Fin du lock-out chez ArcelorMittal

2014/08/27 | Par Maude Messier

« Alors que certains croient avoir sauvé leur régime à prestations déterminées, ces régimes désormais fermés aux nouveaux employés sont en fait sous respirateur artificiel. Négo après négo, on craint de les voir fermer avec le retour à la solvabilité », soutenait Marie-Josée Naud, conseillère syndicale à la FTQ et responsable du dossier de la retraite, en entrevue avec l’aut’journal en mai dernier.

Pendant plus d’une dizaine d’années, le régime de retraite à prestations déterminées des travailleurs de l’usine de Contrecoeur-Ouest d’ArcelorMittal a été déficitaire, coûtant un peu plus de 12 $ de l’heure en moyenne à l’employeur.

À la demande patronale, les négociations pour le renouvellement de la convention collective avec le syndicat, section locale 6951 du Syndicat des Métallos, ont débuté en septembre dernier. La fermeture du régime de retraite aux nouveaux employés figurait au cœur des revendications de l’employeur.

« Compte tenu du contexte, avec la santé retrouvée du régime de retraite, on ne s’attendait pas à ça. On avait commencé les négociations en avance, il y avait des annonces d’investissements », d’expliquer le président du syndicat, Yves Rolland, joint par l’aut’journal. Au moment d’entamer les négociations, le régime de retraite était solvable à 90% et capitalisé à 94%, selon les données du syndicat.

Rappelons brièvement que dès le printemps dernier, un conflit de travail semblait se dessiner à l’usine de Contrecoeur-Ouest. Après que les travailleurs eurent rejeté les offres finales de l’employeur le 6 août à 52%, l’employeur a décrété un lock-out le jour même.

Le conflit s’est finalement résolu le 15 août, avec l’acceptation de la proposition du conciliateur du ministère du Travail dans une proportion de 84%. Plutôt que la création d’un régime de retraite à cotisations déterminées pour les nouveaux travailleurs, tel que réclamée par l’employeur, le nouveau contrat prévoit la création d’un régime de retraite à financement salarial (RRFS) pour les nouveaux travailleurs.

Dans le scénario formulé par le syndicat, les nouveaux syndiqués rejoindraient le RRFS-FTQ. Un scénario conditionnel à l’approbation du bureau de la FTQ, à défaut de quoi, un RRFS local pourrait être mis sur pied, comme c’est notamment le cas à la mine Niobec.

Dans un RRFS, la rente est garantie, la cotisation de l’employeur est fixe et le risque repose entièrement sur les participants au régime, mais il est assumé collectivement, par opposition aux régimes CD qui font reposer les risques et les coûts sur les individus.

Au Congrès de la FTQ en décembre 2013, une résolution visant à permettre aux groupes de travailleurs «orphelins» du régime PD en place dans leur milieu de travail de participer au RRFS-FTQ a soulevé beaucoup de débats. La proposition adoptée impose toutefois que l’employeur verse une cotisation équivalente à celle versée dans le régime à prestations déterminées des travailleurs actifs.

Ce sera aussi le cas pour ArcelorMittal, selon les termes de l’entente. « Mais cette équivalence vaut pour l’employeur. Du point de vue du travailleur, elle n’achète pas la même rente. Il y a donc disparité de traitement, explique Frank Beaudin, conseiller à la recherche au Syndicat des Métallos. Il faut bien comprendre que ces travailleurs subissent une disparité de traitement quand même. On peut jouer sur les mots si on veut, mais la réalité, c’est ça. Combien ça vaut se débarrasser du risque? Le RRFS est une option intéressante pour les travailleurs qui n’ont pas accès à un régime de prestations déterminées dans leur milieu. C’est un bon véhicule de retraite, mais le meilleur régime, ce sera toujours le PD déjà en place. Sinon, c’est un moindre mal. Il ne faut pas que le RRFS devienne une porte de sortie pour les employeurs qui souhaitent se débarrasser de leur régime de retraite. »

Pour le président de la section locale 6951, Yves Rolland, « dans les circonstances, c’est un contrat honorable ». Il reconnaît du même souffle que le rejet des offres patronales à seulement 52% le 6 août dernier n’assurait pas le rapport de force nécessaire au syndicat pour mener une chaude lutte pour le maintien du régime PD pour tous les travailleurs.

