Les écoles privées contre-attaquent avec la complicité de Québecor

2014/11/12 | Par Pierre Dubuc

Dans son édition du 8 novembre, le Journal de Montréal publie un supplément de 32 pages sur le palmarès des écoles du Québec, produit par l’Institut Fraser. Le titre du supplément, « Le grand retour d’un incontournable », nous rappelle qu’un tel palmarès a été publié pendant plusieurs années dans les pages du magazine L’Actualité.

Selon une étude de la Fédération des Commissions scolaire s du Québec (FCSQ), intitulée « Le financement public de l’enseignement privé » (Juin 2014), la publication de ce palmarès a correspondu à une croissance importante des effectifs du secteur privé. Son retour aujourd’hui dans les pages du Journal de Montréal est le signe d’une contre-offensive des écoles privées.


Les francs-tireurs crèvent le ballon du ministre Bolduc

Au début de l’automne, le gouvernement Couillard a laissé flotter le ballon d’une réduction de 50% des subventions publiques aux écoles privées. Il se basait sur une étude déposée l’été dernier par un Comité présidé par Pauline Champoux-Lesage, une ancienne sous-ministre à l’Éducation.

Selon cette étude, les écoles privées seraient financées à 75%, plutôt qu’à 60% comme on le croyait précédemment, et une réduction de moitié de leurs subventions représenterait une économie de 65,8 millions $.

L’étude commandée par la Fédération des Commissions scolaires du Québec chiffrait plutôt les économies à un montant de 135 millions $.

Rapidement, les francs-tireurs de l’élite québécoise ont pris pour cible le ballon et ont réussi à le crever avec des arguments fallacieux.

La réduction des subventions publiques aux écoles privées provoquerait, selon eux, un tel exode des enfants vers l’école publique que l’opération se traduirait par un déficit plutôt que par des économies pour les finances publiques, le gouvernement devant assumer au public la totalité du coût d’un étudiant.

L’autre argument, repris par Richard Martineau dans sa chronique du 10 novembre, intitulée « Une école pour les riches? », est qu’en coupant les subventions, « on va créer un vrai système à deux vitesses ». Les parents de la classe moyenne ne pourront avoir accès à l’école privée et l’école privée sera réservée aux riches.

Sans surprise, le gouvernement a reculé, promettant de ne pas toucher aux écoles privées.


Les élèves HDAA, un indicateur d’une école à trois vitesses

Après ce succès défensif, au tour des écoles privées de passer à l’attaque avec la publication du palmarès du Journal de Montréal qui, curieusement, comprend cinq pleines pages de publicité de la même école privée, l’Académie Michèle-Provost (?!).

Sans surprise, les dix premières places du palmarès sont occupées par 8 écoles privées et 2 écoles publiques d’éducation internationale. Toutes des écoles qui sélectionnent leurs élèves.

Bien plus, les écoles privées occupent 54 des 60 premières places du palmarès!

Cela confirme l’existence d’un réseau scolaire à trois vitesses, avec les écoles privées, les écoles publiques qui sélectionnent leurs élèves et les autres écoles publiques.

Un autre indicateur important de cette stratification est la proportion d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Selon les statistiques gouvernementales, la moyenne des EHDAA dans les écoles publiques est d’environ 20%, alors qu’elle n’est que de 2,7% au privé.

Le palmarès du Journal de Montréal confirme ces chiffres avec des données par école sur la proportion d’élèves HDAA. On y apprend, par exemple, que 37 des 128 écoles privées recensées n’ont aucun élève HDAA !

Dans le secteur public, les deux écoles internationales du TOP 10 ont respectivement 1,6% et 2,9% d’élèves HDAA, soit la même proportion que les écoles privées.

Dans les 50 premières écoles publiques du palmarès, 23 d’entre elles ont moins de 20% d’élèves HDAA, alors que c’est le cas de seulement 6 des 50 dernières écoles.

On ne peut qu’être abasourdi par la proportion d’élèves HDAA de certaines écoles. Mentionnons les écoles Lucien-Pagé (49,2), Louis-Joseph Papineau (49,9%), Vanier (54,8%), St-Henri (56,8%), Pierre-Dupuy (61,7%) et Chomedey-de-Maisonneuve (64,4%).

De la moitié aux deux-tiers des élèves de ces écoles sont considérés comme handicapés ou ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage!!!

En Montérégie, il faut mentionner les écoles Gérard-Filion (38,1%), de la Baie-St-François (41,5%) et Mgr Parent (42,2%).


Répliques aux francs-tireurs

Revenons brièvement sur les arguments des francs-tireurs. D’abord sur l’exode massif vers le public qui transformerait les économies en coûts.

L’étude de la FCSQ émet l’hypothèse, en se basant sur les revenus des parents, qu’en réduisant de 50 % les subventions publiques aux écoles privées, 20 000 des 123 000 élèves passeraient du privé vers le public, ce qui permettrait au Ministère de réaliser une économie de 135 millions $.

La proportion des élèves fréquentant les établissements d’enseignement privés serait réduite à 10,1 % des effectifs scolaires totaux. À titre comparatif, 5% des élèves sont inscrits dans les écoles privées en Ontario, province qui ne subventionne pas les écoles privées.

Quant à l’argument de Martineau à l’effet que l’école privée serait réservée aux riches, on peut lui apporter deux réponses. Premièrement que les très riches envoient déjà leurs enfants dans des écoles privées non-subventionnées.

Deuxièmement, l’école privée subventionnée est déjà fréquentée par des familles aux revenus supérieures à la moyenne, ce qui explique que seulement 20 000 des 123 000 élèves passeraient au privé advenant une réduction de 50% des subventions.

Contrairement au palmarès de L’Actualité auparavant, celui du Journal de Montréal ne fournit pas de données sur le revenu moyen des parents par école. Mais, en 2007, une étude avait établi à partir des données du palmarès de L’Actualité que, dans 86 % des écoles privées, les revenus des parents étaient supérieurs à 60 000 $ et inférieurs à ce montant dans 75 % des écoles publiques

Le document de la FCSQ cite une étude de 2005 où la répartition, selon les revenus, des familles envoyant leurs enfants au privé est la suivante : 47 % des familles ont un revenu familial de 90 000 $ et plus; 32 % entre 50 000 $ et 90 000 $ et 21 % ont des revenus de moins de 50 000 $.


Outre les économies, trois avantages à la réduction des subventions aux écoles privées

Le retour au secteur public de 20 000 élèves du secteur privé par suite de la réduction de 50% des subventions aux écoles privées aurait un effet salutaire sur la composition des classes dans le réseau public en diluant la proportion d’élèves HDAA.

De plus, elle signifierait également l’implication dans le secteur public de parents préoccupés par la réussite scolaire de leurs enfants.

Enfin, elle consoliderait le principe de l’universalité de notre système d’éducation et établirait un meilleur rapport de forces pour un financement adéquat du secteur public.