La terreur pour gouverner le Mexique

2014/11/19 | Par André Maltais

Moins d’un mois avant l’assassinat de six jeunes et la disparition de 43 étudiants de l’École Normale rurale Ayotzinapa aux mains de la police municipale d’Iguala, un rapport d’Amnistie internationale révélait une augmentation de 600% des cas de torture administrée par les agents de l’État au Mexique, au cours des dix dernières années.

Intitulé Hors contrôle : torture et autres mauvais traitements au Mexique, ce rapport montrait également que l’impunité y est presque totale et que les deux institutions chargées de protéger les victimes, soient le Procureur général de la République et la Commission nationale des droits humains, n’agissent pratiquement jamais en leur faveur.

Or, l’épouvantable massacre, survenu dans la nuit du 26 au 27 septembre, fait ressortir ce qui permet toutes les barbaries et toutes les impunités: une profonde collusion entre le crime organisé et toutes les institutions mexicaines.

Cette nuit-là, autour d’Iguala, les policiers ont attaqué à plusieurs reprises d’humbles étudiants sans arme avant de les livrer morts ou vifs à leurs complices du crime organisé. Pendant des heures, des coups de feu ont éclaté, mais aucune force de l’ordre officielle, qu’elle soit locale ou fédérale, n’a protégé les jeunes et, cela, malgré leur omniprésence dans la région supposément pour combattre les trafiquants de drogue.

Des blessés ont été amenés à une base de l’armée fédérale et dans des hôpitaux privés où on a refusé de les soigner.

Quelques jours après la tuerie, les Guerreros unidos (GU), principal groupe criminel de la région et présumé responsable des disparitions, placardaient les murs des villes environnantes en réclamant la libération de policiers municipaux détenus et en menaçant de révéler d’autres complicités entre le narcotrafic et les institutions mexicaines.

L’administration municipale d’Iguala, nous dit l’anthropologue mexicain, Miguel Angel Adame, est l’une des nombreuses administrations municipales totalement dominées par un amalgame de groupes criminels et de fonctionnaires ultra-corrompus. Le maire, Jose Luis Abarca, finalement arrêté le 4 novembre, est marié à Maria de los Angeles Pineda, sœur de trois membres des GU.

Abarca a été élu maire d’Iguala, en 2012, grâce à Lazaro Mason, actuel secrétaire à la Santé du gouverneur de l’État du Guerrero, Angel Aguirre. Ami d’enfance de l’épouse d’Abarca, Mason a choisi le nouveau maire précisément pour ses liens avec le crime organisé.

C’est entre 2002 et 2005, poursuit Adame, que Mason, alors maire d’Iguala, accepte de juteuses sommes d’argent hebdomadaires et des garanties de réélection en échange d’une protection légale des activités des trafiquants de drogues, incluant le blanchiment de leur argent dans les activités économiques, sociales et commerciales de la municipalité.

Arrive alors un premier groupe criminel qui « négocie » les semences et récoltes de marijuana dans les champs des paysans. Un peu plus tard, s’amènent d’autres bandes de trafiquants et s’installe alors la culture criminelle que l’on connaît : embauche de jeunes tueurs à gages, enlèvements contre rançons, disparitions, exploitation des migrants centroaméricains, exécutions, etc.

Les cartels de la drogue, écrit le docteur en sciences politiques mexicain, Rafael de la Garza Talavera, n’ont aucun mal à favoriser le développement de la délinquance dans les campagnes du Guerrero, l’une des nombreuses régions du Mexique dévastées socialement par plusieurs vagues de privatisations, dérégulations économiques et coupures budgétaires en santé, éducation et bien-être.

Les jeunes de la région, poursuit Talavera, représentent plus de 70% de la population et n’ont d’autre avenir, dans leur pays dépossédé, que l’émigration vers le nord ou la guerre contre d’autres jeunes provenant des mêmes classes sociales qu’eux.

