’Espagne et l’Italie viennent de se joindre à la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne pour conseiller à leurs citoyens de ne pas investir dans les colonies israéliennes.

S’alignant sur l’ONU, l’UE considère comme illégales les colonies israéliennes établies sur les Territoires occupés. L’Espagne a déclaré que les colonies « constituent un obstacle à la paix » et entravent les efforts pour résoudre le conflit Israélo-palestinien via une solution de deux États.

Le Canada et le Québec ont été à l’avant-garde du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions contre l’Apartheid sud-africain. Il est aujourd’hui temps pour le gouvernement du Canada de se joindre à la Campagne BDS et à mettre tous les moyens et toute son influence au service de l’appel vieux de 10 ans de la CIJ pour que soit démantelé le Mur israélien et que soient restaurés les droits humains des Palestiniens. Le Canada se doit enfin d’œuvrer de plain-pied à la recherche d’un règlement diplomatique à ce conflit israélo-palestinien qui ne cesse de pourrir depuis 66 ans.