L’histoire se répète au Rwanda

2014/10/01 | Par Emmanuel Hakizimana

L’auteur est docteur en économie, spécialiste en finance internationale et chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal.

Pendant que les grandes capitales occidentales ont les yeux rivés sur des groupes terroristes en Syrie et en Irak, quelque chose de terrible se passe au Rwanda. Des cadavres recommencent à flotter sur des rivières comme lors du génocide de 1994, des personnes disparaissent par dizaines de milliers, des familles entières sont brutalement jetées en prison. Sous la férule du président Paul Kagame, le Rwanda s’enfonce progressivement dans l’horreur.

De fait, l’année 2014 qui a commencé par la découverte du corps sans vie de l’ancien chef de renseignements extérieurs rwandais, le colonel Patrick Karegeya, assassiné par strangulation le 31 décembre 2013 dans un hôtel sud-africain semble avoir inauguré pour le Rwanda une nouvelle ère de terrorisme d’État à grande échelle.

Depuis le début de l’année, quarante-six mille personnes dont trente mille prisonniers condamnés à des travaux d’intérêt général et seize mille habitants de la région de Gisenyi au Nord-ouest du Rwanda sont portées disparues.À partir du mois de juillet 2014, quarante cadavres ligotés et emballées dans des sacs en plastique ont été repêchés dans le lac Rweru situé à la frontière entre le Rwanda et le Burundi. Des pêcheurs burundais affirment que ces cadavres y arrivent charriés par la rivière Akagera en provenance du Rwanda. Une carte de membre d’une mutuelle rwandaise de santé a été trouvée sur l’un des corps repêchés.

En plus de faire disparaitre des milliers de personnes et de commettre des assassinats, le régime de Kigali emprisonne et torture à tour de bras. Parfois des familles entières, hommes, femmes et enfants sont jetés en prison en même temps.

Tout récemment, M. Paul Manzi Byabagamba, sa femme enceinte de huit mois et son fils de trois ans ont été arrêtés et jetés en prison. Leur crime serait d’avoir soutenu le frère de Byabagamba, le colonel Tom Byabagamba, ancien chef de la garde présidentielle arrêté en août 2014 et accusé de «crime contre l’État» avec trois autres anciens militaires, le général Frank Rusagara et son chauffeur le Segent François Kabayiza ainsi que le Capitaine Kabuye.

Mais les deux Byabagamba paieraient aussi pour leur autre frère, David Himbara, ancien conseiller du président Kagame qui a fui le régime de Kigali et vit actuellement à Toronto.


Le président Kagame avait prévenu

Même si personne ne pouvait deviner l’ampleur de l’horreur à venir, le président Kagame avait clairement annoncé ses intentions. Le 12 janvier 2014, suite à l’assassinat du colonel Karegeya en Afrique du Sud, il a prononcé un discours d’autocongratulation dans lequel il a déclaré : «Quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple en subira des conséquences. Il reste seulement à savoir comment et à quel moment les conséquences s’abattront sur lui».

Le président Kagame a réitéré sa menace dans un autre discours prononcé le 5 juin 2014 à Nyabihu au Nord-Ouest du Rwanda, là même où des milliers d’habitants sont portés disparus. À cette occasion, il a promis : «Nous allons continuer à arrêter plus de suspects et si possible tuer en plein jour ceux qui tentent de déstabiliser le pays».

Quand on se souvient de ses autres déclarations similaires dans le passé et du nombre de personnes qui ont été exterminées par l’armée rwandaise sous son commandement, l’on se dit que le pire est peut-être même à venir.

Pour ne citer qu’un exemple, parlant de la guerre en République démocratique du Congo (RDC), le président Kagame a déclaré «Nous sommes allés au Congo, nous avons abattu ceux qu’il fallait abattre et nous avons ramené ceux qu’il fallait ramener».

