À propos de la «neutralité bienveillante» à l’égard des religions

2014/09/05 | Par Louise Mailloux

Nous sommes rassemblés ici ce soir parce que nous avons en commun une chose qui nous tient à cœur : la laïcité. Certains d’entre nous sont croyants, d’autres agnostiques ou athées, mais tous, nous tenons à vivre dans une société laïque, une société qui en séparant le religieux du politique, garantit la neutralité de l’État, protégeant ainsi la liberté de conscience qui est l’une des libertés les plus fondamentales de toute démocratie.

La récitation de la prière du très catholique maire Tremblay n’a pas sa place en début de séance d’un conseil municipal puisqu’elle viole la neutralité de l’État. Je tiens à préciser ici, au cas où il y aurait des journalistes dans la salle, que le mot «viol» ne vient pas de moi mais qu’il est tiré du mémoire du Mouvement Laïque Québécois!

Ce choix de la laïcité, d’autres l’ont fait avant nous, depuis les Patriotes de 1837 qui déjà réclamaient la séparation de l’Église et de l’État, en passant par les intellectuels libéraux de l’Institut canadien jusqu’aux signataires du Refus Global, ces artistes et ces intellectuels qui rêvaient d’un Québec libéré des craintes de l’enfer, un Québec moderne où l’éducation et la culture s’ouvriraient sur le monde plutôt que de se limiter au petit catéchisme.

Tous ces laïques par leur audace, leur courage et leur entêtement nous ont ouvert le chemin, celui de la liberté, celui d’une vie publique exempte des contraintes religieuses, d’une vie publique à l’abri des dogmes catholiques et de l’autoritarisme de son clergé qui pesaient alors sur nos vies et nos institutions publiques.

Nous n’avons pas à rougir d’être laïques. Bien au contraire, nous devons en être fiers, conscients que nous poursuivons à notre tour les mêmes objectifs et le même idéal que ceux qui nous ont précédés.

Au Québec, les années 60 et 70 ont été celles de la grande déconfessionnalisation. Celle des coopératives, celle des ordres professionnels et des grands syndicats comme la Confédération des travailleurs catholiques du Canada qui deviendra la CSN et la Corporation des institutrices et instituteurs catholiques qui deviendra la CEQ, aujourd’hui la CSQ.

Mais l’Église catholique perdra surtout son influence dans des secteurs où elle était bien implantée comme ceux de la santé et de l’éducation.

1961 sera l’année de la mise sur pied du ministère de la Culture, 1969 celle de l’instauration de la Régie de l’assurance-maladie qui nous mènera l’année suivante à l’établissement du ministère des Affaires sociales qui gèrera les services de soins de santé et les services sociaux, un secteur autrefois contrôlé par l’Église.

En 1964, aura lieu la création d’un ministère de l’Éducation, un secteur névralgique que l’Église dominait totalement, qui va permettre la laïcisation des universités alors redevable à Rome, celle des savoirs et d’abolir les collèges classiques pour les remplacer par des cégeps laïques.

Toutefois d’importants compromis seront faits avec l’Église dans le domaine de l’éducation ; les écoles publiques demeurent confessionnelles et continuent à dispenser un enseignement religieux catholique et protestant, une bi-confessionnalité protégée par la Constitution canadienne depuis 1867.

Les militants laïques vont donc concentrer leurs efforts sur la déconfessionnalisation des écoles publiques, en exigeant parallèlement aux écoles confessionnelles, des écoles non-confessionnelles afin de respecter la liberté de conscience des athées. C’était une première étape.

En 1997, on laïcisa les commissions scolaires, restructurées sur une base linguistique, mais il faudra attendre jusqu’en 2005 pour que soit complétée la déconfessionnalisation des écoles publiques et que l’on mette fin à l’enseignement religieux.

