Un objet de fascination dans la lorgnette de l’absurde

2014/11/11 | Par Julien Beauregard

S’il y a une chose que Stephen Harper a oublié de mentionner dans son homélie sur la guerre de 1812, c’est que cette guerre de frontières n’aura pas arrêté l’engouement pour cet art de vivre qui s’est dessiné autour de la musique country.

Au Québec, dans le reste du Canada et aux États-Unis, la popularité de ce phénomène dépasse les frontières du temps et des modes. Elle demeure aussi constante qu’une plaine peut être plate. Ici, le country a longtemps été une affaire des milieux ruraux avant que les médias ne le redécouvrent vers la fin des années 90 et en fasse un objet culturel à intellectualiser.

Voilà justement que trois complices de théâtre, Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande présentent à La Licorne un exercice ludique d’exploration de cet univers, mais également celui du folklore et de la tradition orale, le tout avec ludisme.

La pièce est composée de scénettes ayant parfois un lien entre elles. La musique y est très présente, voire prédominante grâce à la collaboration d’Yves Morin. Les autres comédiens s’y mettent aussi, mettant à contribution banjo, guitare et ukulélé. Ne manque que l’harmonica.

Avec des histoires comme celle du hibou qui hante les pensées d’une animatrice de parc d’attraction animalier, celle de ces dieux païens à l’origine du monde ou celle de cet artiste qui produit un slam à la sauce country dans un bar western, l’absurde semble être au cœur de la pièce et il semble ne laisser aucune place à une lecture au second degré. Or, l’œuvre du trio de créateurs n’est pas dénuée d’intérêt analytique.

Un rappel se doit d’être fait à propos du folk pour ceux qui l’ignorent peut-être : cela n’a rien à voir avec notre musique folklorique. Ses racines sont anglo-saxonnes, ses pionniers comptent parmi leur nombre Bob Dylan, Leonard Cohen et Woodie Guthrie. On est loin de la Soirée canadienne.

Lorsque, au cours de la pièce Oh lord, Dolly Parton se manifeste pour consoler une serveuse de bar en peine comme on l’a vu faire dans ces films pour enfants dans lesquels elle a participé, il va de soi que l’inverse n’aurait pas été possible. Imaginons un peu qu’on produise un disque hommage à Willie Lamothe made in USA. La chose n’est tout simplement pas envisageable. L’apport à cette culture est-elle à sens unique?

Le fait est que le folk, comme le country, est un objet de fascination. Alors que Nashville au Tennesse est considéré comme la capitale du country, beaucoup d’artistes québécois y voient là un lieu de pèlerinage. Bien que le Québec ait vu passer des grands noms du country, ceux-ci ont souvent fondé leur carrière sur des reprises musicales d’artistes américains, peut-être un peu pour jouer aux passeurs de cette culture.


Il serait toutefois malsain de les considérer comme un cheval de Troie de l’américanisation du Québec. Les artistes ne font parfois que tendre un miroir et combler ainsi un besoin latent.

Dans le même ordre d’idée, la pièce aborde également le traitement de notre propre folklore. La nature des clichés que les Français partagent à cet égard paraissent aussi élémentaires que ce que nous concevons nous-mêmes dans un ordre général.

Dans un tour de force narratif, les comédiens s’adonnent à une narration en accéléré des Filles de Caleb, un téléroman qui incarne, avec le Temps d’une paix, les seuls morceaux de mémoire collective auxquels se réfèrent une bonne majorité des gens. Le résumé est bien simple : il y a Émilie, Ovila et leur famille respective dont les membres meurent un après l’autre tandis qu’Émilie produit une marmaille nombreuse, dans la misère, en l’absence d’Ovila qui est toujours parti au bois.


Que penser de la reconstitution du soulèvement des Patriotes sous la forme d’une bataille épique qui oppose le général Gore et le docteur Nelson? L’absurde va jusqu’à prononcer la victoire des troupes de Papineau et dans laquelle la loi 101 marque le sceau de cette victoire.

Concluons que la troupe du Projet Bocal est parvenue à traiter de notre rapport complexe avec notre américanité sans manquer un seul instant d’humour. Effectivement, il vaut mieux en rire.


Texte et mise en scène : Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande
Avec Sonia Cordeau, Simon Lacroix, Raphaëlle Lalande et Yves Morin
Assistance à la mise en scène : Camille Gascon
Décor, costumes et accessoires : Elen Ewing
Éclairages : Jérémie Boucher
Assistance musicale : Yves Morin
Direction technique : Maxime Bouchard
Une production du Projet Bocal

Présenté au théâtre La Licorne jusqu’au 28 novembre 2014, en supplémentaire les 2 et 3 décembre 2014