Paix sociale ou militarisme

2014/08/25 | Par Pierre Jasmin

« On a violé l’hôtel de ville. On a violé la démocratie », a clamé grossièrement le maire Coderre en qualifiant les actes commis lundi soir d’« agression armée ». Les journaux Gesca ont jeté l’huile sur le feu avec de gros titres terroristes en leur une : La Presse L’hôtel de ville assiégé et la Tribune Saccage à Montréal. Force est de constater que le sens de la mesure a déserté ces médias, faute de rendre compte des réalités quotidiennes à Gaza, en Irak, en Syrie et en Ukraine trop rarement montrées à la une pour que l’inénarrable Régis Labeaume sache distinguer les unes des autres…

Lors du Printemps érable, les Artistes pour la Paix étaient descendus dans la rue en solidarité avec les étudiants menacés d’augmentations de 80% de leurs frais de scolarité dont les manifs rivalisaient d’imagination artistique. En fut un exemple L’École de la Montagne Rouge de l’École de design de l’UQAM, inspirée par mai 68 mis en valeur par le regretté professeur Frédéric Metz dans son livre intitulé Design. Madame la ministre libérale Christine Saint-Pierre avait alors accusé les étudiants et même des artistes comme Fred Pellerin de faire le jeu de l’anarchie et de la violence. Il y avait certes eu des gestes désespérés de violence de la part de certains membres de la CLASSE : bombes lacrymogènes dans le métro, grabuge et graffiti à l’intérieur d’universités ou CEGEPs. Aujourd’hui, des syndiqués mal avisés utilisent feux de poubelles, bombes fumigènes et lancers de paperasses et de verres d’eau au Conseil municipal de Montréal.


Syndiqués s’en prenant le 18 août à des emblèmes municipaux de l’Hôtel-de-Ville de Montréal devant des policiers moins équipés qu’au printemps 2012 (photo Le Devoir)


Comme nous l’avions fait à l’égard des étudiants en 2012, nous exhortons les syndiqués à recourir plutôt, à l’instar de Marc Ranger porte-parole de la Coalition syndicale pour une libre négociation, à leurs arguments logiques imparables : est-il acceptable que les ententes négociées hier, par des syndiqués ayant sciemment adhéré à la fonction publique plutôt que de rechercher des avantages dans le privé, soient bafouées RÉTROSPECTIVEMENT PAR LA LOI 3? Leur colère de voir leurs salaires et fonds de pension coupés de 7000$ annuellement pour certains d’entre eux doit se diriger non contre le bien public mais contre l’élite néo-libérale obnubilée par l’obsession du déficit, dénoncée en son livre La crise financière et monétaire mondiale par le professeur en économie à la retraite Louis Gill.

Les Artistes pour la Paix recommandent aux fonctionnaires cadres du Québec, à tous les niveaux, tant fédéral que provincial, tant municipaux qu’universitaires ou hospitaliers, d’arrêter de se livrer complaisamment à des coupures de services (postes ou Radio-Canada, par exemple). Le mot complaisant est mal choisi, puisqu’on connaît tous de valeureux chefs de services faire des cauchemars devant l’ampleur des sacrifices qu’on leur impose.

QUI IMPOSE CES SACRIFICES? Nos cadres sont coincés par des restrictions budgétaires dont l’iniquité émane d’Ottawa, de Stephen Harper et de son néo-militarisme conservateur. Il est impératif qu’un réveil démocratique survienne dès les prochaines élections fédérales en 2015 et rassemble « tous ceux et celles qui n’ont RIEN VOLÉ » :

  • Contre les malhonnêtetés sénatoriales, réclamons avec le NPD l’abolition de cette instance anachronique et onéreuse, héritée d’un passé révolu.

  • Contre les gaspillages d’une ex-lieutenant-gouverneure, réclamons avec le Bloc l’abolition de tous les représentants canadiens de la reine d’Angleterre.

  • Contre les salaires des patrons, rappelons les chiffres inacceptables révélés pour l’année 2012 : ils sont maintenant en moyenne 143 fois supérieurs à ceux de leurs employés dont la rémunération augmente moins vite que l’inflation (chiffres de Londres, sans doute moins scandaleux que ceux d’Amérique du Nord). Et c’est sans compter les magouilles occultes dénoncées par la Commission Charbonneau!

  • Contre nos F-18 envoyés il y a trois mois en Roumanie coûtant chacun 100 000$ de l’heure, réclamons avec ceasefire.ca leur rappel immédiat en sol canadien.

