L’autoritarisme gouvernemental? Une bien mauvaise politique!

2014/10/14 | Par Paul de Bellefeuille

Les trois médecins, (Couillard, Barrette, Bolduc) à la tête de l’État québécois, sont bien mal partis. La démocratie au 21e siècle n’est pas celle du 19e ou du 20e siècle. La démocratie du type de Maurice Duplessis ou de Jean Drapeau nous semblait bien rangée dans les livres d’histoire.

Mais une époque historique, si le contexte social et politique s’y prête, ne demande qu’à sortir des livres d’histoire. Et il semble bien que les fantômes d’un passé pas si lointain aient repris du service.

Et si on ajoute aux trois médecins, les deux maires des deux plus grandes villes du Québec, soit les maires Coderre de Montréal et Labeaume de Québec, nous sommes particulièrement bien servis par une pratique de gouvernance autoritaire. Le slogan qui leur va comme un gant est : Tu vas rentrer dans le rang! Et son corollaire : je vais faire ce que je veux!

Ces personnalités politiques éprouvent manifestement de très grandes difficultés à composer avec toutes formes d’oppositions ou de critiques. Et ces cinq dirigeants politiques sont comme les cinq doigts de la main. Ils ne peuvent se passer les uns des autres.

On le voit très bien avec le projet de loi 3 sur les régimes de retraite municipaux. Le gouvernement du Québec présente un projet de loi, les maires applaudissent. Les syndiqués manifestent. Les maires les répriment sévèrement. Les syndicats réclament le respect des contrats négociés de leurs régimes de retraite. Le gouvernement du Québec revient à la charge avec un projet de loi 3 à peine modifié. Les maires applaudissent une seconde fois.


Le ministre de la santé Gaétan Barrette et le projet de loi 10

Le projet de loi 10 sur la réforme de la santé laisse apparaître lui aussi son caractère arbitraire et autoritaire. Ce projet de loi, dans un secteur aussi important que la santé, méritait mieux qu’une solution dictée par le ministre.

La santé est au centre de nos vies en société. Nous avons besoin d’un médecin de famille. Nous ne souhaitons pas nous rendre à l’urgence de l’hôpital et y attendre indéfiniment de rencontrer les professionnels de la santé dont nous avons individuellement besoin.

Ce projet de loi, de l’avis de ceux et celles qui y travaillent ou qui observent ce milieu attentivement, n’atteindra pas ses objectifs. Qu’à cela ne tienne, le ministre entend bien y arriver et les fonctionnaires chargés de réaliser les changements prévus n’auront d’autre choix que de les appliquer. Devoir de réserve et de loyauté oblige! Le ministre détient la vérité et il va vous faire avaler de force le médicament prescrit.

Le véritable objectif n’est pas d’améliorer le système de santé. Non, l’objectif est de réaliser des économies en prétextant qu’il y a trop de bureaucratie, mais sans nous expliquer clairement le rôle de cette bureaucratie et en quoi elle serait surdimensionnée. Il y a une affirmation (trop de bureaucratie) qui a une valeur de vérité, mais sans que le ministre se donne la peine de l’exposer clairement et d’en faire la preuve.

La question de la santé est trop importante pour la laisser entre les mains d’un seul homme, aussi génial soit-il. Cette question est une affaire collective et tous les acteurs concernés, et en tout premier, les citoyens et citoyennes, doivent être consultés. Quel système de santé voulons-nous et combien sommes-nous prêts collectivement à payer pour y arriver? Une véritable consultation s’impose.


Le ministre de l’éducation Yves Bolduc et les commissions scolaires

L’autorité, la véritable autorité, fait défaut au ministre Bolduc. Alors, lui aussi y va de manière sentencieuse. Il menace les commissions scolaires de fermeture si, lors des prochaines élections dans les dites commissions, le taux de participation populaire n’est pas plus élevé que lors de la dernière élection, comme s’il y avait une corrélation entre leur rôle en éducation et le taux de participation aux élections dans les commissions scolaires. Il s’agit là de deux problèmes distincts qu’il ne faut pas confondre. Là, comme en santé, il y a une œuvre pédagogique à faire.