Rappelons que la guerre qu’il a initiée au Congo a fait plus de 5 millions de victimes. Le Rapport du projet Mapping des Nations Unis sur les violations les plus graves des droits de la personne et du droit humanitaire en RDC entre 1993 et 2003 estime que ces crimes pourraient être qualifiés de génocide s’ils étaient portés devant un tribunal compétent.


Le coût de la complaisance

Ce qui se passe actuellement au Rwanda est loin d’être une fatalité. C’est le coût de la complaisance et de l’impunité dont continue à jouir le président Kagame et ses hommes de main.

De grandes organisations de défense des droits de la personne tel que Human Rights Watch et Amnesty International, le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Reporters sans frontière, le département d’État Américain, des chercheurs universitaires et bien d’autres personnes physiques et morales ont publié des rapports qui font état de graves crimes perpétrés par le régime de Kigali.

Ces crimes couvrent tout l’éventail des violations des droits de la personne, allant des arrestations arbitraires aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité voire même de génocide en passant par des assassinats, parfois par décapitation comme ce qui est arrivé en 2010 au vice-président du Parti Vert M. Kagwa Rwisereka.

Malgré toutes ces informations, aucun élément du Front Patriotique Rwandais au pouvoir à Kigali n’a été traduit en justice pour ces crimes de masse. La seule condamnation d’agents du régime de Kigali est celle qui vient d’être prononcée par la justice Sud Africaine.

Dans le verdict du procès de tentative d’assassinat en 2010 du général Kayumba Nyamwasa réfugié en Afrique du Sud, le jugeStanley Mkharien charge de ce dossier a tenu à préciser que le complot avait des motifs politiques et émanait d’un certain groupe d’individus au Rwanda. Il a condamné quatre inculpés à huit ans de prison qui s’ajoutaient à quatre autres qu’ils venaient de passer en détention.

Même sur le plan politique et diplomatique, le régime de Kigali n’a subi aucun dommage significatif de la part de la communauté internationale. Et ce n’est pas parce que les Rwandais n’ont pas crié au secours ou n’ont pas proposé de solutions de sortie de crise. Tous les partis d’opposition et les organisations de la société civile de la diaspora rwandaise ne cessent d’implorer la communauté internationale pour qu’elle les aide à s’assoir ensemble avec le gouvernement rwandais et à régler pacifiquement leurs différends.

Une des plus récentes initiatives dans ce sens est venue des FDLR, ces rebelles rwandais qui sont en RDC. Ils ont décidé de déposer les armes et ont réclamé des négociations avec le régime de Kigali pour donner la chance à la paix.


Nos valeurs profondes interpellées

Pendant longtemps, l’on a justifié le soutien au régime de Kigali par le fait qu’il constituerait la garantie de sécurité des Tutsi après avoir arrêté leur génocide en 1994. Ce temps est révolu. Les victimes du président Kagame sont aussi bien des Hutu que des Tutsi qui partagent essentiellement le point commun de ne pas soutenir son régime répressif ou d’être perçus comme tels.

Certains se sont prononcés ou ont été soupçonnés contre son projet de modifier la constitution pour rester au pouvoir au-delà de 2017, date des prochaines élections présidentielles au Rwanda. D’autres sont des opposants déclarés ou des personnes accusées d’être en contact avec les partis d’opposition installés à l’étranger.

Le régime de Kigali doit être jugé pour ce qu’il est réellement, c’est-à-dire un régime dictatorial d’une rare cruauté. D’aucun qualifie ses méthodes comme étant de type stalinien. Dès lors, nos gouvernements en occident ne peuvent le soutenir, l’admettre dans des forums internationaux tels que le Commonwealth ou maintenir des relations diplomatiques avec lui sans entrer en flagrante contradiction avec nos valeurs profondes de liberté, de démocratie et de respect des droits de la personne.

Autant la décapitation des otages américains, britanniques et français par des groupes terroristes nous rebute, autant celle des opposants au régime du président Kagame exige des réponses fermes. L’indifférence dans de telles situations devient synonyme de complicité.