La traversée du désert

2014/10/28 | Par Julien Beauregard

Une production de J’le dis là
Texte original : Daniel Keene
Traduction : Séverine Magois
Mise en scène : Alix Dufresne
Interprètes : Rachel Graton et Marc Béland
Éclairage : Erwann Bernard
Conception sonore : Gonzalo Soldi
Costumes : Shlomit Gopher et Sarah Lachance
Assistance à la mise en scène : Alexandra Sutto
Production : Sylvain Béland et Catherine Vallée-Grégoire
Publication : Les Éditions Théâtrales

Lorsque, graduellement, les éclairages s’allument enfin, leurs faisceaux demeurent brouillés par d’épais fumigènes qui ont empli l’espace avant même que le public ait pris place. Il apparait ce qui semble être une pierre rectangulaire debout, pas plus haut qu’un enfant. Elle occupe seule un espace scénique recouvert de sable monochrome et granuleux.

Tout bien considéré, l’impression de retrouver le contexte initial du film 2001 : L’Odyssée de l’espace de Kubrick, avec ce monolithe noir qui surplombe un environnement sauvage, véritable objet de fascination, voire de vénération, n’aura rien d’insensé.

En réalité, ce que je croyais être un monolithe n’en était pas un, mais plutôt une malle que traînent comme un poids mort tantôt Paul et tantôt Hélène sur le chemin qui sépare deux villes. L’objet est symbolique du fardeau de convictions de ces exilés de la civilisation.

Il faut avoir lu le synopsis de la pièce Les Paroles de l’Australien Daniel Keene avant d’assister à la représentation qu’a mis en scène Alix Dufresne. Celui-ci agit comme une clé d’interprétation essentielle. Sinon, le spectateur est plongé dans une aventure interprétative qu’il croit se dérouler au second degré. Cette avenue n’est pas dépourvue d’intérêt et plairait certainement aux amateurs d’herméneutique littéraire et disciples de Hans-Georg Gadamer ou d’Umberto Eco (qui avait amené cette idée de clé de lecture).

Ce discours empreint de spiritualité qu’emploie Paul, interprété par Marc Béland, appelle au basculement des niveaux de sens. Il explique cette impression persistante d’assister à la mise en scène d’une allégorie. Épuisé, haletant, il s’arrête parfois pour se reposer, mais parfois aussi pour conforter sa relation avec sa foi en entreprenant des gestes rituels mettant tout son corps à contribution.

C’est sa foi qui l’amène constamment à partir, car Paul est un prêcheur itinérant qui n’a pas forcément choisi ce destin. La parole divine qu’il se voue à partager ne trouve pas oreille attentive. Pire, elle le condamne, ainsi que sa compagne, à la persécution. Pour renforcer cette dimension, le texte de Daniel Keene prévoit que Paul soit un homme noir uni à une femme blanche étant donné que de tels couples mixtes sont susceptibles d’exclusion.

Mais Alix Dufresne ne jugeait pas la chose nécessaire, puisque la réception de la christianisation s’accorde difficilement avec le Québec moderne qui entreprend (difficilement) la voie de la laïcité.

Quoi qu’il en soit, la réaction d’Hélène (jouée par Rachel Graton) se distingue de la quête spirituelle de Paul en cela que sa foi est faite d’espérance toute humaine. Elle rêve d’un foyer, d’un enfant, d’une famille. Si on pourrait la croire davantage terre-à-terre, sa présence permet à Paul de s’accrocher au réel.

Par contre, l’un et l’autre expérimentent par la force des choses, dans l’exil, dans l’épuration de leurs encrages avec la réalité, un retour à l’essentiel, un retour au primitivisme.

C’est dans cette idée que s’est renforcé ce parallèle persistant avec le film de Kubrick. Dans la dernière séquence du film, lorsque l’astronaute Bowman se dirige seul vers Jupiter où se trouve le monolithe noir, il s’en suit une suite d’images proprement psychédéliques. Cela rappelle la traversée du désert de Jésus de Nazareth, jeûnant et cherchant la sérénité.

Dans tous les cas, cette expérience intimiste ne peut faire l’économie d’une épuration des superficialités du monde, ce que la pièce d’Alix Dufresne contextualise efficacement dans sa pièce.