En 2012, les GU finissent par s’imposer grâce à un régime de terreur totalement appuyé par la police municipale et la mairie d’Iguala où viennent d’arriver Abarca et son épouse. Les GU utilisent même les infrastructures de la police municipale pour leurs opérations de torture, exécutions et enterrements de cadavres.

Cela se passe sous le nez du 27e bataillon de l’armée fédérale qui, depuis 2006, compte, à Iguala même, un quartier général d’opérations, pourtant inondé par les dénonciations de la population locale.

Ces dernières visent aussi le gouverneur de l’État, Angel Aguirre, qui a démissionné, le 23 octobre dernier, suite à l’ampleur des manifestations populaires. Aguirre était non seulement au courant de ce qui se passait à Iguala, mais complice de multiples disparitions forcées et exécutions extra-judiciaires d’écologistes, étudiants des Écoles Normales rurales, opposants politiques, militants d’organisations paysannes et membres des auto-défenses communautaires.

Malgré tout cela, jamais le procureur général de la république, Jesus Murillo Karam, ni aucune autre instance fédérale, n’ont entrepris la moindre enquête sérieuse dans ces affaires.

Abarca et Aguirre sont membres du Parti de la révolution démocratique (PRD), supposément le parti de centre-gauche du pays, fondé dans les années 1980 par Cuautemoc Cardenas. Mazon, qui se prépare à remplacer Aguirre comme gouverneur du Guerrero, appartient au Mouvement pour la régénération nationale (MORENA), nouveau parti de centre-gauche issu du PRD, en 2011, et dirigé par Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO).

Cela montre le niveau de décomposition atteint par la gauche politique officielle au Mexique. En 2012, le PRD se joignait au Pacte pour le Mexique, une union des partis politiques de droite pour permettre au président Henrique Pena Nieto, nouvellement et frauduleusement élu, d’adopter facilement ses « réformes structurales de troisième génération » visant, entre autres, le système d’éducation, les relations de travail et la privatisation du pétrole mexicain.

L’appartenance des suspects à la supposée gauche, nous dit Manuel Aguilar Mora, fait bien l’affaire du président et de la droite mexicaine, car elle force le PRD et MORENA à défendre, devant une opinion publique indignée, la thèse gouvernementale d’un épisode de violence exceptionnel, œuvre d’un « couple infernal ».

La vérité, nous dit Talavera, est que l’État fédéral mexicain ne veut pas le moins du monde enrayer l’infiltration du crime organisé dans les institutions du pays parce qu’il en a absolument besoin pour maintenir l’insupportable modèle économique qu’il impose.

Le crime organisé fournit à l’État l’arme de la terreur qui est maintenant la seule qui peut empêcher une nouvelle révolution mexicaine. La violence sans nom du crime organisé (l’un des étudiants tué, le 26 septembre, a été retrouvé le visage broyé et les yeux arrachés) permet à l’État toutes les violences et répressions qu’il peut ensuite imputer à ce même crime organisé.

C’est ça, la gouvernabilité, maintenant, pour un Mexique graduellement et fermement dépouillé de presque toutes ses richesses naturelles depuis les trente dernières années.

Selon l’organisation Forces unies pour nos disparus au Mexique (FUDEM), la guerre contre la drogue a fait, toutes proportions de temps respectées, près du double des morts attribués à l’État Islamique, en Iraq. De plus, entre 2007 et 2010, les cartels mexicains auraient assassiné 293 citoyens états-uniens, certains par décapitation.

Malgré cela, écrit le politologue argentin Atilio Boron, malgré aussi les fosses communes de corps humains démembrés et brûlés qu’on ne cesse de découvrir, et malgré l’impunité consentie aux forces de l’ordre et aux élus corrompus, le président mexicain néolibéral n’est pas le moindrement attaqué par la presse internationale, comme l’a été celui du Venezuela, l’hiver dernier, pour une situation infiniment moins grave.