  • Contre les F-35, rappelons leurs coûts projetés, selon les calculs du professeur Michael Byers de l’Université de Colombie Britannique, entre 56 et 126 milliards de $, alors qu’ils sont des avions d’attaque furtifs et inefficaces : la preuve en est que les USA ne les ont même pas utilisés dans leur défense de l’Irak et du Kurdistan contre l’Armée Islamiste. Ces F-35 sont fabriqués, tout comme les drones qu’Ottawa prévoit acheter et les bombes nucléaires qui coûtent 50 milliards par année aux USA, par Lockheed Martin et Northrop Grumman, financés complaisamment par des institutions canadiennes telles que Sun Life Financial et Power Corporation, comme le révèle l’institut international basé à Londres www.International Campaign to Abolish Nuclear Weapons.org.

  • Contre le projet de bouclier anti-missile qui vient d’être ressuscité par le Sénat majoritairement conservateur (alors qu’il avait été défait par les Mémés déchaînées, les Artistes pour la Paix et d’autres groupes pacifistes en 2004 intercédant auprès du premier ministre Paul Martin), son moindre essai coûte des centaines de millions de $ et échoue encore lamentablement à intercepter un engin dont on connaît la minute et le lieu de lancement!! C’est une information de l’expert américain, l’Honorable Philip E. Coyle, senior Science Fellow (Centre for Arms’ Control and Non-Proliferation), que nous avons consulté lors de la rencontre du 13 mai 2014 à Ottawa du Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires. À un vrai missile qui serait accompagné de dizaines de leurres, un bouclier « efficace » devrait être prêt à opposer des dizaines d’anti-missiles au coût de plusieurs milliards de $, bref une manne pour le complexe militaro-industriel. Pourquoi diable ce projet insensé est-il relancé ? C’est qu’il profite de la terminologie du bouclier vu comme une « défense », alors qu’il ne fait que relancer la course aux armements et l’hostilité des Chinois dont les avancées en technologie spatiale profitent de pas mal plus de $ que nous aurions à y consacrer.

Cette liste étant non exhaustive, on consultera dans le programme du Parti Vert et sur http://artistespourlapaix.org/?p=5542 une liste d’enjeux environnementaux bafoués par Harper et Couillard au détriment de la santé et de la sécurité de la population : on n’a qu’à penser à l’Arctique militarisé et au plan Nord insensible aux autochtones (chanson non démodée de Samian). Nos élites conservatrices et libérales se sont hissées au pouvoir avec environ 25% des votes totaux. On nous pardonnera la comparaison boiteuse avec le Missouri où Garde Nationale et militarisation de la police ne sont pas les réponses démocratiques attendues par les Noirs de Ferguson qui forment 67% de la population, alors que 1 sur 6 de leurs élus municipaux et 5% de leurs policiers sont de leur race.

Chez nous, malgré l’alignement servile des médias derrière une répression antisyndicale, une résistance démocratique est possible et souhaitable. Car le scandale de la centaine de milliards de $ envisagée pour des F-35 frappe l’imagination populaire par son contraste avec les discours des économistes de droite sur la pauvreté de notre société, réclamant continuellement la réduction de nos dépenses sociales plutôt que celle de nos dépenses militaires! Sans compter les milliards de $ que nos élites cachent dans des paradis fiscaux : selon le Réseau pour la justice fiscale, en 2012 seulement, 155 milliards de dollars se soustrayant à l’impôt canadien dans des abris fiscaux auraient pu rapporter 23,25 milliards$ au fisc canadien s’ils avaient pu être taxés, soit l’équivalent de ce que réclament les provinces au gouvernement fédéral pour financer la santé et l’éducation.

En conclusion, les manifestations étudiantes auxquelles s’était jointe une avant-garde artistique avaient combattu les hiérarchisations abusives en 1968 et même en 2012, ouvrant la porte à une nouvelle conscience globale solidaire. Contre l’aveuglement volontaire ou manipulateur des élites, il existe aujourd’hui des solutions démocratiques en vue d’une vraie paix sociale : nos policiers et pompiers, ainsi que tous les syndiqués de la Coalition pour une libre négociation, méritent d’être écoutés plutôt que vilipendés. Et nous gardons confiance qu’animés par un souci d’équité intergénérationnelle, ils négocieront, non pas en vue de leurs seuls intérêts corporatistes, mais aussi pour ouvrir les yeux à toute la société et dans l’intérêt des non-syndiqués et retraités qui n’ont ou n’auront pour vivre qu’une maigre retraite gouvernementale.