Matières putrescibles

2014/10/01 | Par Katherine Gérard

À l’heure où de nombreuses municipalités ne possèdent aucun programme de collecte des matières organiques, la ville de Sherbrooke étend son service jusqu’alors réservé aux immeubles de quatre logements ou moins. Désormais, les immeubles locatifs de cinq logements et les copropriétés qui en possèdent entre cinq et neuf seront aussi desservies.


Ces efforts visent l’atteinte des objectifs de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, qui obligera les municipalités à détourner, d’ici 2015, 60 % des matières putrescibles résiduelles des lieux d’enfouissement, y compris les boues, puis à en proscrire l’enfouissement d’ici 2020.

Le plus récent bilan de la gestion des matières résiduelles publié par Recyc-Québec faisait état de 4,4 millions de tonnes de résidus organiques générées annuellement pour l’ensemble de la province. Or, dans les faits, le taux de récupération de ces résidus se situe à moins de 21 %.

Au total, ce sont donc 3,5 millions de tonnes de matières organiques qui sont enfouies ou incinérées chaque année au Québec. De ce nombre, 1,6 millions de tonnes proviennent des municipalités.

Ainsi, bien que quelques-unes d’entre elles aient mis en place un système municipal de collecte des matières putrescibles, la plupart n’ont toujours pas pris le virage vert, cinq ans et une centaine de jours avant l’arrêt de l’enfouissement de ces matières décrété par le gouvernement du Québec.

L’objectif de détourner de l’enfouissement 100 % des matières organiques d’ici 2020 sera-t-il atteint par l’ensemble des municipalités du Québec? Pour Jacques Charbonneau, président de JORA Kompost, fournisseur de composteurs résidentiels, commerciaux et industriels, le respect de l’échéancier semble plutôt improbable.

« Je ne suis pas devin, mais puisque le passé est garant du futur… Ce que l’on remarque, c’est que les échéanciers sont sans cesse repoussés depuis de nombreuses années, en partie à cause de contraintes économiques majeures. Mais si on dit quelque chose, est-ce qu’on peut s’engager à le faire? Puis pourquoi ne pas plutôt donner le choix au citoyen de décider s’il veut faire du compostage? Il devrait y avoir des incitatifs pour cela. »

M. Charbonneau reste néanmoins optimiste quant à la suite des choses. « Est-ce que les gens vont sacrifier l’environnement pour un budget? J’en doute, même si les élus ont des priorités, et que l’environnement en souffre toujours. Bien entendu, la planète n’a pas besoin de nous, c’est pour nous que l’on doit faire tout ça, pour avoir un endroit où il fait bon vivre. Et si on ne laisse rien à nos jeunes, ils vont dire qu’on leur a laissé un paquet de troubles. Oui j’ai des doutes, mais il faut bien que quelque chose se fasse! »

Selon lui, si l’on calcule le coût du transport des matières putrescibles d’une municipalité à son site d’enfouissement, sans oublier le prix de l’essence et les taxes municipales qui augmentent sans cesse, l’enfouissement, l’incinération ou la biométhanisation sont loin d’être les solutions les plus économiques.

« Avec les coûts de détournement [des matières putrescibles], si l’on prend en compte qu’un concombre est composé à 95 % d’eau, on doit se rendre à l’évidence qu’on déplace des camions remplis d’eau et d’air, et que les gens payent pour ça. »

Si le gouvernement provincial respecte la Politique qu’il a mise en place, les usines de biométhanisation seront graduellement implantées à large échelle dans plusieurs municipalités québécoises d’importance dans les prochaines années. Or, tout le monde ne fera pas de compostage, précise M. Charbonneau.

