Dossier PKP – Chapitre premier (2)

2014/10/02 | Par Pierre Dubuc

Pour lire la première partie du chapitre,cliquez ici.

Au début des années 1990, après avoir échoué dans ses négociations avec les pressiers du Journal de Montréal, PKP est envoyé en Europe par son père pour y prendre en charge le secteur de l’imprimerie. Il est responsable de l’acquisition en France de Fécomme et de Jean Didier, premier imprimeur de France, qu’il sauve de la faillite. D’autres acquisitions, dont l’actif du Groupe Jacques Lopès et Inter-Rouage, font des Imprimeries Quebecor le premier imprimeur commercial de France. Après la mort de Pierre Péladeau en 1997, une transaction majeure pour un montant de 2,7 milliards entre Imprimerie Quebecor et World Color Press, – la plus importante transaction dans l’histoire de l’imprimerie – catapulte Quebecor au rang de premier imprimeur commercial du monde avec 60 000 employés et 160 usines à travers le monde. Imprimerie Quebecor change alors de nom et devient Quebecor World.

Au cours de la décennie 1990, les actions de Quebecor ont bondi de sept dollars à 55 dollars. Le rendement du bénéfice net dépasse 30% de l’avoir des actionnaires. C’est l’euphorie. Quebecor se porte alors acquéreur de la chaîne de tabloïds Sun Media après une première tentative infructueuse. En 1996, une première offre de Pierre Péladeau, pour cette entreprise dont Rogers voulait se départir, se bute à l’opposition des journalistes et plus particulièrement de Diane Francis qui le traite de « séparatisse », de raciste et d’antisémite. Il refuse de surenchérir sur l’offre de 411 millions de dollars de Toronto Sun Publishing, qu’il considère comme exagérée. En 1998, Sun Media est de nouveau en vente. PKP remporte cette fois la mise en mettant 983 millions sur la table, soit le double de ce qui fut payé deux ans auparavant. Cette fois, les journalistes accueillent PKP comme un sauveur parce qu’il surclassait l’offre hostile de Torstar, l’entreprise de presse qui chapeautait le Toronto Star, principal concurrent du Toronto Sun, propriété de Sun Media. PKP s’exclame : « It’s a big day for Canada! »

Cependant, au début des années 2000, le vent commence à tourner. Avec PKP à la barre, l’entreprise a acheté un grand nombre d’imprimeries à la santé financière incertaine à un prix inférieur à leur valeur réelle, croyant faire une bonne affaire. Mais le marché de l’imprimé s’affaisse et Quebecor World va accumuler les déficits. En janvier 2008, Quebecor World va se placer sous les lois sur la faillite et l’insolvabilité au Canada et aux États-Unis. En 2002, un groupe de dirigeants américains de l’entreprise, appuyé par la firme Kohlberg, Kravis Roberts Co. avait offert 5 milliards pour l’achat de Quebecor World. Piqué au vif par cette mutinerie, PKP refuse net. À cette époque, l’action de Quebecor World se négociait à 40 $. En 2008, elle valait moins d’un dollar. Quebecor va rompre progressivement les liens avec son ancienne filiale en radiant de ses livres la valeur de son investissement dans l’imprimeur et en lui retirant le droit d’utiliser la raison sociale « Quebecor ».

Ce déclin était-il prévisible? Quelle est la part de responsabilités de PKP dans cette gigantesque faillite ? Plusieurs analystes ont souligné que, si l’imprimerie avait été un secteur d’avenir, Quebecor World n’en serait sans doute jamais devenue un chef de file. Bernard Bujold, le biographe de Pierre Péladeau, a déclaré : « Si Pierre Péladeau était toujours vivant, il se serait débarrassé de Quebecor World au bon moment, en pilant sur sa fierté ». Chose certaine, le magazine Forbes, la bible du monde des affaires, pose un jugement beaucoup moins élogieux sur sa direction que sur celle de son père. Dans un article publié en février 1999, Forbes publie un article intitulé « Angry Son », dans lequel PKP est décrit comme un patron arrogant et dictatorial.


Les échecs du père

Pour être juste, il faut dire que le parcours de Pierre Péladeau ne s’est pas non plus déroulé sans revers. Son incursion aux États-Unis, avec le lancement en 1977 du Philadelphia Journal, a été un échec lamentable. En 1988, dix millions se sont volatilisés dans l’aventure du Montreal Daily News, une tentative infructueuse de concurrencer The Gazette sur le marché anglophone de Montréal après la disparition du Montreal Star. Échec également de l’initiative de doter l’Abitibi d’un journal sur le modèle du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Sans oublier non plus les 10 millions envolés en fumée en 1988 dans Super-Hebdo, un méga journal de quartier, tiré à 800 000 exemplaires, qui devait éliminer tous les journaux de quartier de Montréal.

Le partenariat dans Donohue avec Robert Maxwell n’a pas été non plus de tout repos. En sérieuses difficultés financières, Maxwell n’arrivait même plus à s’acquitter des dettes accumulées auprès du fournisseur de papier Dononhue, dont il était le copropriétaire. Le 30 octobre 1989, Quebecor annonce l’achat de Maxwell Graphics pour 510 millions en argent comptant, avec une contribution de 115 millions de la Caisse de dépôt et placement. Cette transaction donne naissance à Imprimerie Quebecor (Quebecor Printing). À la mort de Maxwell en 1991, Quebecor rachète sa participation dans Donohue.

Cette association entre Quebecor et la Caisse de dépôt et placement n’était pas nouvelle. Après l’élection du Parti Québécois en 1976, Pierre Péladeau a été nommé par René Lévesque au conseil d’administration de la Caisse. L’amitié entre les deux hommes était bien connue. Après la défaite du Parti Québécois en 1970 et la défaite personnelle de Lévesque dans sa circonscription, Pierre Péladeau l’avait embauché comme chroniqueur au Journal de Montréal. En plus de soutenir Quebecor dans Donohue, la Caisse a aussi contribué à financer l’acquisition de Sun Media par Quebecor.

(La suite, vendredi)