Les succès des étudiants asiatiques aux tests internationaux remis en question

2014/11/26 | Par Pierre Dubuc

Mme Diane Ravitch est bien connue pour sa critique du système scolaire américain. Dans son livre The Death and Life of the Great American School System, cette ex-sous-ministre de l’Éducation sous l’administration de George W. Bush s’en prenait plus particulièrement à la multiplication des évaluations, à la paie au mérite et aux écoles à charte, c’est-à-dire privées.

Dans un article de la revue The New York Review of Books (NYRB - 20 novembre 2014), elle réaffirme ses critiques de l’évaluation des élèves et des enseignants aux États-Unis, mais pousse encore plus loin l’analyse avec une évaluation du système scolaire chinois, qui propulse les élèves de Shanghai et Hong-Kong en tête du palmarès mondial du classement PISA (Program for International Student Assessment).

Cette critique est d’autant plus pertinente que le gouvernement québécois a mis en place au cours des dernières années des outils informatiques qui lui permettent de comparer les résultats des élèves des différentes classes de toutes les écoles du Québec et que certaines commissions scolaires multiplient les échanges avec la Chine.

L’évaluation comparée des étudiants est un premier pas vers l’évaluation des enseignants sur la base des résultats de leurs élèves et, éventuellement, vers la paie au mérite. Celle-ci, rappelons-le, figurait dans le programme électoral de la CAQ de François Legault.


Le modèle américain

Mme Ravitch constate que les programmes No Child Left Behind et Race to the Top des administrations Bush et Obama, axés sur l’évaluation des élèves et des profs, n’ont en rien amélioré le score des élèves américains, qui se retrouvent toujours en queue du classement international.

Pour minimiser l’importance de ces tests, elle rappelle que, lors du premier test international, un test de mathématiques en 1964, les élèves américains s’étaient classés derniers. Mais cela, ajoute-t-elle, n’a pas empêché les États-Unis, au cours des cinquante années qui ont suivi, d’être au premier rang mondial pour la productivité, la puissance militaire, l’innovation technologique.

Elle questionne la motivation des élèves à répondre à de tels tests et leur pertinence.


Les premiers de classe

Dans l’article de la NYRB, elle aborde la question par l’autre bout de la lorgnette, c’est-à-dire les premiers de classe au classement PISA, les élèves asiatiques.

Elle le fait à partir d’une recension d’un livre écrit par un chinois, Yong Zhao, et intitulé Who’s Afraid of the Big Bad Dragons? Why China Has the Best (and Worst) Education System in the World.

Yong Zhao soutient que la Chine a le meilleur système au monde parce que ses élèves remportent la palme des classements internationaux. Mais ce système est aussi le pire parce que ce succès s’obtient en sacrifiant la créativité, l’originalité, la critique et l’individualité.

Les meilleurs résultats du classement PISA sont en effet ceux de pays ou villes asiatiques comme Shanghai, Hong Kong, Taipei, Singapour, la Corée, Macao et le Japon.

Zhao explique que le système chinois, le keju, est vieux d’au moins deux mille ans. C’est le système des examens impériaux, basé sur la mémorisation et le confucianisme, qui a servi à la constitution et au renouvellement du mandarinat chinois.


La boussole et la poudre à canon

Selon Zhao, c’est ce système qui a empêché la Chine de devenir une nation moderne à l’esprit scientifique et technologique et lui a fait rater, il y a quatre cents ans, la révolution industrielle.

Les Chinois ont inventé la boussole et la poudre explosive. La première ne servait pas à naviguer, mais à localiser des sites funéraires ayant un bon feng shui. La deuxième était utilisée pour les feux d’artifices plutôt que pour l’artillerie.

Les récents succès économiques de la Chine ne sont pas attribuables, selon lui, à son système d’éducation, qui repose toujours sur la mémorisation et l’évaluation à outrance, mais sur l’ouverture du marché chinois aux capitaux et aux technologies étrangères.


Tricherie et fraude

Zhao identifie comme problème majeur du système chinois, la tricherie et la fraude, qui sont des tabous en Chine. Il cite l’exemple des brevets.

