Quand Marie-Claude Lortie est reléguée loin, loin, loin dans les pages de La Presse

2014/11/24 | Par L’aut’journal 

Dans l’édition de samedi, 22 novembre, de La Presse +, l’éditorialiste André Pratte et le chroniqueur Alain Dubuc sortent leurs calculettes pour nous vanter tous les bienfaits de la modulation des tarifs des CPE.

Avec sa suffisance habituelle, Alain Dubuc revêt même ses habits d’ancien trotskyste pour donner des leçons à la gauche. « Pendant que la gauche s’égare, je vais donc faire le travail qu’elle devait faire ».

Ces deux articles se retrouvent dans le cahier « Débats » du journal, l’un des tout premiers. Par contre, l’article du Marie-Claude Lortie qui démolit les calculs abstraits de ses deux collègues est relégué loin, loin, loin dans le cahier « Pause week-end » où plusieurs lecteurs ne se rendront pas.

Une fois n’est pas coutume, nous reprenons son article pour le bénéfice des lecteurs de La Presse qui l’auraient raté et pour tous ceux qui ne lisent pas La Presse.

Le recul

Marie-Claude Lortie

Au débat des chefs, durant la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir, le premier ministre Philippe Couillard a demandé à l’ex-chef péquiste Pauline Marois : « Combien de femmes dans nos hôpitaux, dans nos écoles, dans nos services de garde voulez-vous faire congédier ? »

Il faisait alors allusion au projet de Charte des valeurs du gouvernement de Mme Marois, projet contre lequel il s’est battu avec toutes ses convictions en ressassant la menace que faisait peser l’interdiction des symboles religieux sur l’accès des femmes au marché au travail.

Oh que c’était grave.

Oh que le chef libéral avait peur que des femmes perdent leur emploi, choisissent de rester à la maison.

Oh que le travail des femmes était important.

On l’aurait cru alors presque aussi féministe que la chef solidaire Françoise David. L’autonomie et l’indépendance financière des femmes ? Une préoccupation du plus haut niveau. Et franchement, il avait l’air assez convaincant.

Comment ne pas vouloir grimper dans les rideaux en l’entendant cavalièrement, moins d’un an plus tard, annoncer des mesures accroissant les tarifs de services de garde qui pourraient tout à fait toucher l’accès des femmes au marché du travail ? Car s’il y a un programme social qui fait une différence à cet égard, c’est bien celui-là, que tant de femmes chez nos voisins canadiens et américains envient, d’ailleurs.

Oh, et n’est-ce pas ce même chef qui est allé chercher, en campagne, toute la sympathie politique qu’il pouvait en promettant de ne pas augmenter les tarifs plus qu’en les indexant à l’inflation ? Le tout, évidemment, sur fond d’indignation et autres hauts cris contre les hausses de tarifs proposées par le gouvernement précédent…

Soupir.

Ce dossier est tellement rempli de fausses promesses (non tenues) et de cynisme politique, il flotte dans une telle absence de bonne foi et de crédibilité, qu’il est difficile de voir aujourd’hui comment on pourra dépasser la frustration devant l’arrogance du gouvernement et avoir une discussion solide et intelligente sur le sujet.

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Jeudi, le verdict est tombé : le tarif des garderies subventionnées grimpera jusqu’à 20 $ par jour pour les familles gagnant 155 000 $ et plus.

J’ai fait toutes sortes de calculs et lu toutes sortes de collègues calés en fiscalité depuis l’annonce des hausses en me demandant quel serait l’impact des augmentations pour les femmes gagnant 20 000 $ ou 30 000 $ ou même 40 000 $ (avant impôt) par année au sein d’une famille de la classe moyenne gagnant au total dans les 120 000 $ ou plus de 155 000 $. Parce que ce sont beaucoup ces femmes actuellement qui se demandent si ça vaudra encore la peine de travailler à l’extérieur de la maison.

Or, il y a de nombreux scénarios où faire garder deux ou trois enfants pourrait passer bien au-delà de la limite psychologique des 10 000 $ par année. Est-ce que cela vaut la peine si on gagne 30 000 $ ou 40 000 $ bruts ?

Je ne dis pas que cette hausse de tarif va provoquer une réduction massive de la participation des femmes au marché du travail au Québec, le gouvernement ayant quand même tenu à maintenir les tarifs à l’indexation à l’inflation pour les familles à bas revenus. Mais n’est-on pas en droit de se demander comment il se fait que le chef libéral, si inquiet des pertes d’emploi de femmes au moment du débat sur la Charte, ne se pose plus de questions ?

La possibilité qu’il y ait un recul des femmes sur le marché du travail n’est même pas effleurée. L’impact que peut avoir une telle hausse sur leur indépendance financière ? Pas un mot…

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Je n’ai rien contre l’idée qu’une femme qui gagne 250 000 $ par année paie plus pour les services de garde que celle qui gagne 15 000 $.

Mais avec cette hausse, comme on parle de « revenus familiaux », on cible aveuglément toutes les femmes, incluant celles qui gagnent peu sans que ce ne soit évident parce que leur situation est cachée par le revenu de leurs conjoints. Et ces femmes à faibles revenus au sein de couple à revenus moyens sont souvent parmi les plus vulnérables de nos sociétés, peut-être ces mêmes femmes issues de l’immigration dont M. Couillard parlait dans le cadre du débat sur la Charte. Elles disparaissent dans le calcul des revenus « familiaux » et qui les défend cette fois-ci ?

Les femmes des classes moyennes dont les conjoints gagnent nettement plus qu’elles ont beaucoup à perdre parce qu’on sait très bien que ce sont leurs revenus, leur capacité d’aller travailler à l’extérieur, leur indépendance financière qui s’affronteront aux nouveaux tarifs, le temps venu de choisir d’envoyer les enfants se faire garder à l’extérieur.

Ceci est un recul. Le Québec avait bien avancé. Pourquoi faire ainsi marche arrière ?

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Le système de garderie public québécois n’est pas encore parfait. Il manque toujours des places. Trop de places pour trop de parents déçus qui, en les revendiquant – à juste titre – haut et fort, donnent l’impression qu’ils sont majoritaires. En fait, pour six enfants dans le système subventionné, il y a un enfant en quête d’une place subventionnée. Le système marche très bien pour une très vaste majorité de parents et d’enfants.

Et on l’a vu et calculé, le programme a eu un impact extrêmement positif sur la place des femmes sur le marché du travail et notamment sur la capacité des femmes les plus démunies d’augmenter leurs revenus.

Comment peut-on remettre les principes fondamentaux de ce système en cause – soit le tarif unique – moins d’un an après des élections alors que cela n’a jamais été proposé dans le programme électoral du PLQ ? Comment peut-on, en plus, le faire sans expliquer le moindrement comme cela ne viendra pas gâcher tous les accomplissements sociaux du programme ?

Où sont les études, pour reprendre un des leitmotivs du discours libéral anti-Charte, qui nous démontreraient qu’on n’est pas en train de revenir 20 ans en arrière ?

Parce que les études qu’on a, pour le moment, sur le système de garderies québécois, elles disent que ce système a permis au Québec d’avancer dans la bonne direction de l’égalité.