La police s’invite dans la course à la chefferie

2014/09/26 | Par Pierre Dubuc

L’ex-ministre péquiste, père de l’étapisme, et contact rétribué des services secrets canadiens, vient de publier aux éditions Boréal « Je le dis comme je le pense ». Dans ce dernier ouvrage, Morin aborde trois sujets. D’abord, la « stratégie » qu’il propose aujourd’hui pour le Parti Québécois, suivie d’une nouvelle tentative pour laver sa réputation et, enfin, son parcours de « born again Christian » contre l’avortement et les mariages gais.

Nous laissons ce dernier sujet aux chroniqueurs religieux. Abordons donc sa nouvelle proposition de stratégie pour le Québec. Morin invite les péquistes à laisser tomber la souveraineté comme objectif. L’objectif du PQ devrait être, selon lui, « la sauvegarde et l’épanouissement de l’identité québécoise ».

Il affirme que « la souveraineté est le moyen privilégié pour l’atteindre », mais il s’empresse de proposer une démarche visant plutôt « la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise ». Celle-ci serait assortie de la reconnaissance des pouvoirs que la Constitution canadienne accorde déjà au Québec. En échange, le Québec « pourrait envisager la ratification de la Constitution de 1982 puisqu’elle aurait été corrigée à sa satisfaction »!

Dans une entrevue à Michel C. Auger sur les ondes de Radio-Canada, Claude Morin soutient que cela pourrait se faire par une négociation bilatérale entre le Québec et le gouvernement fédéral, sans l’accord obligatoire des autres provinces.

Des candidats potentiels à la course à la chefferie avancent qu’il faudrait repousser le référendum aux calendes grecques. Morin va encore plus loin en proposant que les indépendantistes mettent de l’avant un référendum ayant pour but de signer la Constitution canadienne!

 

Une nouvelle réécriture de l’histoire

Par ailleurs, Morin essaie à nouveau de se disculper de ses relations monnayées avec les services secrets canadiens avec une énième réécriture de l’histoire.

Dans notre livre « L’autre histoire de l’indépendance », nous avions fait ressortir son admission que l’idée d’un référendum, en lieu et place d’une élection référendaire, lui avait été soufflée par les services secrets canadiens. Manifestement, cela ne lui a pas plu.

Qu’à cela ne tienne, aujourd’hui, il soutient une interprétation à l’opposé de celle qui était la sienne dans son livre « Mes premiers ministres ». Dans ce livre, il laissait entendre que le fonctionnaire fédéral Gordon Robertson et ses amis l’incitaient à prendre cette voie. Aujourd’hui, il affirme que ces derniers « ne souhaitaient absolument pas que le Québec entreprenne une opération aussi inusitée »!

Comme je l'écrivais dans ma réplique à son livre L'affaire Morin,(voir ci-dessous), il écrivait dans son livre « Mes premiers ministres » : « L’idée du référendum me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral. »

Il mentionnait alors le nom, entre autres, de Gordon Robertson, secrétaire du cabinet fédéral, tout en évitant soigneusement de dire que Gordon Robertson était en 1969 co-responsable avec Marc Lalonde des services de renseignements parallèles mis sur pied par le cabinet Trudeau pour lutter contre le séparatisme.

Aujourd’hui, dans « Je le dis comme je le pense », il revient sur cette rencontre en nous disant que l’« idée du référendum » lui aurait été soufflée à l’oreille par l’ancien premier ministre Jean-Jacques Bertrand, qui avait pensé au référendum comme recours pour faire débloquer des dossiers entre Québec et Ottawa, et que c’est lui, Claude Morin et non Robertson, qui aurait amené cette idée dans la discussion avec les fonctionnaires fédéraux!

 

Une délégation au fonctionnement débraillé

Dans « Je le dis comme je le pense », Morin se défend aussi « des racontars injustes qui ont circulé sur l’amateurisme, le désordre, voire l’anarchie qui auraient régné dans la délégation du Québec lors des conférences de 1980-1981 » sur le rapatriement de la Constitution.

De toute évidence, il fait référence, encore une fois, à un extrait de mon livre « L’autre histoire de l’indépendance ». Voici les passages incriminés. Au lecteur, de juger.

