Le sacrifice

2014/09/30 | Par Louise Morand

L’auteure est membre du Comité Vigilance hydrocarbures de l’Assomption


Philippe Couillard appelle les Québécois et Québécoises à la raison : nous sommes membres d’un grand pays fédérateur et toutes les provinces doivent faire leur part pour en accroitre la prospérité.

L’industrie des sables bitumineux apporte de la richesse, le Québec doit donc contribuer à son développement en dépit des risques que cela pose pour son territoire. La rhétorique est facile à comprendre; sauf que les prémisses sont fausses.

En fait, l’industrie des sables bitumineux a contribué à l’enrichissement de ses dirigeants et actionnaires, du gouvernement albertain aussi, mais ce, au détriment d’une part importante de la population.

Parlez-en aux communautés qui vivent à proximité de Fort McMurray, dont le territoire est maintenant empoisonné et qui meurent plus ou moins lentement de cancers inhabituels.

Parlez- en aux communautés plus éloignées regardant leurs forêts dépérir par les contaminants atmosphériques.

Parlez-en aux communautés lourdement touchées par les inondations ou les sècheresses causées par le dérèglement du climat auquel contribue massivement l’industrie des sables bitumineux.

Tout cela se traduit par des coûts à la hausse pour l’ensemble des contribuables payant des impôts, des primes d’assurance et absorbant les hausses des prix des denrées alimentaires.

Les pertes écologiques, pensons à la forêt boréale, sont très importantes aussi, quoique difficilement calculables.

Le pétrole des sables bitumineux qu’on veut acheminer par pipeline, par rail et par pétroliers géants sur le St-Laurent est destiné principalement aux marchés internationaux.

On peut se demander en quoi soutenir la consommation de pétrole de la Chine et de l’Inde pourrait être profitable pour le Québec. Des organismes internationaux crédibles comme l’Agence internationale de l’énergie, la Banque mondiale, la NASA, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le GIEC, s’entendent pour dire que si on veut sauvegarder notre économie, il faut sortir du pétrole et préserver nos écosystèmes.

Lorsqu’on constate la façon dont les populations à travers le monde, poussées par la cupidité et la faim, détruisent les ressources essentielles à leur survie, on comprend que c’est dans le sol, sous les tourbières boréales, que le pétrole des sables bitumineux est le plus à sa place, là où, pendant des millions d’années, il maturera en s’enfonçant dans la lithosphère.

Le Québec n’a pas à «faire sa part» pour soutenir l’industrie la plus polluante au monde. Les approvisionnements en pétrole traditionnel suffisent amplement pour nous permettre d’effectuer la transition nécessaire vers les énergies faibles en carbone.

En cette matière les gouvernements canadien et québécois se trainent les pieds lamentablement. Ce n’est pas par manque de moyens financiers et technologiques que le Canada et le Québec tardent à établir un plan de sortie du pétrole; c’est plutôt par manque de contact avec la réalité du 21e siècle.

Autrefois, on immolait des vierges sur des autels pour s’assurer les bonnes faveurs des Dieux. Aujourd’hui, nos gouvernements tentent de nous faire croire que sacrifier nos ressources vitales dans une économie qui n’a plus rien de viable serait gage de prospérité.

Tout est affaire de croyance, pourrait-on dire. Mais il est significatif que les gouvernements canadien et québécois cherchent à taire les constats des scientifiques sur toutes les questions concernant les impacts des projets pétroliers et gaziers sur les populations, les écosystèmes et les économies.

Face au pétrole, c’est une bonne part de la science, de la culture, de l’éthique et de la vie communautaire qui semblent régresser.

La démocratie basée sur la raison éclairée sombre elle aussi dans le bitume.

À l’ère de la transition énergétique, les masques tombent et au-delà des signes de l’opulence et du succès se profile la froideur obstinée d’une barbarie ancienne, avec des gouvernements qui manquent à tous leurs devoirs en matière de protection du territoire et du bien commun.