Projet de loi 10 : Une réforme taillée sur mesure pour les multinationales et le privé

2014/11/26 | Par Rose St-Pierre

Le projet de loi 10 déposé par le ministre de la Santé Gaétan Barrette, le 25 septembre dernier, alarme la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). La présidente, Régine Laurent, a comparu, le 12 novembre dernier, en commission parlementaire pour présenter le Mémoire de la Fédération représentant près de 65 000 professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires.

« C’est une gestion d’entreprise qu’ils sont en train de mettre en place », résume Mme Laurent rencontré aux bureaux de la FIQ. « Ils veulent finir le travail commencé avec les CSSS, alors que le réseau se remet à peine de cette réforme. »

Les Centres de santé et de services sociaux (CSSS), créés par la réforme libérale de 2003, sont aujourd’hui contestés par plusieurs auteurs, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Commissaire à la santé et au bien-être. On constate maintenant que cette réforme a surtout modifié les structures et n’a pas eu d’impact significatif sur l’amélioration et l’accès aux soins.

Cette fois-ci, la nouvelle réforme, affirme le gouvernement, simplifiera l’accès aux services pour la population en assurant au patient une place au cœur du réseau. C’est plutôt le contraire qui risque de se produire, selon la FIQ, car l’adoption du projet de loi 10 provoquerait la création Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) menaçant les soins de proximité pour les citoyens.

Ces centres offriraient tous les services de santé et tous les services sociaux pour une région donnée. « Le citoyen sera encore plus éloigné des soins, il n’aura pas de sentiment d’appartenance. »

Si une clinique privée se trouve plus à proximité qu’un CISSS, « le patient qui en aurait les moyens pourrait payer pour se faire prodiguer des soins », alors que plusieurs des méga-centres sont situés dans de vastes régions socio-sanitaires couvrant plusieurs centaines de kilomètres.

L’octroi de contrats pour la construction de ces méga-centres pourrait même être admissible aux ententes Canada-Europe, une information que le ministre de la Santé n’a pas voulu confirmer ou infirmer.

On peut aussi imaginer que les PME faisant actuellement affaire avec les centres hospitaliers pour fournir du matériel ou des services informatiques perdraient leur contrat avec la construction des CISSS au profit de grandes entreprises étrangères. « La journée où des mégastructures seront construites, les multinationales pourront facilement soumissionner », soutient Régine Laurent.

On peut lire dans le Mémoire de la Fédération, déposé il y a une semaine, que le secteur de l’hébergement des personnes âgées pourrait également tomber sous la coupe des accords de commerce.

Le projet de loi 10 accorde aussi de nombreux pouvoirs au ministre de la Santé. Il pourra dorénavant établir les priorités et les orientations nationales et régionales, ce qui permettra au ministre de décider lui-même des ententes conclues entre les établissements régionaux et les cliniques privées.

Actuellement, ce sont les agences qui établissent des ententes avec les cliniques privées, si l’on observe un manque de service dans leur région.

Le projet de loi prévoit aussi la centralisation des pouvoirs de règlementation, de gestion des ressources financières, de planification de la main-d’œuvre, d’administration des structures organisationnelles et de l’offre de service entre les mains du ministre de la Santé.

Ce dernier se réserve aussi le droit de nommer le PDG de l’établissement régional et son adjoint, ainsi que les membres des conseils d’administration et des comités.

Le projet de loi 10 n’est qu’un « morceau du casse-tête » de la réforme de la santé prévue par le gouvernement Couillard. À ce jour, le ministre refuse toujours de dévoiler ce qui complètera le projet de loi 10. « On accepte qu’un ministre de la Santé dise : je vais faire d’autres transformations, mais je refuse de vous donner la vision globale : c’est inadmissible ! », s’indigne la présidente de la FIQ.

Cette réforme, loin d’assurer un meilleur accès aux soins de santé pour les Québécois, reflète plutôt d’une vision idéologique, selon Régine Laurent. « On a des gens au gouvernement et dans le réseau de la santé qui n’aiment pas l’État et c’est sous le couvert de l’austérité qu’on nous présente ce projet de loi ! »

Pour la présidente de la FIQ, le gouvernement serait davantage préoccupé à répondre aux demandes des multinationales et du privé que de corriger les dysfonctionnements du réseau.

« Le problème, et c’est pour ça qu’on désespère, c’est que si on laisse passer ce projet de loi 10, c’est terminé, on ne peut pourra revenir en arrière, c’est irréversible. »


Photo: Jacques Nadeau - Le Devoir