Attentats à St-Jean et Ottawa : terrorisme islamique ou folie meurtrière ?

2014/10/29 | Par Martin Lachapelle

Comment expliquer un tel merdier ? Représailles pour la participation du Canada à la guerre contre l’État islamique ? Problèmes de surveillance anti-terroriste ? Manque de ressources pour les cas de santé mentale et de dépendance toxicologique ? Influence néfaste de l’accessible propagande terroriste sur Internet ? Problèmes de sécurité au Parlement ? Enfin, comment réagir face à ce genre d’événements sanglants que le gouvernement Harper a visiblement récupérés, en alimentant un climat de peur via les médias, pour promouvoir la guerre au terrorisme et son projet de restriction des libertés civiles par l’instauration d’un État policier ?


Terrorisme : une étiquette à géométrie variable

Première question existentielle sur les deux attentats posée à l’émission Les coulisses du pouvoir, à RDI, par Emmanuelle Latraverse, au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Steven Blaney : « Terrorisme ou maladie mentale ? »

D’ordinaire assez articulé, le ministre Blaney a laborieusement patiné sur la question sans jamais trancher.

Puis, lundi dernier, suite au dépôt du projet de loi C-44 déjà écrit avant les attentats et visant à légitimer la « Big Brotherisation » à vitesse grand V du Canada via le Projet 5-Eyes (avec quatre autres pays), le ministre Blaney, durant son point de presse diffusé à RDI, a ressorti ses patins en cherchant à nouveau à esquiver LA question existentielle numéro 1 portant sur la nature des attentats, terrorisme ou maladie mentale :

« Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que les attentats étaient du terrorisme ? »

Réponse étonnante du ministre, décontenancé : « Euh… je vous invite à regarder la définition du terrorisme. »

Voilà ce qu’on appelle rater son triple axel. Car nous inviter à consulter « la définition du terrorisme », quand il en existe en fait plus d’une centaine, peut déboucher sur d’étonnantes découvertes et sur la réflexion qui s’impose au sujet de l’étiquette à géométrie variable du terrorisme…

Si personne ne sera étonné de savoir que le terrorisme se rapporte à différents crimes souvent violents commis au nom d’une cause quelconque (politique, religieuse, idéologique), plusieurs seront toutefois surpris d’apprendre que la définition du Petit Robert ne se limite pas qu’à la prise ou à la déstabilisation d’un gouvernement par un attentat. Elle renvoie également à la conservation et à l’exercice du pouvoir. Ce qui signifie par conséquent que le terrorisme n’est pas que l’affaire des rebelles mais aussi celle de certains gouvernements.

Des gouvernements qui feraient n’importe quoi pour garder leur emprise sur le pouvoir. Ou l’étendre ailleurs, grâce à de « bons » dictateurs vendus à leurs intérêts économiques. Comme les USA, avec le coup d’État au Chili, 28 ans jour pour jour avant le 11 septembre 2001… (Toutes les formes de conquête, de colonisation et de déstabilisation contre des pouvoirs déjà établis furent autant d’exemples de terrorisme. Parlez-en aux peuples autochtones.)

Plus récemment, une enquête a mentionné que la CIA a encouragé des citoyens américains à commettre des attentats terroristes pour ensuite les arrêter. Un peu comme le gouvernement fédéral et la GRC ont fait en créant au moins une fausse cellule felquiste et en commentant des actions illégales, tout en maintenant artificiellement en vie le FLQ bien après la Crise d’Octobre. Question d’associer cette organisation terroriste au PQ et ternir la légitimité du nationalisme et de l’indépendantiste québécois, en freinant la montée du parti DÉMOCRATIQUE de René Lévesque.

Au bout du compte, pour Jason Burke, « expert de l’activité islamique radicale » et auteur du livre Al-Qaeda: The True Story of Radical Islam, les définitions du terrorisme seraient, par définition (!), toutes subjectives…

Les USA de Reagan auraient d’ailleurs eu beaucoup de difficultés à composer une définition du terrorisme qui les excluait de toutes responsabilités, selon Edward Peck, ancien directeur adjoint d’un organisme gouvernemental américain axé sur la lutte au terrorisme (Task Force).

Est-ce que Steven Blaney est bien certain de vouloir nous renvoyer à la définition (complète) du terrorisme ?

