Vers une fonction publique parallèle?

2014/11/04 | Par Paul de Bellefeuille

La fusion de certains bureaux (Montréal, Laval, Montérégie) du MIDI (Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion) dans la grande région de Montréal, annoncée par le gouvernement, n’est pas qu’une simple mesure de rationalisation. De même, l’annonce de l’abolition prochaine de plusieurs directions régionales du MIDI (Québec, Sherbrooke, Gatineau, Trois-Rivières) n’est pas une bonne nouvelle.

Les conséquences de cette décision vont bien au-delà de ses effets, bien qu’importants, sur l’emploi et l’économie régionale. Le message envoyé par le gouvernement, et reçu par ceux et celles qui arrivent au Québec, est clair. Il n’est pas important que l’État québécois vous accueille correctement et vous explique ce qu’est la culture et l’histoire du Québec de manière uniforme sur l’ensemble du territoire québécois.

Il n’est pas fondamental que vous soyez dirigés correctement vers les ressources nécessaires à votre pleine intégration à votre communauté et société d’accueil par l’État. Il n’est pas capital que vous sachiez dès votre arrivée que la langue officielle et commune au Québec est le français.

Bref, il n’est pas essentiel que vous soyez rapidement en possession des différents codes culturels nécessaires à votre pleine intégration à votre nouveau chez vous.

Dorénavant, le MIDI confierait, entre autres, cette tâche à des groupes communautaires en complémentarité avec le MIDI. Cette nouvelle orientation politique va aussi dans le sens de déclarations de certains ministres et semble bien devenir le mot d’ordre pour l’ensemble de l’administration gouvernementale.

À tire d’exemple, les propos du ministre de l’économie Jacques Daoust, le 4 octobre dernier, ne trompent pas quand il dit : « L’Économie sociale est une économie importante sur laquelle on ne compte pas assez. L’économie sociale a un meilleur crédit que l’économie en général. Il n’y a pas de mal à développer ça ».

Le ministre des Finances est encore plus percutant. M. Carlos Leitao affirme le 28 octobre qu’ « il n'incombe pas automatiquement à l'État de livrer les services publics. À titre d'alternative, il a évoqué ‘‘un réseau étatique’’ d'organismes communautaires, plus flexible et moins coûteux pour l'État ». Et il ajoutait : « Le ministre a expliqué que le gouvernement n'était ‘‘pas dogmatique en ce qui concerne la livraison des services’’. Qu'ils soient livrés par l'État ou par des organismes à but non lucratif, les services publics doivent être accessibles et c'est ce qui prime », a-t-il soutenu.

Décidément, ce gouvernement semble vouloir accorder une place de plus en plus importante au secteur de l’économie sociale. Le secteur de l’économie sociale et communautaire deviendrait donc la cinquième roue du carrosse de l’État et à moindre coût. Cela va aussi dans le sens de la loi sur l’économie sociale qui fut adoptée à l’unanimité en 2013 par l’Assemblée nationale.

Cet enthousiasme pour l’utilisation du secteur communautaire et de l’économie sociale pour offrir les services publics à moindre coût ne semble pas particulièrement partagé par le milieu communautaire.

Dans un communiqué du groupe Je soutiens le communautaire, la réplique ne s’est pas fait attendre. On peut y lire : « En affirmant que les organismes communautaires pourraient livrer les services et programmes que l’État souhaite délaisser, monsieur Leitao démontre que le gouvernement ne veut pas assumer ses responsabilités face aux services publics ni reconnaître ce qui distingue les organismes communautaires autonomes des services publics ».

Mais les différents acteurs identifiés à l’économie sociale ne sont pas unanimes. Certains sont plutôt favorables aux orientations gouvernementales. Ainsi, le Chantier de l’économie sociale ne tarit pas d’éloges à l’endroit du ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations.

Mme Nancy Neamtam, présidente-directrice générale du Chantier déclarait, dans un communiqué le 3 octobre dernier, « qu’elle tenait à saluer les propos de M. Daoust qui, lors de son allocution, en parlant des perspectives économiques au Québec , a reconnu l’importante contribution de l’économie sociale dans le développement économique québécois, une ‘‘vraie économie selon lui’’ trop souvent méconnue des milieux d’affaires et financiers ».

L’économie sociale est très valorisée par ce gouvernement. L’annonce le 2 juillet dernier de la création d’une Table des partenaires pour conseiller le ministre de l’économie, Jacques Daoust, quant à la mise en œuvre de la Loi sur l’économie sociale et au développement du Plan d’action gouvernemental en cette matière, démontre l’importance qu’accorde ce gouvernement à ce secteur particulier de l’économie.

Les propos entendus récemment par différents ministres (Daoust, Leitao, Coiteux) ne font plus aucun doute. L’objectif est de sous-traiter une part de plus en plus grande des services publics au secteur de l’économie sociale. Il faudra donc être très attentif quand sera déposé le Plan d’action gouvernemental d’ici la fin de l’année. Ce Plan indiquera concrètement les intentions du gouvernement.

La question suivante se pose : assisterions-nous à l’émergence d’une fonction publique parallèle et ce tant en santé, en éducation que dans la fonction publique ? Les propos entendus par différents ministres semblent de plus en plus le démontrer. Toutefois, cette orientation a-t-elle été bien évaluée ? Est-ce que le gouvernement a réfléchi à ce que cela implique au-delà de la réduction des dépenses de L’État? Finalement, est-ce que l’État n’est pas, tout simplement, en train de se déresponsabiliser  en soutenant le développement du secteur de l’économie sociale ?

Si on reprend l’exemple du MIDI, peut-on sérieusement croire que les différents acteurs identifiés à l’économie sociale, malgré toute leur bonne volonté, sont aptes à assumer une fonction aussi importante et déterminante pour l’avenir culturel de la société et de la communauté québécoise, qui est celle de l’accueil et de l’intégration d’environ 50,000 nouveaux arrivants chaque année ? Permettez-moi d’en douter. C’est à l’État de le faire.

L’exemple du MIDI illustre à merveille les transformations en cours quant au rôle de l’État. Le gouvernement cherche par tous les moyens à se désengager de certaines de ses responsabilités sous prétexte qu’il n’aurait plus les moyens financiers de remplir ses missions à même son appareil administratif. Mais cette philosophie, pardon idéologie, de confier au secteur privé, y compris à celui de l’économie sociale, les fonctions de l’État est la parfaite illustration d’un Québec en voie accélérée de désintégration de son tissu social.

Combattre la politique d’austérité budgétaire de ce gouvernement signifie défendre l’État social que le peuple québécois s’est donné. C’est donc un rendez-vous à la manifestation du 29 novembre prochain.