Lorsque le gouvernement a décidé de récompenser le dépôt de brevets, leur nombre a explosé. Des écoles se sont mises à faire breveter des milliers d’« inventions » sans valeur réelle.

Il en fut de même lorsque le gouvernement a encouragé la publication d’articles scientifiques. La majorité sont sans intérêt, sinon carrément frauduleux, mais toute critique de la tricherie ou de la fraude est perçue comme antichinoise.

Pour montrer l’absence d’inventivité qui découle du système chinois, Zhao souligne que la Chine n’a produit, avec plus d’un milliard d’étudiants depuis 1949, aucun Prix Nobel.

Selon lui, le système chinois « élimine les différences individuelles, supprime la motivation et impose le conformisme ». C’est un système bien rôdé pour « transmettre une bande étroite d’un contenu prédéterminé et de certaines habiletés », auquel le peuple se conforme parce que c’est la seule voie pour la mobilité sociale.

La Chine, écrit Zhao, est coincé avec ce système, décrié par plusieurs enseignants chinois, parce que l’Ouest l’admire à cause de la performance de ses étudiants dans les tests internationaux.


La folie des tests

Dans son livre, Zhao décrit en détails tout ce à quoi sont soumis les étudiants pour performer aux tests. Plusieurs des cours sont axés, non pas sur l’apprentissage, mais sur la préparation aux tests.

« Les enseignants essaient de deviner les questions des tests, des entreprises vendent les réponses et des stratagèmes de tricherie sur Internet aux étudiants, et ceux-ci inventent toutes sortes de façons de tricher. En 2013, une émeute a éclaté parce que des étudiants de la province de Hubei ont été empêchés d’exécuter les scénarios de tricherie que leurs parents avaient achetés pour faciliter leur admission dans un collège. »

Selon le journal britannique The Daily Telgraph, une foule en colère de 2 000 personnes a vandalisé des voitures en criant : « Nous exigeons la justice. Il n’y a pas de justice, si on ne nous laisse pas tricher ».

Lors de la dernière année du collégial, plusieurs écoles se concentrent uniquement sur la préparation aux tests. Aucun nouvel enseignement n’est donné.

Selon Mme Ravitch, l’exemple le plus choquant du livre de Zhao est cette école de Anhui connue comme étant la plus importante machine de préparation aux tests de l’Asie. Plus de 82% des 11 000 élèves inscrits à cette école secondaire ont réussi en 2013 l’examen d’entrée au collège.

Les élèves viennent de toutes les parties de la Chine pour s’inscrire à cette école. Les coûts d’inscription sont de 6 000 $, soit le revenu moyen annuel des résidents de Shanghai.

Les élèves sont en classe dès 6h30 le matin et quittent à 22h30, en emportant des devoirs à faire à la maison.

L’école est devenue une légende en Chine. Le réseau national de télévision a envoyé un drone filmer le départ de plus de 10 000 élèves, voyageant en autobus, escortés par des voitures de police, se rendant à leur examen au mois de juin, 2013.


Le message de Zhao

Yong Zhao conclut son livre par un message au peuple américain. Les étudiants doivent comprendre le monde dans lequel ils vivent et maîtriser la technologie. Zhao plaide pour l’autonomie professionnelle d’enseignants bien formés et le développement individuel des élèves.

Il souscrit à une meilleure répartition des budgets entre les écoles, à une redéfinition des objectifs de l’école au-delà des tests, et prône l’élimination des écarts entre étudiants de différents groupes raciaux.

Il envisage des écoles où les étudiants produiraient des livres, des vidéos, des œuvres artistiques, et où ils seraient encouragés à explorer et à expérimenter. Il imagine des manières d’enseigner qui permettraient le développement des forces de chaque étudiant, non pas sous l’effet de pressions extérieures, mais d’une motivation intrinsèque. Il rêve d’écoles où la valeur la plus prisée serait la créativité.

Mme Ravitche conclut qu’à moins d’une rupture avec la pratique des tests standardisés, un tel idéal demeurera inaccessible aux États-Unis.

Et, sans doute, pourrions-nous ajouter, au Québec, si nous poursuivons dans l’imitation du modèle américain dans lequel nos gouvernements se sont engagés depuis déjà trop d’années.