Créé en 1981, le MLQ jouera un rôle important dans ce combat pour une éducation laïque. Nous le retrouvons aujourd’hui à livrer une bataille jusqu’en Cour suprême pour que soit établi un cadre juridique clair concernant la récitation de la prière et la présence de symboles religieux dans l’enceinte de l’hôtel de ville de Saguenay et que la Cour suprême statue sur le fait de savoir si cela viole ou non la neutralité de l’État.

Cette bataille est décisive et le jugement ira bien au-delà de ce qui se passe au Saguenay puisqu’il fera jurisprudence partout au Canada concernant la compétence des municipalités en matière religieuse. Le MLQ porte ici un dossier qui aura un retentissement dans toutes les provinces canadiennes, un dossier dont l’enjeu fondamental est celui de la séparation stricte de la religion d’avec la politique.

Depuis plusieurs années, au Québec comme dans bien d’autres pays, on assiste à un détournement du sens de la laïcité, si bien que les opposants à la laïcité s’affichent eux aussi comme des défenseurs de celle-ci, jetant ainsi de la confusion dans l’esprit de bien des gens. Ces anti-laïques disent défendre un nouveau modèle de laïcité qu’ils appellent «ouverte» ou «inclusive».

Cette fausse laïcité s’oppose à la séparation du religieux d’avec le politique et considère que seule la neutralité de l’État doit être préservée. Par exemple, selon cette conception libérale anglo-saxonne, un cégep laïque pourrait avoir des employés portant des signes religieux ostentatoires, le voile, la kippa, le turban, le kirpan, un local de prière, une cafétéria offrant un menu sans porc avec des repas halal, un calendrier multi-religieux servant de guide aux professeurs pour planifier leurs évaluations, des dispenses accordées à des étudiantes musulmanes les exemptant d’un cours de natation ou encore de ne pas disséquer un coeur de porc en biologie, ou d’assister à un cours de dessin avec modèle nu, un report d’examen le jour du sabbat ou pendant le ramadan, sans oublier les évangélistes qui pourraient contester l’enseignement du darwinisme et que sais-je encore? Mais, disent ces inclusifs, le cégep demeurerait tout de même neutre puisqu’il n’imposerait ou ne privilégierait aucune religion.

Voilà le véritable visage de cette laïcité inclusive qui n’est qu’une ruse visant à redonner aux religions une visibilité, une importance et une légitimité dans nos institutions publiques.

Et c’est justement en s’appuyant sur ce concept de «neutralité bienveillante» à l’égard de toutes les religions que la Cour d’appel du Québec a renversé le jugement du Tribunal des droits de la personne concernant la prière à Saguenay. La prière du maire étant, selon la Cour d’appel, oecuménique ou multiconfessionnelle, elle ne se rattache pas à une confession particulière et n’enfreint donc pas la neutralité de l’État. Il suffit d’être bienveillant envers tous et de prier Dieu, Allah, Yahvé, Shiva, petit Pois, Vishnou, petit Boubou, le grand Papout et le petit Papout pour être neutre!

Voilà comment les religions s’y prennent aujourd’hui pour contourner l’exigence républicaine de séparation stricte entre le religieux et le politique. Voilà la ligne idéologique de tous les anti-chartes et des intégristes dont il sont les alliés. Ces bien-pensants qui ont pris la place des Monseigneurs d’hier qui excommuniaient à coup d’eau bénite les militants laïques pour les disqualifier du débat public, alors qu’aujourd’hui, laïcité oblige, on les traîne injustement devant les tribunaux en les accusant de diffamation.

Cette offensive anti-laïque doit absolument être contrée par une forte mobilisation citoyenne et nous avons tous à cet égard une grande responsabilité. Une responsabilité envers ceux qui nous ont précédés mais surtout envers ceux qui feront le Québec de demain. C’est pourquoi, il est important de soutenir le Mouvement Laïque Québécois, important de soutenir les militants laïques qui sont poursuivis en justice parce que seule la séparation stricte entre le religieux et le politique peut garantir la neutralité de l’État, préserver la liberté de conscience, les droits des femmes et ceux de la diversité sexuelle.


Montréal, 4 septembre 2014