Travailleurs agricoles : Sam Hamad s’inspire de l’Ontario de Mike Harris

2014/08/28 | Par Maude Messier

À peine les travailleurs agricoles viennent-ils de gagner la reconnaissance de leur droit à la syndicalisation et à la négociation collective qu’ils risquent de se faire couper l’herbe sous le pied par le ministre du Travail Sam Hamad.

Depuis le 11 mars dernier, tous les travailleurs agricoles saisonniers, qu’ils soient migrants ou québécois, pouvaient adhérer à un syndicat, peu importe la taille de l’entreprise agricole où ils travaillent. Le gouvernement péquiste avait annoncé, tout juste avant le déclenchement des élections, qu’il se conformait au jugement de la Cour supérieure rendu un an plus tôt qui invalidait l’alinéa 5 de l’article 21 du Code du travail.

L’article litigieux, datant de l’adoption du Code en 1964 et selon lequel les personnes employées à l’exploitation d’une ferme ne sont pas réputées être des salariés à moins d’y être ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois, limitait l’accès à la syndicalisation dans les petites fermes familiales.

La Cour supérieure confirmait ainsi la décision phare la Commission des relations du travail (CRT) rendue le 16 avril 2010 dans ce dossier (L’Écuyer & Locas).

Or, voilà que le gouvernement libéral revient à la charge, tout juste avant les vacances d’été, en présentant le projet de loi 8 qui fera l’objet d’audiences publiques restreintes et de consultations particulières dès le 9 septembre prochain.

Le projet de loi 8 modifie le Code du travail en abrogeant l’alinéa 5 de l’article 21, mais instaure du même coup une nouvelle section de dispositions particulières applicables aux exploitations agricoles qui prévoit notamment que les dispositions relatives au processus d’accréditation des organisations de salariés ne s’appliqueraient plus dans le cas des travailleurs agricoles.

Il en va de même pour les sections entourant le processus de négociation entre les parties, l’application des conventions collectives, ainsi que celles encadrant le règlement des différends et des griefs.

Autrement dit, alors que le jugement de la Cour supérieure visait précisément à corriger une injustice et une disparité de traitement dans le Code du travail à l’endroit des travailleurs agricoles, le projet de loi 8 fait exactement le contraire, dénonce Anouk Collet, directrice régionale des TUAC Canada pour le Québec, en entretien avec l’aut’journal.

« Le projet de loi 8 confine les travailleurs agricoles dans un régime de relations de travail particulier digne des années 1950 pour empêcher la syndicalisation de ces travailleurs à proprement dit. Ils auront effectivement le droit de s’associer, mais comment va-t-on reconnaître la légitimité de ces associations de salariés? Il n’y a plus rien qui régit le caractère représentatif », dénonce la dirigeante syndicale.

Par exemple, il pourrait éventuellement y avoir une association de travailleurs ne représentant qu’un petit nombre de salariés. Il pourrait y avoir plusieurs associations pour une même exploitation agricole. Une partie des travailleurs pourrait se retrouver sans voix au chapitre, n’étant membres d’aucune des dites associations de salariés.

« C’est précisément pour éviter ces situations que les différentes dispositions relatives à l’accréditation avaient été mises en place avec le Code du travail. On ne veut pas revenir à ça! », s’insurge Anouk Collet.

Elle dénonce spécialement le fait que le projet de loi ne prévoit pas d'obligation pour l'employeur de faire suite aux demandes des salariés ou de négocier leurs conditions de travail. Ces derniers ne disposent plus d’aucun rapport de force face à leur employeur ni d’aucun mécanisme leur permettant de faire respecter leurs droits au travail.

Le projet de loi des libéraux stipule que l’employeur doit « donner à une association de salariés de l’exploitation agricole une occasion raisonnable de présenter des observations au sujet des conditions d’emploi de ses membres »,écouter « les observations qui lui sont présentées verbalement », lire « celles qui lui sont présentées par écrit » et signifier qu’il en a pris connaissance.

Pour le reste, « la diligence et la bonne foi doivent gouverner la conduite des parties à toute phase des échanges entre l’association de salariés et l’employeur ». Ensuite? Rien, hormis le dépôt d’une plainte à la Commission des relations du travail. Plus de procédures encadrant le processus de négociation ni de règlements de différends, pas de griefs possibles, pas de grèves.

À noter que le projet prévoit aussi des dispositions transitoires et finales qui font en sorte d’annuler toutes les accréditations syndicales accordées subséquemment à la date de présentation du projet de loi, un juin dernier, ainsi que de faire tomber toutes les demandes d’accréditation en cours.

Anouk Collet soutient qu’il s’agit d’un « copié-collé » de la Loi sur la protection des employés agricoles (2002) implantée par le gouvernement conservateur de Mike Harris en Ontario, alors que l'Organisation internationale du Travail a pourtant statué que cette loi violait les conventions internationales sur la liberté syndicale en novembre 2010.

Les TUAC ont profité d’une fête, le samedi 23 août dernier, entourant la célébration du 10e anniversaire du Centre d’appui de l’Alliance des travailleurs agricoles de St-Rémi pour dénoncer publiquement les visées du gouvernement libéral.


En enrevue à l’aut’journal, Mme Collet réitère que son organisation comprend très bien les spécificités du secteur agricole, que des adaptations sont tout à fait possibles et qu’il n’y a aucune raison valable pour nier le droit à la négociation de cette catégorie de travailleurs. Catégorie au sein de laquelle on compte par ailleurs une importante proportion de travailleurs étrangers temporaires, soit environ 15% selon les données du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec.


« C’est évident qu’on s’oppose au projet de loi. Pour nous, il n’y a pas de flexibilité possible sur le droit d’association et de négociation. Maintenant, dans la négociation, c’est clair qu’il y a de la flexibilité. Nous

savons et comprenons qu’il y a des particularités propres au secteur agricole et nous en tenons compte dans nos négociations. »

Les employeurs soutiennent que la syndicalisation n’est pas viable dans le secteur agricole. Les TUAC font valoir que depuis l’adoption du Code du travail en 1964, les exploitations agricoles ont considérablement pris de l’expansion, se sont modernisées et emploient de plus en plus de travailleurs. Pour plusieurs d’entre-elles, le modèle basé sur la petite exploitation agricole familiale ne tient plus la route. Une argumentation également reprise par la décision de la CRT de 2010.

Les TUAC représentent près de 250 travailleurs agricoles, couverts par huit conventions collectives. Aucune de ces entreprises n’a cessé de prospérer jusqu’à présent, faisant la preuve que les relations de travail peuvent fonctionner dans le secteur agricole québécois.

Par exemple, pour répondre à l’argument patronal selon lequel les heures supplémentaires coûteraient une fortune alors que la saisonnalité des récoltes impose nécessairement un rythme de travail plus imposant, Anouk Collet explique rétorque que certaines des conventions collectives fixent la barre des heures supplémentaires à 55, voire 65 heures par semaine, plutôt que 40.

D’autres mesures et solutions seront présentées dans le mémoire que doit déposer les TUAC en vue de des audiences qui débuteront le 9 septembre prochain.

« L’ironie ici, c’est que les employeurs, eux, sont rassemblés dans de puissantes organisations, dont l’UPA, un syndicat, semble-t-il. Ils peuvent exercer beaucoup de pression et faire un lobby efficace, comme en témoigne ce projet de loi injuste que le gouvernement s’empresse de vouloir faire adopter. »


Photo: Ledevoir.com