Un Couillard au mépris de la langue de sa Souveraine

2014/11/07 | Par Christian Néron

L’auteur est membre du Barreau du Québec, constitutionnaliste, historien du droit et des institutions.

Pour nous qui vivons sous une constitution où la reine d’Angleterre est le chef de l’État, il peut être éclairant, et même utile, de comprendre l’évolution et le statut de la langue française dans ce royaume. Compte tenu des injures toutes récentes de Philippe Couillard à l’égard de cette langue, les quelques explications qui suivent lui sont dédiées tout particulièrement, ainsi qu’aux autres progressistes qui ont trouvé une nouvelle façon de se rabaisser sous prétexte de s’ouvrir sur le monde.

Pendant des siècles, la langue française a été la langue d’usage du roi et de ses barons, la langue aussi du Parlement de Westminster et de l’administration de la justice. Le déclin de cette langue s’est fait graduellement, sur plusieurs siècles, et non d’un seul trait comme on est souvent porté à penser.

Sur le plan judiciaire, le français était si bien établi qu’il n’a décliné que fort lentement, sur une période de près de quatre siècles. Ce déclin a commencé en 1362 suite à l’adoption d’un statut par le Parlement de Westminster qui autorisait les justiciables anglais à s’adresser au tribunal dans leur langue maternelle. Ce revirement témoignait de l’influence grandissante de la bourgeoisie anglaise et de son rôle devenu prédominant dans les revenus du roi. Il s’agissait d’une dérogation à la règle immémoriale qui avait fait du français la langue du roi, de la justice, de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine ; mais le roi, qui venait de s’engager dans un long conflit avec la France, devait se montrer conciliant avec sa riche bourgeoisie.

Toutefois, malgré le nouveau statut de la langue anglaise devant les tribunaux, les avocats interprèteront cette loi restrictivement et persisteront pendant des siècles à plaider en français ; les juges à rendre leurs jugements en français ; et les juristes à écrire leurs ouvrages dans cette langue. Quant aux étudiants en droit, leurs professeurs insisteront pour qu’ils continuent d’étudier le droit anglais en français, et ce, jusqu’au premier tiers du XVIIIèmesiècle dans certains cas.

Sur le plan du pouvoir exécutif, le roi et ses barons continueront à s’exprimer et à écrire en français jusqu’au XVème siècle. Curieusement, c’est lorsque Henri IV – roi d’Angleterre – deviendra régent de France suite au traité de Troyes de 1420, que des notes et des dépêches échangées entre le roi et ses barons apparaîtront graduellement en anglais.

Sur le plan législatif, la langue française remplacera le latin dès le début du XIIIème siècle, puis demeurera la seule langue de la législature jusqu’à l’élimination de la dynastie des Plantegenêts par les Tudors en 1485. Sur la plan judiciaire, les jugements du Banc du roi seront, dans certains recueils, publiés en français jusqu’au début du XVIIIième siècle.

En ce qui a trait à la langue officielle et patrimoniale du souverain, le remplacement de la dynastie des Plantegenêts au profit des Tudors ne changera en rien le statut du français. Tout au long de l’histoire de la monarchie anglaise, depuis les premiers rois normands, il avait toujours été établi que le souverain était en titre « roi des Anglais » ou « roi d’Angleterre », évitant de le nationaliser en lui octroyant le statut de « roi anglais ». Tout au cours de la dynastie des Plantegenêts, de 1152 à 1485, les souverains continueront, sans interruption, à porter le titre de « roi des Anglais ». De la sorte, la langue patrimoniale de la monarchie anglaise demeurera le français, fait qui ne sera jamais remis en question par le patriotisme ou le nationalisme des Anglais.

Quant aux Tudors, bien qu’Anglais de naissance et de langue maternelle anglaise, ils ne vont rien changer à cette tradition qui distinguait la royauté de la nation. En fait, la royauté, en Angleterre, ne sera jamais « nationalisée » et le français continuera à être la langue officielle et patrimoniale de la monarchie. Cette attitude, surprenante à première vue, découle d’une fiction légale qui proclame que « le roi ne meurt jamais ». L’existence constitutionnelle du roi se distingue ainsi de celle des personnes naturelles qui en portent le titre du jour de leur couronnement jusqu’à leur décès : « Le roi est mort, vive le roi ! »

De sorte que, tout au cours de l’histoire législative de l’Angleterre, jamais un roi ne donnera sa sanction à un projet de loi dans une autre langue que le français. Encore aujourd’hui, la reine Élisabeth est tenue de donner son assentiment aux projets de lois qui lui sont soumis dans sa langue patrimoniale : le français. Une sanction donnée par mégarde en anglais serait tenue pour inconstitutionnelle et nulle de nullité absolue. Le Parlement de Westminster, qui a plusieurs fois légiféré sur la langue, a toujours douté de l’opportunité d’intervenir pour réformer de quelque façon le statut légal de la langue du souverain. La même remarque s’applique aux armoiries du souverain en tant que roi d’Angleterre, elles aussi laissées en français.

Au cours de l’histoire du Canada, nos Zanglais ont souvent tenté de justifier l’usage de l’anglais en prétendant que le respect de la langue du roi et de l’Empire s’imposait par la force des choses. Il aurait été plus précis, plus juste, et plus direct de dire que les Canadiens devaient « s’incliner et se soumettre » à l’usage de la langue anglaise par respect pour la « dignité coloniale » de ses immigrants venus des îles britanniques : le simple fait d’une petite croisière jusqu’ici leur aurait conféré, faut-il comprendre, un statut résultant d’une certaine éminence, les propulsant ainsi au-delà même des lois du Canada en matière de langue !

Sur la plan légal, il nous faut le rappeler, le français est devenu langue officielle du Canada en vertu de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts mise en vigueur sur le territoire de la Nouvelle-France en 1663, ordonnance oubliée et méprisée par notre premier ministre, mais jamais abrogée.