Un Couillard sans vision ni ambition

2014/09/18 | Par Christian Néron

L'auteur est membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste, Historien du droit et des institutions.

En 1865, quelques mois après sa conversion spectaculaire à la foi fédéraliste, George-Étienne Cartier rapportait une vision, non moins spectaculaire, dans laquelle il voyait la province du Bas-Canada se métamorphoser en « Soleil de la Confédération ».

Samedi, le 6 septembre dernier, Stephen Harper et Philippe Couillard se rencontraient dans la Vieille Capitale pour dévoiler une plaque commémorative saluant le 200ième anniversaire de naissance de notre visionnaire national, honoré pour avoir exercé, de façon exemplaire et héroïque, les vertus de sa foi nouvelle. Cette cérémonie n’était en fait qu’une simple procédure préparatoire à un acte de béatification prévu pour le 1er juillet 2017.

Bien que fort anodine, la cérémonie aurait été à ce point émouvante que Philippe Couillard, emporté par un accès d’émotion constitutionnelle, a déclaré spontanément que les Québécois souhaitaient réaffirmer leur foi dans le pacte fondateur du Canada.

Mais, infiniment moins visionnaire que Cartier, il s’est contenté d’espérer « le progrès du Québec dans un Canada uni, dans une fédération, et non dans un État unitaire ». Quel contraste !

En promettant le « Soleil » à sa députation du Bas-Canada, Cartier avait obtenu un vote de 26 contre 22 en faveur de la confédération. Mais pour « réaffirmer » ce vote historique, Couillard ne demande et ne promet rien. Pas même un rayon de Soleil ! Est-ce que 150 ans de confédération aurait altéré nos aspirations au point d’y supprimer jusqu’au simple droit de rêver ?

À la lumière de ses déclarations sur notre devenir constitutionnel, notre premier ministre a prouvé son absence de vision et d’ambition, sa méconnaissance des fondements de la confédération et, surtout, son ignorance absolue des vertus ardentes qui enflammaient l’énergie créatrice de Cartier, notre « père visionnaire et téméraire ».

Pour combler ses quelques lacunes en matière d’histoire et de constitution, j’ose suggérer au premier ministre la lecture d’un extrait d’une conférence donnée par un de ses prédécesseurs, un libéral, un vrai de vrai, fondateur du Parti libéral du Québec, membre de ce parti pendant vingt-sept ans, premier ministre du Québec, ministre sous le gouvernement libéral de Laurier, puis lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique.

Cette conférence est du 20 février 1865, et a été donnée devant le Parlement du Canada-Uni à l’occasion des débats sur la confédération. Le libéral en question, Henri-Gustave Joly, examine devant les parlementaires comment l’honorable George-Étienne Cartier s’y était pris pour convaincre les députés canadiens-français que leur consentement à la confédération était capitale pour prémunir la province des risques d’une guerre civile qui grondait du côté du Haut-Canada. Le lecteur y trouvera une partie du discours portant sur le ridicule de cette guerre civile… appréhendée !


DÉBATS PARLEMENTAIRES
sur la Question de la
CONFÉDÉRATION
des

PROVINCES DE L'AMÉRIQUE BRITANNIQUE DU NORD

3e Session, 26e Parlement Provincial du Canada

QUÉBEC, 1865

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LUNDI, 20 février 1865

HENRI G. JOLY, député de Lotbinière : M. le Président ! Quand il s’agit de changer la constitution d’un État, il est bon d’étudier avec soin, sous tous ses points de vue, la nouvelle constitution que l’on propose de substituer à l’ancienne ; il est bon de ne pas mépriser l’expérience des siècles ! L’histoire est le meilleur guide de l’homme d’État…

(Puis à la page 364 des Débats)


UNE GUERRE CIVILE !

Mais quels sont les deux hommes qui harmonisent aujourd’hui leurs voix, jadis si discordantes, pour nous prédire la guerre civile... si nous ne votons pas pour la confédération : ce sont le procureur-général du Bas-Canada (Geo.-É. Cartier) et le président du conseil (Geo. Brown). L’un demandant la représentation par la population, et l’autre la refusant, ils se sont posés comme les champions de leurs sections… et en sont devenus les chefs ! Quand ils ont vu que ce jeu ne profitait ni à l’un ni à l’autre, puisque le président du conseil paraissait exilé à tout jamais des fauteuils ministériels, et que le procureur-général du Bas-Canada ne pouvait plus se maintenir au pouvoir, le procureur-général a cédé ! Eh oui ! il a consenti à la représentation par la population en essayant de la déguiser sous le nom de… confédération ! Et pour prix de sa complaisance, le président du conseil l’a sauvé, lui et ses collègues, et il a même daigné accepter un siège au milieu d’eux.