Et puis, si le ministre veut prendre cette pente, elle est particulièrement glissante. Que dire de la baisse constante du taux de participation aux élections provinciales? Devons-nous en conclure pour autant que ce palier de gouvernance perd de sa pertinence et qu’en conséquence nous devrions l’abolir?

J’ai l’impression que les commissions scolaires sont des institutions mortes. Qu’elles ne jouent aucun rôle valable dans notre système d’éducation. Que ce sont des coquilles vides. Qu’elles souffrent de lourdeurs administratives et bureaucratiques tout comme en santé. Comment en suis-je arrivé à intégrer ces idées reçues? Cela est certainement le résultat d’un discours hautement idéologique que l’on me sert et m’assomme depuis des années. La propagande fait son bout de chemin dans mon esprit et je finis par croire que ce qu’on me dit est pure vérité mais sans me le démontrer.

Je n’ai pas entendu le ministre de l’éducation, un médecin, mais sûrement pas un pédagogue, me faire part de ce qui va et ne va pas dans les commissions scolaires. J’aimerais bien, que le ministre Bolduc prenne le tableau, comme René Lévesque le faisait autrefois, et m’expose le problème des commissions scolaires et les solutions qu’il entend mettre de l’avant. Rien, néant. Croyez-moi sur parole! Faites-moi confiance, me dit-il, sans autres formalités.


Le ministre Martin Coiteux du Conseil du trésor

Monique Jérôme-Forget disait que la véritable autorité ne résidait pas au ministère des Finances mais au Conseil du trésor. Elle l’avait bien compris lorsqu’elle a lancé la réingénierie de l’État sans s’appuyer toutefois sur l’expertise de ses fonctionnaires. Elle s’est plutôt appuyée sur les précieux conseils des firmes d’experts externes. On sait ce qui est arrivé à son projet de réingénierie de l’État. Cela s’est résumé à réduire le personnel de la fonction publique par une politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux quittant pour la retraite ou d’en geler l’embauche.

Le ministre Coiteux, tout comme ses confrères de la santé et de l’éducation, est tout aussi autoritaire, sinon plus. Il déclare qu’il prendra les moyens pour mettre au pas les gestionnaires qui résisteraient à ses commandes de réduire les budgets des ministères et organismes et ce sans priver les citoyens et citoyennes de services. Et si ces moyens ne fonctionnent pas, il prendra d’autres moyens mais sans préciser lesquels.

Il n’écoute pas ses fonctionnaires qui établissent que la commande qui leur est demandée ne peut se réaliser sans porter atteinte aux services à la population. Il y a donc le discours politique et la réalité de la gestion de tous les jours.

Les coupures successives dans les budgets de l’État, et ce depuis des années, ont atteint le point de déséquilibre. Les gestionnaires de l’État, contrairement à ce que croit ce gouvernement et M. Coiteux, ne protègent pas leur intérêt corporatiste. Ils lancent un signal d’alarme et les autorités politiques ne veulent pas l’entendre. D’ailleurs, le récent rapport de la protectrice du citoyen donne de bons exemples des effets de la réduction des budgets sur les services aux citoyens.

Contrairement à Mme Jérôme-Forget donc, il entend utiliser les gestionnaires de l’État pour réaliser les transformations dudit État. Toutefois, il ne leur demande pas leur collaboration mais il leur donne l’ordre de le faire. M. Coiteux n’est pas plus pédagogue que ses confrères de la santé, et de l’éducation. Il en impose, c’est le moins qu’on puisse dire. Mme Jérôme-Forget se passait des fonctionnaires. M. Coiteux veut leur ordonner de faire ce qu’il commande.

