26 lobbyistes engagés pour promouvoir le projet Cacouna

2014/10/30 | Par Rose St-Pierre

Le projet d’Oléoduc Énergie Est de TransCanada prévoie la construction d’un port pétrolier qui recevra le pétrole brut d’Alberta et de Saskatchewan via le pipeline. Ce pétrole, précédemment stocké dans différents réservoirs, sera chargé sur des pétroliers d’une capacité de 120 000 à 150 000 tonnes de pétrole.

Le terminal en question devra pouvoir accueillir ces navires qui auront jusqu’à 275 m de long, ce qui signifie qu’une jetée de 500 mètres pouvant accueillir deux bateaux simultanément devra être construite. Les chargements se feront au rythme de 2 à 4 par semaine, peu importent les saisons. Actuellement, le lieu retenu par TransCanada pour y construire le terminal maritime est Gros Cacouna.

L’endroit retenu sème la controverse principalement parce que le secteur marin environnant est considéré comme une pouponnière à bélugas, une espèce emblématique en péril qui subit un déclin inexpliqué depuis les dernières années. La pétition s’opposant au projet de terminal maritime mise en ligne par le groupe « Nature Québec » dépasse maintenant les 45 000 signatures.

Mais les impacts environnementaux ne s’arrêtent pas aux perturbations sur l’habitat naturel des bélugas. Le secteur de Cacouna est entouré de zones protégées : le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent situé sur la rive nord et la Réserve nationale de faune de la baie de L’Isle-Verte et ses zones de marais protégées est à vol d’oiseau du port.

À cela, il faut ajouter tous les mammifères marins et espèces d’oiseaux divers évoluant dans le secteur de Cacouna. En somme, le secteur entourant le futur port pétrolier est un « frigo pour les mammifères et les oiseaux » résume le titulaire de la chaire de recherche du Canada en écotoxicologie moléculaire en milieu côtier, Émilien Pelletier.

Cela signifie qu’en cas de déversement de carburant ou pire, de pétrole brut, l’impact sur la biodiversité est décuplé : « Le même port, dans un endroit moins exposé à la présence d’animaux marins ou d’oiseaux serait sujet à beaucoup moins d’impact », explique M. Pelletier.

Si les accidents pétroliers sont rares, les accidents lors des opérations portuaires sont plus fréquents en cours de transbordement, particulièrement en cas de déversement de carburant, explique le professeur en océanographie chimique.

Les risques liés au transport de pétrole ne s’arrêtent pas à l’hypothèse d’un déversement. Les pétroliers dont le réservoir est vide doivent équilibrer le bateau en le remplissant d’eau de ballast pour faciliter sa navigation.

Dans le cas des pétroliers, la quantité d’eau ballastée se situe entre 50 000 et 60 000 tonnes d’eau qui sera rejetée près du port. Cette eau pourrait être contaminée ou contenir des espèces étrangères qui seraient alors introduites dans le milieu marin.

Les conditions hivernales à Cacouna sont particulièrement difficiles, alors que la glace marine mobile se compacte sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent à cause des vents dominants. Cela rend la navigation du côté sud plus complexe. Si un déversement se produit en hiver, « c’est sans appel comme c’est pratiquement impossible de séparer le pétrole de la glace », affirme M. Pelletier.

Les forts courants de marée et la glace mouvante rendent trop risqués l’envoi de zodiacs et encore moins d’estacades qui, dans ces conditions, sont complètement inutiles.

En période estivale, c’est l’impact sur les oiseaux « très nombreux et très diversifiés » qui est plus élevé. Les oiseaux confondent le pétrole flottant avec de la nourriture. Curieux, ils se retrouvent le plus souvent piégés dans la nappe d’hydrocarbure. Une fois recueillis et nettoyés, les oiseaux doivent être gardés en enclos pour éviter qu’ils ne retournent dans la mare de pétrole. De plus, la période de mai à octobre correspond également à la plus forte fréquentation du secteur marin par les femelles bélugas et leurs petits.

Face à ces multiples considérations environnementales, la sélection du secteur de Cacouna par TransCanada pour y construire un port pétrolier de cette ampleur laisse perplexe.

TransCanada, qui n’a pas répondu à notre demande d’entrevue, se fait évasif à ce sujet. Selon Émilien Pelletier, ce sont « des arguments économiques » qui motivent essentiellement ce choix. Le professeur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski s’interroge sur le rejet de la ville de Matane, où les effets nocifs sur la biodiversité et les difficultés de navigation en hiver sont modestes. On peut tout de même supposer « qu’une rallonge de 200 km d’oléoducs de plus vers Matane serait trop coûteuse. »

Par contre, en cas de déversement au port pétrolier de Cacouna, même minime (c’est-à-dire quelques dizaines de barils de pétrole), la facture de nettoyage peut s’élever jusqu’à 10 000 000 $ estime Émilien Pelletier. À ce sujet, le petit accident de Sept-Îles, en 2013, où 5000 litres de pétrole se sont retrouvés dans le Saint-Laurent avait coûté 17 000 000 $ à la compagnie.

En revanche, il ne revient pas nécessairement à TransCanada de s’acquitter de ces frais. En effet, l’entreprise pourrait désigner l’armateur de bateau sur lequel est chargé le pétrole comme responsable du déversement. La responsabilité de TransCanada, expert en transport par pipeline et non en transbordement maritime, s’arrêterait ainsi au bout du tuyau de déversement.

Le projet de terminal maritime à Cacouna doit avant tout recevoir l’aval du gouvernement. Cependant, les autorités fédérales et provinciales ont fait preuve, au courant des derniers mois, d’une volonté de précipitation des travaux mal expliquée.

Le jugement de la Cour supérieure du 23 septembre dernier révélait qu’il avait eu « une faille dans le processus décisionnel du ministre » de l’Environnement, David Heurtel, au sujet des forages menés en milieu marin à Cacouna.

Selon la juge Claudine Roy, « aucun des représentants du ministre ayant travaillé sur ce dossier ne connaît les mammifères marins ». Le jugement mentionne aussi le refus de la pétrolière de répondre aux demandes de Québec concernant la soumission d’un avis scientifique de Pêches et Océans Canada, un refus auquel se soumettra finalement David Heurtel en signant le certificat d’autorisation.

À ce sujet, Claudine Roy mentionne que « rien dans la preuve n’explique actuellement ce revirement de situation. Rien dans cette lettre n’explique pourquoi les hésitations et inquiétudes du ministre devraient être écartées ».

M. Cannon, ancien candidat du Parti libéral du Québec dans Taschereau en 2007 et attaché de presse de Line Beauchamp, est maintenant porte-parole francophone de TransCanada. La pétrolière a inscrit 26 lobbyistes au registre québécois pour faire la promotion de son projet Énergie Est, qui fera du Québec le plus important carrefour de production de pétrole albertain.