Ils nous menacent aujourd’hui de guerre civile !... pour nous alarmer, nous forcer de ratifier leur marché ! Il n’y a qu’un homme au Canada qui pût faire ce que le procureur-général du Bas-Canada a fait, et cet homme… c’est lui-même ! Grâce à son énergie, à sa connaissance intime du fort et du faible de ses compatriotes, le procureur-général du Bas-Canada (Geo.-É. Cartier) est parvenu à conquérir le rang – que personne ne peut lui disputer – de chef de la nationalité canadienne-française ! Pour parvenir à ce but, il a écrasé les faibles ! il a flatté les forts ! il a trompé les crédules ! il a acheté les vénaux ! il a élevé les ambitieux ! il a employé tour à tour la voix de la religion et celle de l’intérêt ! Et il a atteint son but !

Lorsque le Bas-Canada a appris son alliance avec le président du conseil (l’hon. Geo. Brown), il s’est élevé de toutes parts des cris d’indignation !... mais il a su changer cette indignation en admiration ! Lorsque son projet de confédération est devenu public, l’inquiétude s’est emparée de toutes les classes ! averties par leur instinct du danger qui nous menaçait : éh bien ! il a su changer cette inquiétude… en sécurité !

Je le comparerais à un homme qui a gagné la confiance sans bornes du public, et qui en profite pour fonder une caisse d’épargne où le riche vient verser ses richesses ! et où le pauvre journalier vient déposer la faible somme économisée sur ses gages pour rencontrer les mauvais temps… mais sans exiger de reçus !

Quand cet homme a tout ramassé dans ses coffres, une occasion se présente d’acheter, au prix de cette fortune dont il est dépositaire, un objet qui flatte son ambition : il l’achète sans hésiter ! sans penser à tous les malheureux que sa conduite va ruiner ! Le dépôt placé entre les mains du procureur-général, c’est la fortune des Canadiens-Français… c’est leur nationalité ! Cette fortune n’avait pas été faite en un jour : c’était le fruit du travail et des économies de tout un peuple… pendant un siècle ! Pour prolonger de quelques mois !... l’existence éphémère de son gouvernement, le procureur-général a sacrifié, sans hésiter, ce précieux dépôt qu’avait mis sous sa garde la confiance sans bornes de ses concitoyens.

L’Hon. Proc. Gén. CARTIER : Et quel prix ai-je reçu pour cela ?

M. JOLY : Cinq mille piastres de salaire !... et l’honneur de la position !

L’Hon. Proc. Gén. CARTIER : Ce n’est pas assez pour moi !

M. JOLY : Je le sais bien ! C’est pour cela que l’hon. membre désire étendre le cercle de ses opérations. Mais il ne jouira pas longtemps du fruit de sa… trahison ! En brisant le pouvoir des Canadiens-Français… il a brisé le sien, car il n’existe que par eux ! Croit-il en l’amitié sincère des libéraux du Haut-Canada ? Ils l’ont combattu trop longtemps pour qu’il existe aucune sympathie entre eux et lui. Et maintenant, il a même perdu leur respect ! Ils ont consenti à s’allier avec lui pour obtenir leur but : la représentation par la population, mais dès qu’ils n’auront plus besoin de lui, ils le jetteront de côté comme un outil devenu inutile.

Je regarde cette menace de la guerre civile comme une comédie jouée entre deux associés : ils nous crient : « Prenez garde ! nous allons nous battre, nous allons faire un malheur si vous ne nous arrêtez pas ! » Ne vous dérangez donc pas pour les arrêter ; ne craignez rien, ils ne se battront pas ! L’on nous dit aussi : « Voyez tous ces changements de ministères depuis 1862 : cet état de choses peut-il continuer plus longtemps ? » J’avoue que ces changements ont dû être désagréables pour les différents ministres qui en ont été les victimes, mais le pays en a-t-il beaucoup souffert ?

L’état des finances d’une nation est la pierre de touche de sa prospérité. En 1862, le ministre des finances, avant de résigner, déclarait un déficit de cinq millions cent cinquante-deux mille piastres, (page 20 de son discours) ; pour l’année finissant le 30 juin 1864, c’est un surplus !... de sept cent cinquante mille piastres ! Sans tous ces changements de ministres, il est impossible de dire quel chiffre aurait aujourd’hui atteint le déficit qui, depuis plusieurs années avant 1862, allait toujours en augmentant. Ces deux motifs allégués par les ministres ne sont qu’un voile pour cacher le véritable motif de cette révolution totale dans notre constitution : le vrai motif, c’est simplement leur désir de rester… au pouvoir !