« Je ne suis pas contre les usines, mais je suis pour un choix éclairé. Je pense qu’il faut des projets qui peuvent fonctionner. La Suède possède des usines de biométhanisation qui depuis 20 ans n’ont jamais fait leurs coûts. Pourquoi dépenser des millions pour des usines, quand la moitié servira à payer les études pour leur mise sur pied? Il faut que chacun des intervenants trouve son compte. »

Mais les citoyens sont-ils réellement prêts à s’impliquer? Selon M. Charbonneau, absolument. «Les gens veulent faire quelque chose, et ils ont à cœur l’environnement; il faut simplement leur donner l’opportunité de s’impliquer. Et lorsque les élus municipaux décident de s’impliquer, c’est un gage de succès. »

Il donne en exemple la municipalité de Saint-Jean-sur-Richelieu, qui a choisi de décider de son avenir collectivement lors d’une assemblée spéciale. Les états financiers municipaux y ont été présentés à la population, et l’option du compostage local a été considérée, réduisant significativement les coûts liés à la gestion des déchets putrescibles. Et l’argent ainsi économisé bénéficiera directement au citoyen.

Bien entendu, pour que de tels projets soient couronnés de succès, il importe de s’impliquer directement auprès de la population, mais surtout d’assurer un bon suivi. « Les gens pensent souvent que faire du compostage, c’est compliqué, que ça pue et surtout que ça prend du temps, mais c’est faux. C’est donc important dans ce genre de démarche de bien informer les citoyens et d’offrir un service après-vente de qualité, et surtout, il faut rendre ça « FFM » : facile,fun et motivant, c’est ça qui fait le succès. En tant que fournisseur, on va sur place pour une séance d’information avec les citoyens, dans des parcs par exemple. »

Pour ce chef d’entreprise, il est primordial que le citoyen fasse partie du processus. La clef du succès semble bien venir de l’implication offerte au citoyen comme le confirme également un article du Journal de Montréal : « Formation et bon composteur vont de pair. Un sondage de Recyc-Québec révèle que les gens ayant reçu une formation persévèrent au programme dans une proportion de plus de 80 % alors que dans les municipalités où on distribue massivement des composteurs sans formation, les abandons sont de l’ordre de 60 % ».

Dans un projet mis en place sur le Plateau-Mont-Royal, cette recette pour le succès a porté ses fruits : un composteur à deux chambres a été installé dans un parc, et la participation citoyenne permet une production d’une tonne de matière première par an. 

Favoriser les initiatives locales de compostage, c’est donc s’engager concrètement pour la planète, puisque le compostage « de proximité » permet de réduire les gaz à effet serre occasionnés par le transport par camion des matières putrescibles.

De plus, il favorise la fertilisation des sols de manière écologique, puisque les citoyens peuvent réutiliser le compost qu’ils ont produit. Pour renseigner tout un chacun, unecarte des sites de compostage communautaire au Québec  est disponible sur internet.

Seule ombre au tableau selon M. Charbonneau? Certaines personnes plutôt réfractaires au changement, qui ne sont pas toujours intéressées par sa formule, pourtant si simple et efficace. « J’ai fait quelques propositions de projets-pilotes qui ont été refusées. »

Mais l’objectif gouvernemental de 2020 ne se refusera pas.  Et comme disait Winston Churchill, « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».




*L’article qui précède présente des faits et témoignages concernant les succès et défis des 3R à partir des acteurs sur le terrain.  Les intervenants cités sont seuls responsables de leurs opinions et Action RE-buts ne partage pas nécessairement tous les points de vue exprimés.


 
Sources :

  1. Tableau 2.1 – Génération et recyclage des résidus organiques en 2010. Recyc-Québec, Bilan 2010-2011 de la gestion des matières résiduelles au Québec, p.8.

  2. Tableau 2.2 – Génération et recyclage des résidus organiques de provenance municipale en 2010 (en tonnes). Recyc-Québec, Bilan 2010-2011 de la gestion des matières résiduelles au Québec, p.9.

  3. A. Deschênes, « Le compostage : la clé du succès, la formation », Journal de Montréal, 18-06-05, p.57