Les deux types de gouvernance et de gestion sont erronés. La démocratie au XXIe siècle se doit d’être participative et consultative. Le président du Conseil du trésor ne semble pas l’avoir compris, pas plus que sa prédécesseure, Mme Jérôme-Forget.


Le premier ministre Couillard en rajoute une couche

M. Couillard, voyant ses ministres dans l’embarras et dans la difficulté qu’ils ont d’affirmer leur autorité, vient à leur secours. Le premier ministre lui-même déclare :

« Les gens du réseau public et parapublic sont des employés de l’État. C’est l’État, qui est gouverné par le gouvernement démocratiquement élu, qui prend les décisions, et c’est leur devoir de faire en sorte que ces décisions s’appliquent », a-t-il déclaré, le ton sévère, le 4 octobre dernier.

L’exemple vient donc de très haut. La plus haute autorité politique de l’État au Québec, le premier ministre lui-même, accrédite et renforce la philosophie autoritaire de ses principaux ministres.

Et c’est sans parler du ministre Moreau qui va exactement dans le même sens et dans le même esprit avec son projet de loi 3 sur les régimes de retraite. Décidément, certains s’accrochent à un modèle de gouvernance digne de Maurice Duplessis lui-même.

Devant des problèmes complexes, on décide d’appliquer la manière forte. C’est forcément, et dès le départ, voué à l’échec. Là où le premier ministre et son gouvernement devraient demander la collaboration des partenaires sociaux et des citoyens en les respectant et en les consultant véritablement, il décide de prendre la voie la plus simple, sinon simpliste, d’imposer sa vision des choses de manière autoritaire, celle-ci étant par définition la meilleure.

Mais qui a dit que la démocratie s’exerçait le jour des élections et que par la suite, il fallait laisser les députés et ministres élus exercer le pouvoir sans autres formalités démocratiques. Cela me rappelle l’école élémentaire quand le directeur nous assommait en partant, lors du premier jour d’école, en déclarant : Vos parents m’ont donné carte blanche, vous avez intérêt à vous tenir tranquille.


Les ministres économiques

Il ne faudrait pas oublier un autre groupe, soit celui des ministres à saveur économique. Ces derniers ont bien préparé le terrain pour nous faire avaler la couleuvre. Leur lecture de la situation budgétaire de l’État du Québec est particulièrement émotive. À les entendre, nous frôlerions la catastrophe. Il y a manifestement une mise en scène, sur le plan de la communication, particulièrement théâtrale. Et comme si cela ne suffisait pas, on invite à la table des acteurs universitaires, experts en économie et en fiscalité pour accroître l’effet catastrophe. Et certains médias de masse ne se gênent pas pour relayer ce message que le Québec est dans le rouge.

Avec un discours économique semblable et une mise en scène dramatique, les ténors politiques, à commencer par le premier ministre, hurlent en cœur au loup, quand il faudrait garder son calme et bien mesurer et évaluer la situation sociale et économique. L’unique solution envisagée par ce gouvernement passe par la réduction de la colonne des dépenses. Rien n’est réfléchi ou imaginé pour regarder la colonne des revenus.


Conclusion

L’attitude autoritaire de ce gouvernement, mais aussi de certains maires de municipalités, soulève des questions quant à l’exercice de la démocratie en ce début de XXIe siècle. On sent nettement la montée d’un courant politique de droite, et de représentants politiques qui s’en réclament et qui, sous prétexte d’avoir été élus, ne se sentent plus aucune obligation de poursuivre un dialogue social et politique avec les différents acteurs syndicaux et sociaux concernés.

Il suffit de prétendre avoir été élu sur un mandat de régler le dossier des retraites, comme le faisait le maire Labeaume le 6 octobre dernier, pour aller de l’avant sans respecter les contrats signés. D’ailleurs le maire Labeaume, et il le sait bien, aurait été élu sans difficulté sans même faire référence, lors de sa campagne électorale, au dossier des régimes de retraite.

