Retraites : une expropriation sans compensation

2014/08/25 | Par Maude Messier

Un pacte financier avec les municipalités. C’est ça le véritable objectif du projet de loi 3 déposé par le gouvernement libéral, selon Michel Lizée, économiste récemment retraité de l’UQAM.

La pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal et l’équité intergénérationnelle servent, à son avis, de prétextes pour réduire la masse salariale des employés municipaux. Si tels étaient vraiment les objectifs, le gouvernement pourrait envisager d’autres pistes de solutions, ce qu’il ne semble absolument pas enclin à faire, explique M. Lizée.

Le projet de loi 3 prévoit des mesures de restructuration s’appliquant mur à mur à l’ensemble des régimes municipaux, incluant les quelque 55 % qui sont pourtant en bonne santé financière parce que capitalisés à au moins 85 %.

« Ce ne sont pas tous les régimes qui sont en difficulté, alors pourquoi restructurer un régime en bonne santé financière? Québec n'a pas besoin de faire du mur à mur et doit se méfier des solutions populistes et dogmatiques », a déclaré plus tôt cette semaine le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux, ajoutant que le projet de loi 3 « est inéquitable, sans nuance et profondément injuste, puisque ce ne sont pas tous les régimes de retraite qui sont identiques et en difficulté financière. »

Toutes les organisations syndicales dénoncent le fait que le gouvernement s'immisce dans les relations de travail et modifie unilatéralement des ententes signées de bonne foi entre les parties.

« L'inclusion d'un plafond sur la valeur des régimes de retraite équivaut à agir après coup, pour obtenir, par la force, une réduction de la rémunération des employés municipaux », a dénoncé la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque.

Entre la réaction épidermique des organisations syndicales, l’intransigeance du gouvernement et les commentateurs qui clament que le projet de loi 3 amènera la contribution des employés municipaux à leurs régimes de retraite à « leur juste part », les fossés du terrain d’une guerre de tranchées se creusent.

Une situation attribuable à l’absence de discussions et d’analyses sur le fonds du sujet dans les médias, selon Michel Lizée. « Que dit le projet de loi 3? Personne n’en parle vraiment. On parle du partage 50-50, mais qu’est-ce que ça veut dire au fond? Ce projet de loi va beaucoup plus loin. »

En plus du partage des coûts du service courant et des déficits futurs à 50-50 entre les employés et les villes, Michel Lizée insiste sur le fait que le projet de loi 3 permettra aux villes de suspendre l’indexation actuellement versées aux retraités et interdira l’indexation automatique des rentes, incluant pour le service passé.

Le coût des prestations sera plafonné 16,35% de la masse salariale, plus une marge de 10% pour un fonds de stabilisation qui amènera ce maximum à 18% (un peu plus pour les policiers et les pompiers).

Michel Lizée indique aussi que, contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, la rente normale pourrait bien être touchée dans le futur puisque le projet de loi prévoit notamment qu’il sera possible de modifier le calcul du salaire sur lequel est basé la rente, le faisant par exemple passer du salaire moyen des cinq meilleures années à celui des 10 meilleures années.

Sur la question du partage des déficits passés, alors que les villes auront quinze ans pour payer leur part, déjà en partie financée par les mesures de réduction de la rémunération globale énumérées ci-haut, la part des employés (50%) devra être assumée par la réduction des prestations du régime dans l’immédiat.

Il semble évident que, si le gouvernement ne peut venir en aide aux municipalités du côté des revenus, il s’organise pour le faire du côté des dépenses, en diminuant la rémunération globale des employés municipaux via la restructuration des régimes de retraite, prétend M. Lizée.

À titre d’exemples, en vertu des modifications apportées par le projet de loi 3, un col blanc devra investir en moyenne 1 950 $ annuellement de plus dans son régime alors que la Ville économisera 1 880 $ par employé, selon les données présentées par la Ville de Montréal dans son mémoire déposé en commission parlementaire cette semaine. Pour les pompiers, la somme additionnelle se chiffre à 2 730 $, pour une économie 7 104 $ par année par pompier pour la ville.

Michel Lizée souligne que le projet de loi 79 sur la restructuration des régimes municipaux, présenté par le gouvernement du Parti Québécois, même s’il n’avait pas vraiment l’assentiment des syndicats, avait toutefois l’avantage de laisser une marge de manœuvre pour la négociation, contrairement au projet des libéraux.

Pour l’économiste, le projet de loi 3 n’est ni plus ni moins qu’une « expropriation sans compensation », un grave bris de confiance.

« Un régime de retraite, c’est un contrat sur le long terme qui repose sur la confiance. On déduit une partie du salaire et on promet que cet argent permettra d’assurer des revenus à la retraite selon des modalités prédéterminées. C’est un principe qui vaut aussi pour l’ensemble des relations de travail au Québec. Sinon, pourquoi ne pas couper unilatéralement dans les assurances ou encore dans les salaires? Il n’y a pas de fin. »

Le secrétaire général de la FTQ parle quant à lui d’un « précédant dangereux ».

Alors que l’on sait que l’épargne de la majorité des Québécois est insuffisante en vue de leur retraite, retirer l’argent déjà versé dans le bas de laine de ces travailleurs, en décrétant en plus une cure d’amincissement de leur régime pour le futur, apparaît incongru.

Michel Lizée soutient qu’en raison de différents paramètres, dont l’évolution du contexte économique, certaines mesures de restructuration des régimes s’imposent : hausser la part des cotisations des employés pour le service courant, réviser certaines clauses sur l’âge du départ à la retraite et créer un fonds de stabilisation pour prémunir les régimes contre les fluctuations des marchés boursiers au fil des ans.

Voilà qui assurera la pérennité et la stabilité à long terme des régimes et, par le fait même, l’équité intergénérationnelle.

« Nous sommes d'accord avec une restructuration obligatoire en vue de retrouver une capitalisation d'au moins 85 % à condition que ce soit lié à la survie du régime et que la réduction des droits acquis soit compensée pour la valeur des droits perdus, a indiqué la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque. Nous demandons en outre un droit de retrait pour les parties qui voudraient négocier en dehors des paramètres de la loi. »

Les contribuables ne paient-ils pas déjà trop de taxes? Doivent-ils vraiment financer les «généreux» régimes de retraite des employés municipaux? C’est un faux débat, dit Michel Lizée. Les villes n’ont pas cotisé aux régimes de retraite de leurs employés pendant les années fastes où les surplus étaient au rendez-vous et ce sont les citoyens qui, au final, en ont bénéficié.

La grande majorité des Québécois ne bénéficient pas d’un régime complémentaire de retraite. À cet argument populaire, Michel Lizée répond que la solution n’est pas de sabrer dans ces régimes, mais plutôt de bonifier le régime public, soit le Régime des rentes du Québec.

Une perspective qui permettrait d’augmenter le niveau de vie des prochaines cohortes de retraités et réduirait l’écart des revenus entre ceux qui bénéficient d’un régime privé et ceux qui n’en ont pas. Sans compter que le coût et le risque des régimes municipaux s’en trouveraient par le fait même réduits.

« Plutôt que de s'en prendre à un groupe cible, le gouvernement de Philippe Couillard servirait bien mieux la population en se préoccupant du sort de la vaste majorité de la population qui n'arrive pas à vivre une retraite décente. Pour nous, les énergies devraient d'abord et avant tout être mises à la bonification du Régime de rentes du Québec, plutôt qu'à la négation des obligations faites aux détenteurs de régimes complémentaires et dûment signées au bas des conventions collectives. Il est là, le véritable enjeu de société », d’expliquer Serge Cadieux, secrétaire général de la FTQ.