Une expérience d’intégration des immigrants, en phase avec Miron

2014/11/05 | Par Julien Beauregard


Qu’on enseigne Gaston Miron au Cégep peut sembler naturel dans le programme d’Arts et lettres, mais ce n’est malheureusement pas la norme. Même de telles icônes de la condition québécoise tendent, avec le temps, à s’effacer de la mémoire. Il faut féliciter Gilles Bélanger pour avoir mis le pied dans cette flaque d’eau stagnante avec le projet des 12 hommes rapaillés.

Bien entendu, il ne suffit pas de marteler le nom de Miron pour que sa mémoire transcende les générations. Il suffit d’emprunts ludiques pour changer la donne. En 2012, le poème «La route que nous suivons» inspira aux manifestants du Printemps érable le slogan «Nous sommes des bêtes féroces de l’espoir».

Quant à lui, le poème «Liminaire» qui ouvre L’homme rapaillé a inspiré une poignée de citoyens qui ont tenu, dès mars 2011, une vigile hebdomadaire au Champ-de-Mars intitulée «Nous sommes arrivés à ce qui commence» qui a culminé avec le spectacle Nous? en avril 2012. Ce même slogan a également été vu sur les affiches et sur les lèvres des étudiants du Printemps érable.

Ce slogan vient du poème «Liminaire» de Miron. Il va comme suit : «J’ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant / il y a longtemps que je ne m’étais pas revu / me voici en moi comme un homme dans une maison / qui s’est faite en son absence / je te salue, silence / je ne suis pas revenu pour revenir / je suis arrivé à ce qui commence.»

Pour le co-auteur de la pièce Moi et l’autre Pascal Brullemans ce poème, et surtout ce dernier vers, est en phase avec le thème de sa pièce : l’intégration des immigrants. Ce qui commence, selon lui, c’est l’aventure des ces nombreux jeunes immigrants qui emplissent, parfois majoritairement, les salles de classe des écoles primaires et secondaires.

Talia Hallmona a sollicité l’aide de Pascal Brullemans pour écrire le récit de sa propre expérience d’intégration dans lequel quelques libertés ont été prises pour le besoin de la narration, ce qui veut dire qu’il n’est pas entièrement authentique. Le résultat est cependant riche et dynamique.

La scène est partagée avec Marie-Ève Trudel qui interprète Julie, une figure de son peuple d’accueil que Talia Hallmona perçoit au départ comme un idéal à atteindre dans sa quête d’identité. Cette idéalisation de Julie la décevra jusqu’à un certain point, ce qui l’acculera dans la tentation de repli identitaire.

Talia Hallmona est égyptienne de par son père et italo-grecque de par sa mère. La chose n’est pas simple à expliquer, surtout pour elle-même. Cependant la poésie de Miron agira comme une assise, comme une solution au mystère de son identité propre. Miron, pour elle, est le poète de l’identité.

Les récits sur l’intégration comme celui-là ne sont pas nouveaux, mais il est intéressant de voir qu’un objet culturel comme l’œuvre de Miron puisse donner les outils nécessaires pour réaliser cette quête d’identité.

À un moment de la pièce, elle parle du fait qu’elle a lu tous nos livres, écouté toute notre musique et regardé tous nos «maudits téléromans». Or, consommer des objets culturels québécois ne fait pas soi un bon Québécois.

Depuis que les Conservateurs à Ottawa sabrent dans les budgets consacrés à l’aide aux artistes, ceux-ci plaident pour le soutien aux artistes en consommant de la culture comme on doit se gaver d’oméga-3.

Fred Pellerin a dit un jour que la culture, ce n’est pas le nombre de disques compacts ou le nombre de livre qu’on achète, ou le nombre de billets vendus au cinéma, mais ce que deux personnes ont à se dire. En d’autres mots, une culture riche est d’abord faite dans la matière de son peuple, une matière vivante. Pour Talia Hallmona, ou pour n’importe qui d’autre, être Québécois est quelque chose qui se vit et non qui se consomme.

Le matériau de Miron, ce sont des mots extirpés dans le patrimoine québécois, dans une perspective de décolonisation. Lorsqu’il a écrit qu’«il y a longtemps [qu’il ne s’était] pas revu», il parle de sa propre désaliénation. Miron parle d’identité, certes, mais d’identité nationale surtout affligée par son complexe de colonisé, un concept qu’on aurait tort de qualifier de vieillot.

«On ne nait pas Québécois, on le devient», a déjà dit Jacques Parizeau. La leçon vaut autant pour Talia Hallmona que pour n’importe qui d’autre, indépendamment de ses origines. Si les récits d’intégrations réussies sont en vogue, il serait novateur de voir apparaitre celui d’un Bouchard de Saguenay qui parvient à réaliser la sienne.


Auteurs : Talia Hallmona et Pascal Brullemans
Mise en scène : Michel-Maxime Legault
Avec : Talia Hallmona et Marie-Ève Trudel
Éclairage : David-Alexandre Chabot
Composition musicale : Laurier Rajotte
Décors et costumes : Elen Ewing
Direction technique : François Martel et Simon Cloutier
Régie et assistance à la mise en scène : Mariflore Véronneau
Une production Théâtre Fêlé

Présenté jusqu’au 8 novembre 2014