Les déclarations menaçantes du premier ministre et du président du Conseil du trésor à l’endroit des fonctionnaires questionnent certainement le devoir de loyauté et de réserve exigé des fonctionnaires et auquel ils sont astreints de par la loi sur la fonction publique.

Ce devoir de loyauté à l’endroit de son employeur, le gouvernement, est-il absolu ? Comment concilier ce devoir de loyauté et sa responsabilité citoyenne dans l’exercice de son travail ?

La fonction publique s’est justement professionnalisée au début des années 60 pour être soustraite à la trop grande et trop présente influence politique dans le travail du fonctionnaire.

Il serait temps d’examiner cette question du devoir de loyauté et de réserve des fonctionnaires dans l’expression de leurs opinions politiques et administratives dans un nouveau contexte où il y a la présence des nouveaux médias sociaux.

A qui le fonctionnaire doit-il accorder sa loyauté ? Aux citoyens qu’il est censé servir ou au gouvernement qui agit comme un intermédiaire entre le fonctionnaire et le citoyen ? Le fonctionnaire, manifestement, n’a pas les coudées franches dans l’exercice de son travail encadré par un droit qui a été défini dans un contexte, celui des années 60, qui n’est plus le même aujourd’hui.

Il serait temps de permettre une plus grande latitude dans l’exercice de leur travail aux fonctionnaires, dont celle de pouvoir divulguer des informations nécessaires à un véritable débat démocratique. L’affaire Snowden aux États-Unis en est le plus bel exemple.


On peut anesthésier un patient mais pas un citoyen

Comment comprendre l’attitude des trois médecins qui dirigent politiquement le Québec. Cet autoritarisme et cette froideur dans l’exercice du pouvoir me fait penser à ces chirurgiens qui, ayant anesthésié leur patient, peuvent agir sans crainte de voir le patient regimber.

Toutefois, il n’en est pas de même pour la vie en société. Il ne faut pas croire que le citoyen ou le travailleur, sous prétexte que le gouvernement a le pouvoir de voter des lois, restera passif, sans rien dire et sans rien faire, devant ce qu’il considère être une injustice.

Les médecins-politiciens et les autres députés-ministres qui sortent l’étendard de l’autorité de la loi, par les temps qui courent, devraient méditer cette question.


La négociation c’est respecter l’autre

La négociation est, qu’on le veuille ou non, le principe majeur de la vie en société en ce début de XXIe siècle et ce dans tous les secteurs d’activités mais surtout en relations de travail. Le droit d’association, et donc de négociation, est reconnu constitutionnellement. Mais bien au-delà du droit, il s’agit dorénavant d’une valeur culturelle partagée par les citoyens et citoyennes dans tous les domaines de la vie en société.


La prochaine négociation dans le secteur public

Le vent d’autoritarisme qui souffle actuellement sur le Québec n’augure rien de bon pour la prochaine négociation dans le secteur public. Si ce gouvernement vote des lois injustes en santé, en éducation et en relations de travail (régime de retraite), qu’en sera-t-il quand le gouvernement déclarera que la négociation, avec les employés du secteur public est dans un cul-de-sac et qu’en conséquence il imposera, par décret, les conditions de travail et de salaire des employés de l’État? Décidément, les nuages s’amoncellent dans le ciel de l’automne.


La lutte de classe

Brutalement, nous voilà donc revenus à ce qu’autrefois on nommait la lutte des classes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les riches s’enrichissent sans gêne. Les pauvres et la classe moyenne s’appauvrissent. Couper en santé, en éducation, en culture, en sécurité publique, en avantages sociaux, en droits du travail, en droits parentaux, en loisirs, en protection de l’environnement, etc., c’est appauvrir la collectivité. La vraie richesse d’une nation, c’est de savoir la partager par des services publics universels et gratuits.

Finalement, user à satiété de l’argument de l’autorité comme le font les gouvernements des différents paliers, n’est-il pas tout simplement un aveu de faiblesse? Imposer sa vision de la chose publique par la force de la loi en est la preuve.