« « Je me suis donc arrangé pour faire nommer deux de mes amis avec lesquels je m’entendais très bien : Claude Charron et Marc-André Bédard », écrit Morin dans « Les choses telles qu’elles étaient ». Les qualités des deux larrons se résument à être des amis de Morin, car Charron n’est pas juriste et Bédard, qui est juriste, ne parle pas anglais ! (…)

« Claude Charron déclare par la suite que la délégation du Québec était « mal préparée ». Est-ce suffisant comme explication? Jacques Parizeau avait été tenu à l’écart de la délégation, mais il était allé jeter un coup d’œil sur ce qui se passait. Le spectacle, confiera-t-il plus tard, était désolant. L’« équipe du tonnerre » de Claude Morin, avec le non-juriste Claude Charron et l’unilingue Marc-André Bédard, fonctionnait de façon tout à fait débraillé. Plus inquiétant encore, circulaient librement au sein des membres de la délégation des documents estampillés « secret » du gouvernement fédéral sur lesquels Claude Morin avait « miraculeusement » réussi à mettre la main. La délégation était euphorique : les documents dévoilaient toute la stratégie fédérale ! Parizeau trouva que tout cela ne sentait pas bon et s’empressa de revenir au Québec pour ne pas être associé à ce qui s’y déroulait.

« Quelques semaines après le désastre de la conférence constitutionnelle, Loraine Lagacé informe René Lévesque, preuves à l’appui, que Claude Morin est un agent rémunéré des services secrets canadiens. Lévesque accuse le coup et, selon toute vraisemblance, est victime à ce moment-là d’un léger infarctus. Il exige de Morin sa démission; celui-ci obtempère. »

(extraits de L’autre histoire de l’indépendance)


Réplique à L’Affaire Morin

Enfin, Claude Morin me reproche, ainsi qu’à Normand Lester et Pierre Godin, de ne pas avoir changé notre interprétation de ses relations avec les services secrets canadiens après la publication de son ouvrage « L’Affaire Morin ».

Nous reproduisons ci-dessous la réplique que j’ai publiée à l’époque à sa vaine tentative de se disculper dans « L’Affaire Morin ».

 

Le consultant à honoraires

Aux journalistes qui lui demandaient : « Si vous n’étiez pas un informateur rémunéré de la GRC, comment qualifieriez-vous votre relation avec les services secrets canadiens ? » Et Morin de répondre : « J’étais quelque chose comme un consultant à honoraires ».

Le Québec tout entier aurait dû s’écrouler sous un rire homérique. Mais non !, notre « consultant à honoraires » a fait le tour des médias pour mousser les ventes de son dernier ouvrage « L’affaire Morin, légendes, sottises et calomnies ». On a espéré en vain qu’à l’émission Tout le monde en parle un Chapleau se lève, lui tire les rouflaquettes en lui disant : « Voyons, Claude, c’est une joke ! »

Car, pour sa défense, Claude Morin n’a rien de plus consistant à offrir que le témoignage d’agents de la GRC et des ex-premiers ministres canadiens Trudeau et Chrétien. L’ancien directeur de la GRC Donald Cobb aurait déclaré à la journaliste Josée Boileau : « Jamais M. Morin n’a agi contre le Québec ». Un obscur agent, du nom de Gilbert Albert, est allé encore plus loin. Au journaliste Yves Boisvert de La Presse, il confiait ce secret d’État : « Morin n’a jamais été un vrai informateur. Le contrôleur était contrôlé par Morin. » J’imagine qu’on doit se rouler par terre dans les bureaux de la GRC.

Mais Morin en remet. Il écrit que « la GRC a agi de son propre chef » et que « pour une rarissime fois de ma vie, je suis d’accord avec Trudeau et Chrétien qui ont déclaré à la télévision n’avoir jamais rien su de l’affaire ».

Dans son livre inutile - puisqu’il ne nous apprend rien de nouveau - Morin s’amuse à chercher à miner la crédibilité de Lorraine Lagacé - celle qui a informé René Lévesque de ses activités secrètes avec la GRC - et l’éthique journalistique de Normand Lester en montant en épingle des contradictions mineures. Mais l’essentiel des faits demeure.

