Des régimes de retraite trop généreux, vraiment?

2014/09/25 | Par Jacques Rouillard

L’auteur est professeur à l’Université de Montréal et auteur de l’ouvrage «Le Syndicalisme québécois, deux siècles d’histoire» (Boréal, 2004)

Dans le débat au sujet des régimes de retraite, on fait référence à la rémunération des employés de la fonction publique québécoise pour la comparer à celle des employés municipaux. L’écart de la rémunération globale de ces derniers, en tenant compte des salaires et des avantages sociaux, se situe à 37,9 % en leur faveur selon la dernière évaluation de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Cet avantage justifierait que le gouvernement sabre le régime de retraite des employés municipaux.

Comparer la rémunération des syndiqués des administrations municipales et de l’État québécois ne donne pas une image complète de la situation des employés municipaux. Toujours à partir des données de l’ISQ, la rémunération globale des employés du gouvernement du Québec se trouve au bas de l’échelle des catégories de salariés syndiqués : elle se situe à –25,3 % en comparaison avec les autres salariés syndiqués, à –20,7 % avec ceux du secteur privé, à –21,8 % en regard des employés du gouvernement fédéral et à –9,5 % par rapport aux employés du secteur universitaire. Pour niveler vers le bas, on a donc beau jeu d’effectuer la comparaison avec les employés de l’État du Québec.

Ceux-ci ont vu leur rémunération dégringoler depuis le début des années 1980 par rapport à toutes les autres catégories de salariés. L’adoption en cascade de lois spéciales par le gouvernement du Québec depuis 1980, lois comportant des récupérations salariales, réouverture de conventions collectives et gels ou faibles hausses de rémunération (1982, 1983, 1986, 1993, 1997, 1999, 2005) a eu pour conséquence un recul constant de leur rémunération par rapport aux autres salariés. À la fin des années 1980, leur rémunération globale, jadis presque à parité avec les autres salariés syndiqués, a pris, dans les années 1990, un retard de 7 % en moyenne. L’écart a atteint 18,3 % en 2010 au moment où se négociait une nouvelle convention. Répondant à l’appel du gouvernement de respecter la capacité de payer des contribuables, les syndicats réunis en front commun ont accepté cette année-là une formule liée à la croissance économique, laquelle s’est traduite par de très modestes augmentations. Le retard de leur rémunération s’est donc accentué avec les autres salariés syndiqués au cours des quatre dernières années (–25,3 % en 2013). Et évidemment, en ce début de négociation avec ses employés, le gouvernement martèle encore une fois sa situation financière précaire et la capacité de payer limitée des contribuables.

L’argument qui consiste à comparer secteur municipal et administration gouvernementale met en relief un lien étroit entre le sort de l’ensemble des salariés. Une avancée d’un groupe par rapport à l’autre lui bénéficie, tandis qu’un recul d’une catégorie d’employés affecte toutes les autres. Historiquement, les gains des syndiqués qui ont un meilleur rapport de force ont eu un effet d’entraînement pour les conditions des autres salariés, syndiqués ou pas. […] Un recul sur les régimes de retraite des employés municipaux va créer un effet d’entraînement à la baisse tant pour tout le secteur public et parapublic que pour les conventions négociées dans le secteur privé.

 

Insécurité croissante

Les employeurs s’efforcent actuellement de transformer les régimes de retraite à prestations déterminées par des régimes à cotisations déterminées. Cette tendance va fort probablement entraîner une diminution des bénéfices pour les futurs retraités qui auront du mal à planifier leurs revenus de retraite. Il est significatif que la Banque Royale — loin d’être en difficultés financières — ait pris cette avenue en septembre 2011 pour ses nouveaux employés, « afin de refléter les tendances actuelles du marché ». Question, j’imagine aussi, d’assurer « l’équité intergénérationnelle »… 

La protection des régimes de retraite devient difficile alors que les régimes publics de retraite (rentes du Québec, pension de la Sécurité de la vieillesse, REER) ne suffisent plus. Le rapport d’Amours concluait que le système actuel ne réussit pas à assurer une sécurité financière à la retraite pour les revenus moyens. Sabrer les régimes collectifs du public comme du privé n’améliore pas la situation, au contraire.

Et cette question doit être évaluée dans un contexte encore plus large, c’est-à-dire relativement à la condition générale des travailleurs salariés. Il n’est guère surprenant de constater qu’ils ont de la difficulté à épargner puisque leur salaire réel n’augmente guère depuis plus de 30 ans. Un récent rapport de l’Institut de recherche en économie contemporaine évaluait que les salaires horaires moyens des travailleurs à temps complet n’ont augmenté que de 10,3 % de 1981 à 2012 compte tenu de l’augmentation des prix (0,3 % par année). De nombreux autres travaux au Canada en arrivent à la même conclusion : le pouvoir d’achat des salariés est presque stagnant depuis plus de 30 ans. Et la tendance actuelle s’oriente toujours dans la même direction : l’évolution des taux de salaire accordée dans l’ensemble des conventions collectives se situe à 2,1 % par année de 2009 à 2016 selon le ministère du Travail du Québec (1,8 % dans le secteur public).

Il est significatif que le gouvernement s’empresse de s’attaquer aux régimes de retraite des employés municipaux alors qu’il a rejeté l’option de bonifier le régime des rentes du Québec, ce qu’envisage pourtant le gouvernement ontarien. À cette option qui permettait de mieux corriger, pour tous, l’insécurité de la vieillesse, il a plutôt choisi de miser sur l’instauration d’un régime d’épargne-retraite volontaire reposant sur les seules épaules des contributions des employés. Ces derniers peuvent s’en retirer et les employeurs n’ont pas l’obligation de cotiser. Ayant du mal à joindre les deux bouts avec des salaires stagnants, il est à craindre que les salariés à revenu moyen et faible soient nombreux à se désister du régime. 

La réticence à vouloir améliorer le régime public contributif et les compressions des régimes privés et publics de retraite confirment encore une fois le nouveau paradigme pour les salariés : ils ne bénéficient presque pas de l’enrichissement collectif découlant du développement de l’économie et de la productivité du travail. Au fond, à quoi sert la croissance économique ? Ne devrait-elle pas contribuer à améliorer le sort du plus grand nombre ?


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