« L’employeur est resté campé sur ses positions. C’est une question de rapport de force. Nous avons été actifs sur le plan syndical et avons proposé plusieurs solutions dont je ne peux pas faire état ici, puisque qu’on a une entente. Mais ce que je peux vous dire, c’est qu’on n’avait pas de marge de manoeuvre et que l’employeur voulait absolument se débarrasser du risque du régime pour l’avenir. »

Pourquoi alors ne pas avoir transféré la totalité des travailleurs dans un régime RRFS, une solution qui aurait eu le mérite d’être équitable pour tous? «Je peux vous dire que ça a fait partie des discussions, mais les représentants de l’employeur n’avait pas de mandat en ce sens, seulement un mandat relatif aux nouveaux travailleurs », d’indiquer M. Rolland.

Toujours est-il qu’il existe désormais une disparité au sein des syndiqués. Cette situation risque-t-elle de porter atteinte au syndicat à long terme? « C’est certain que ce n’est pas la situation idéale », convient le dirigeant syndical.

Imaginons que, dans un avenir pas si lointain, les travailleurs participant au RRFS soient majoritaires par rapport aux «anciens» travailleurs qui participent au régime PD. La tentation ne sera-t-elle pas grande pour l’employeur de réclamer la fermeture définitive du régime PD, pénalisant de facto ceux qui y cotisent toujours ainsi que les retraités? « Oui, il y a effectivement un risque. »

« Depuis 2008, il est vrai que les employeurs ont bénéficié de mesures d’allègement, mais ils paient cher pour renflouer les régimes de retraite. Et il est clair que ça a été une expérience douloureuse, expliquait la conseillère de la FTQ, Marie-Josée Naud. Ailleurs dans le monde, pour une entreprise comme Rio Tinto par exemple, et c’est loin d’être la seule, les régimes PD, c’est fini. Alors oui, ils discutent de restructuration à court terme, mais ce qu’ils ont en tête, pour la majorité d’entre eux, c’est de trouver une autre option où ils ne seront plus exposés aux déficits des régimes de retraite. »

À son avis, les entreprises cherchent à se départir non pas directement des régimes de retraite, qui peuvent souvent constituer un élément d’attraction et de rétention de main-d’œuvre, mais bien du risque que les régimes PD représentent.

Introduire une disparité de traitement, un régime CD pour les nouveaux employés ou encore un RRFS, pourrait n’être qu’une mesure transitoire, dans le cas des régimes déficitaires particulièrement. Une fois la solvabilité retrouvée, il sera plus facile et moins couteux pour un employeur de fermer définitivement le régime PD.

« Nous sommes dans un moment charnière. Beaucoup de régimes ont retrouvé la voie de la pleine solvabilité. C’est aux prochaines négociations qu’on pourra vérifier la situation, voir si c’est amené aux tables. Mais c’est une crainte réelle. » Le cas d’ArcelorMittal s’inscrit directement dans cette perspective.

Dans la prochaine année et demie, d’autres syndicats des Métallos chez ArcelorMittal et ailleurs dans le secteur de l’acier entameront des négociations. « C’est certains qu’on se parle et que les autres syndicats anticipent maintenant que cette situation ne devienne un pattern de négociation. On a un comité de solidarité de l’acier en Montérégie et il y a actuellement de grandes discussions à ce sujet. »

En milieu syndical, les avis sont mitigés sur la question des RRFS, certains y voyant une menace à la sauvegarde des régimes PD traditionnels.

Or, la tendance des entreprises à réclamer la fermeture du régime PD aux nouveaux employés est lourde et la réalité, même si tous conviennent que le meilleur régime possible sera toujours celui à prestations déterminées déjà en place, est que de plus en plus de travailleurs se retrouveront avec un régime de retraite moins avantageux.

Dans un régime à cotisations déterminées, les risques liés aux fluctuations des marchés financiers et les coûts d’administration des régimes sont assumés individuellement. Le RRFS a l’avantage de faire porter le risque collectivement et de garantir une rente.

Oui, Un RRFS signifie la fin de la responsabilité du risque pour les employeurs, mais pas la fin des cotisations. Ils pourraient aussi signifier la fin de la mainmise patronale sur les surplus. La fin de la gouvernance patronale des régimes de retraite des travailleurs, pourtant financés par du salaire différé. Ils pourraient être une occasion d’éducation financière et d’activisme d’actionnaires pour les organisations syndicales, leur donnant un nouveau levier dans leur rôle social et économique.


Photo: Jean Doyon