Claude Morin a reconnu et reconnaît toujours avoir eu des contacts dès 1951, alors qu’il était étudiant, avec l’officier Raymond Parent du bureau de la GRC à Québec. Il admet avoir rencontré à nouveau Raymond Parent au printemps de 1966, puis en 1967 et 1969. Plus tard, à l’été 1974, il rencontre, alors qu’il est membre de l’exécutif national du Parti Québécois, l’agent Léo Fontaine à au moins 29 reprises. Claude Morin accepte d’être rémunéré. Il touche de 500 à 800 dollars par rencontre. Puis, en 1977, le Parti Québécois au pouvoir, il poursuit ses contacts avec la GRC. Son nouveau contrôleur est Jean-Louis Gagnon qui deviendra directeur adjoint du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS).

Morin essaie de justifier sa démarche en disant qu’il voulait savoir ce que les services secrets tramaient contre l’État québécois et, plus tard, contre le Parti Québécois. Il affirme que les services secrets étaient préoccupés par l’infiltration étrangère, surtout française, dans les affaires intérieures du Canada.

Morin réplique à plusieurs affirmations accessoires de Normand Lester, mais évite soigneusement de répondre à cette révélation cardinale, soit que Raymond Parent n’a jamais fait partie du contre-espionnage, mais était plutôt un spécialiste de la lutte contre « la subversion communiste et séparatiste », qu’il était un homme de la section antisubversive.

Des documents rendus publics ont dévoilé que Raymond Parent était un des signataires de la note secrète autorisant le vol par effraction des listes de membres du Parti Québécois le 9 janvier 1973 dans le cadre de l’Opération HAM. Dans son témoignage devant la Commission MacDonald, le chef des services secrets canadiens, John Starnes, dira que l’espionnage politique du mouvement nationaliste émanait d’une requête du cabinet Trudeau datant du 19 décembre 1969.

Claude Morin jure de ses grands dieux qu’il n’a jamais révélé aucun secret du Parti Québécois à la GRC et qu’au contraire il s’est surtout employé lors de ses rencontres avec Léo Fontaine à disculper les militants que la GRC avait à l’oeil.

Dans l’analyse approfondie que nous avons faite de l’affaire Morin dans notre livre L’autre histoire de l’indépendance, nous avons émis l’hypothèse que la relation fonctionnait en sens inverse, que c’est la GRC qui informait Morin, qui lui donnait le nom des militants qui risquaient de faire avorter sa stratégie étapiste.

Dans la narration qu’il fait de cette première rencontre avec Léo Fontaine dans son autobiographie politique Les choses comme elles étaient, Claude Morin écrit que ce dernier s’enquiert des chances de succès de sa proposition référendaire à la veille du congrès de novembre 1974 du Parti Québécois. « Les gauchistes ne feraient pas avorter le projet ?, lui demande Fontaine. Pour lui, je risquais beaucoup car, encore une fois, il estimait les ‘‘gauchistes’’ fort puissants ».

Claude Morin poursuit dans Les choses comme elles étaient : « M. Fontaine voulut ensuite me mettre au courant, pour ma gouverne personnelle et aussi pour savoir à quoi s’en tenir à leur sujet, des noms de quelques suspects qui, selon lui, étaient CONSCIEMMENT OU NON téléguidés par l’extérieur, dans ce cas, par la France. » Au cours des rencontres subséquentes, Léo Fontaine avait toujours, nous dit Morin, « sa liste de suspects, des Français pour la majorité, quelques Québécois et une poignée de ressortissants d’autres pays. Une dizaine de noms au début, puis avec le temps, une trentaine ».

Dans son nouvel ouvrage, Morin en rajoute. Il nous dit aujourd’hui que parmi ces personnes, il y avait des « vedettes péquistes naissantes, contestataires automatiques et parfois agaçants à chaque réunion du Conseil national du Parti Québécois, ainsi que des permanents syndicaux et responsables d’organismes communautaires ».

Était-ce seulement des noms de personnes qui représentaient des risques pour la sécurité nationale, ou ne constituaient-ils pas également des risques pouvant faire avorter la stratégie étapiste de Morin ? Que faisait Morin de ces noms, lui qui menait la lutte contre la « go-gauche » au sein du PQ ? Lui étaient-ils utiles pour isoler les opposants à ses projets ? L’identification de ces personnes par la GRC avait-elle été établie à partir des listes de membres volées dans le cadre de l’Opération HAM ?