Si l’on considère que le terrorisme vise à terroriser non pas seulement un gouvernement mais aussi une population ou à tout le moins une partie de celle-ci, et si l’on réalise que les grands médias ont rapidement propagé la thèse du terrorisme soulevée par le gouvernement fédéral, avant même le point de presse de la GRC, comment expliquer que d’autres attentats meurtriers commis au nom de différentes causes politiques et idéologiques ont pourtant été jugés à l’unanimité, par ces mêmes grands médias, comme étant de simples cas isolés de folie meurtrière ?

La question mérite quand même d’être posée, puisque les « simples fous » Denis Lortie, Marc Lépine et Richard Bain nous avaient déjà malheureusement tous habitués à ce genre d’événements sanglants, même si l’étiquette de « terroriste » ne leur fut pourtant jamais accolée… Terrorisme antiféministe dans le cas de Lépine et terrorisme fédéraliste anti-péquiste pour Lortie et Bain, avec en plus la francophobie en prime pour ce dernier.

La définition du terrorisme du ministre Blaney exclurait-elle le terrorisme canadian radical ultra-fédéraliste, francophobe et anti-péquiste ? Car le premier ministre Harper n’a jamais employé le terme « terrorisme » pour décrire l’attentat du Métropolis commis par Richard Bain, en se disant seulement  «  furieux et peiné qu'un exercice démocratique soit entaché par un événement violent », selon des archives consultées sur Wikipédia.


Récupération et terrorisme « utile »

Très peu de chroniqueurs québécois ont parlé de la récupération rapide par le gouvernement Harper de l’attentat de St-Jean-sur-Richelieu ET de la problématique de l’étiquette à géométrie variable du « terrorisme », comme Josée Legault et Marc-André Cyr, dans « Le terrorisme utile ».

La thèse de la récupération politique fut également avancée par un journaliste étranger, Glenn Greenwald, journaliste américain ayant contribué à la publication des documents de l’ex analyste de la NSA, Edward Snowden, qui a accusé le gouvernement Harper d’attiser la peur dans la population pour justifier l’imposition de mesures antidémocratiques. (Et la guerre contre l’État islamique.)

Greenwald déplore aussi l’inefficacité des techniques de surveillance massive des communications du commun des mortels (Projet 5-Eyes) qui négligent l’attention soutenue sur les cas les plus à risque.

Chose certaine, la rapidité avec laquelle le deuxième tueur a pu pénétrer dans la prétendue « maison du peuple » a assurément démontré l’inefficacité de la sécurité entourant les élus. En plus d’appuyer la thèse que le gouvernement Harper aurait délibérément récupéré l’attentat de St-Jean-sur-Richelieu en criant à la menace terroriste sans trop y croire lui-même, puisque la sécurité n’avait visiblement pas été renforcée au Parlement…

Retour à la 1ère question existentielle : terrorisme ou maladie mentale ? Et si c’était les deux ?

Pendant que certains grands médias blâment Internet pour son pouvoir de propagande utilisé par de dangereuses organisations terroristes, alors qu’ils diffusent pourtant eux-mêmes toutes les nouvelles concernant le terrorisme, il serait peut-être temps que la presse jalouse de l’influence grandissante des réseaux sociaux se regarde dans le miroir. Le terrorisme existait bien avant le Web.

Richard Martineau, dans un billet sur son blogue intitulé « Terrorisme : appelons les choses par leur nom », déclarait d’ailleurs après le 1er attentat : « La première fois qu’un terroriste islamiste va frapper le Québec, on va tenter de minimiser le rôle qu’a joué la religion dans son cheminement »

Étrangement, Richard Martineau n’a jamais dénoncé l’attentat du Métropolis en parlant de terrorisme fédéraliste. Richard voulait-il minimiser le rôle du contrôle fédéraliste des médias radicalement allergiques au PQ dans le cheminement de Richard Bain ?

Or, ce n’est certainement pas avec une définition à géométrie variable du terrorisme que nous nous arriverons à le limiter. (Ni en incluant une condition de groupe organisé.) Car Si TOUTES les formes de terrorisme sont condamnables, AUCUNE ne devrait donc être hiérarchisée sur une échelle de gravité.