En réponse à notre livre, Morin s’indigne que nous l’ayons accusé d’avoir emprunté la stratégie référendaire aux fédéralistes. Il ne peut évidemment nier que l’idée de la tenue d’un référendum lui soit venue d’une discussion avec de hauts fonctionnaires fédéraux, puisque nous nous étions appuyés sur un extrait de son livre Mes premiers ministres pour l’affirmer.

« L’idée du référendum, écrit-il dans ce livre, me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral. » Il mentionne le nom, entre autres, de Gordon Robertson, secrétaire du cabinet fédéral.

Aujourd’hui, Morin évite soigneusement de dire que Gordon Robertson était en 1969 co-responsable avec Marc Lalonde des services de renseignements parallèles mis sur pied par le cabinet Trudeau pour lutter contre le séparatisme.

Dans L’autre histoire de l’indépendance, nous avons examiné dans le détail toutes les péripéties des efforts de Morin pour imposer la stratégie référendaire au Parti Québécois et affirmé que celle-ci s’inscrivait parfaitement dans le plan fédéral pour contrer la souveraineté. Les fédéralistes savaient pertinemment que le Parti Québécois, devenu l’Opposition officielle en 1973, accéderait inévitablement au pouvoir et que cela signifiait l’indépendance du Québec comme le stipulait alors son programme. La seule stratégie qui s’imposait était de gagner du temps, ce qu’offrait l’étapisme défendu par Claude Morin.

La principale ligne de défense de Morin est d’invoquer son apport à titre de fonctionnaire, puis de ministre, à la consolidation des pouvoirs du Québec. Un fait indéniable. Comment cela peut-il se conjuguer au fait qu’il ait été un agent secret de cet État qu’il combattait ?

Il l’exprime en cherchant noise à Normand Lester. « Ou bien, ainsi qu’il (Lester) l’avance, j’avais été « l’oeil d’Ottawa au sein du gouvernement du Québec », ou bien, autre citation de lui, j’avais joué « un rôle capital dans la politique d’affirmation du Québec dès 1960 ». Deux affirmations qui s’excluent mutuellement telles quelles. On est traître ou on ne l’est pas. »

L’explication politique, avons-nous soutenu dans L’autre histoire de l’indépendance, réside dans le fait que Claude Morin était, avant d’être un agent de la GRC, un agent de la CIA. Nous écrivions : « La consolidation du pouvoir québécois, dont Claude Morin a été un des architectes, pouvait facilement s’inscrire dans la perspective états-unienne de renforcement du pouvoir des provinces canadiennes pour freiner les velléités d’indépendance du gouvernement central à l’égard de Washington ». Morin cite ce passage, le présente comme « flyé », mais n’y oppose aucun argument.

Dans Les choses comme elles étaient, Claude Morin raconte, lorsque Léo Fontaine le contacte pour la première fois, son intérêt pour les relations de collaboration qui existent entre la GRC et la CIA. La réponse de Morin à Fontaine, lorsque ce dernier lui demande si par hasard il ne connaîtrait pas quelqu’un à qui la GRC pourrait se fier, est très révélatrice. « Je lui répondis en boutade, écrit Morin, que le mieux serait pour lui de mettre la main sur un des agents que la CIA avait déjà probablement placés dans le PQ et à l’utiliser aussi pour les fins de la RCMP ! ».

Ce n’était pas une boutade. Et cet agent était Claude Morin.

 

« Campagne de 80 », un poème de Gérald Godin

Il roule sur Matane
dans sa vieille Pontiac deux tons

la tempête de neige
a poussé dans le fossé bien des voyageurs
imprudents
tout le long de la route
surtout celle qui longe le fleuve

il arrive à Matane
sous-sol de l’église
il n’y a personne
sinon une pyramide de sandwiches
à quatre couleurs

« les gens ne sont pas sortis
il fait trop mauvais »

à la même heure
dans un hôtel discret
son collègue rencontre son contact des services secrets
de l’adversaire


(Gérald Godin, Ils ne demandaient qu’à brûler, L’Hexagone, 2001)