Marchander la démocratie

2014/12/08 | Par Sénatrice Hervieux-Payette

Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

De part et d'autre de l'Atlantique, le mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'État, qui est prévu dans l'AECG — le traité entre le Canada et l'Europe appelé CETA en anglais — a suscité une préoccupation grandissante chez la population.

Lorsqu'elle a mené une consultation en ligne sur cette question, la Commission européenne a reçu 150 000 réponses. Une pétition en ligne sur la mise à l'essai du mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'État prévu dans l'AECG a obtenu 900 000 signatures.

De plus, les négociations entre l'Europe et les États-Unis au sujet du mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'État — j'essaie aussi d'apprendre le nom par cœur — ont été suspendues en raison des 400 initiatives de protestation qui ont été organisées cette année seulement.

Une étude a été publiée récemment au sujet du mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'État prévu dans l'AECG. Elle a été financée par un groupe d'organisations non gouvernementales canadiennes et européennes, ainsi que par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas. Ce rapport, intitulé « Marchander la démocratie », porte sur l'accord que le Canada vient de signer.

Il recommande fortement le rejet de toute disposition de l'AECG sur l'arbitrage entre l'investisseur et l'État. Comme il est indéniable que le mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'État a suscité des vives protestations chez la population, je me pose la question suivante.

Il s'agit d'une forme d'arbitrage en dehors des tribunaux et en dehors des lois des pays concernés. Ma question est la suivante : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi votre gouvernement a signé une telle disposition? Est-ce que le gouvernement entend se conformer à ce mécanisme de règlement des différends?

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : La protection des investissements favorise les investissements créateurs d'emplois et de croissance économique. Le mécanisme en place est un mécanisme efficace de règlement des différends qui prévoit un traitement équitable des investisseurs des deux côtés de l'Atlantique. Nous avons toujours été clairs et toujours dit que seul un accord qui soit dans le meilleur intérêt des Canadiens serait négocié, et le texte complet incarne cet engagement.

Nous avons toujours dit clairement que seul un accord qui soit dans l'intérêt supérieur des Canadiens serait négocié, et le texte complet incarne cet engagement.

La sénatrice Hervieux-Payette : Il y a tout de même au-delà d'un million de personnes en Europe qui ne croient pas que ce mécanisme soit approprié pour protéger, d'abord et avant tout, le rôle d'un parlement d'édicter des lois et le rôle des tribunaux.

Par le biais de cette entente, nous accorderons un privilège aux investisseurs d'aller au-delà de nos instances régulières et de poursuivre directement le gouvernement devant des tribunaux privés sur des questions financières, de santé, d'environnement et sur d'autres questions à leur discrétion. On a d'ailleurs connu une situation similaire dans le domaine de l'environnement, dans le cadre d'une poursuite qui a coûté 300 millions de dollars, à la suite de l'accord de libre-échange conclu avec les États-Unis, avec un mécanisme semblable.

L'un de mes ex-collègues de chez Fasken Martineau, Peter Kirby, un avocat spécialisé en affaires internationales, en a fait une interprétation très simple que tout le monde, sans être spécialiste des affaires étrangères, peut comprendre. Il a dit ceci, et je cite :

[Traduction]

C'est un instrument de lobbying, c'est-à-dire que vous pouvez vous en servir pour menacer de poursuite un pays qui voudrait agir contre votre volonté.

Avant même que l'investissement soit fait, nous pourrions être poursuivis pour la perte de l'investissement et des bénéfices. Comment notre gouvernement peut-il penser à autoriser des investissements sur la base d'une telle entente? Comment peut-il accepter une entente qui fait fi des lois canadiennes, tant provinciales que fédérales? Pourquoi le gouvernement a-t-il accepté qu'une disposition semblable soit incluse dans cette entente, alors que plus d'un million de personnes l'ont contestée?

Le sénateur Carignan : Sénatrice, vous êtes une avocate de renom, vous avez travaillé dans un cabinet de renom et vous connaissez les mécanismes de traitement des différends et d'arbitrage que contiennent une multitude d'ententes, que ce soit dans le cadre de conventions collectives ou d'ententes commerciales. Ces mécanismes se retrouvent également dans certaines polices d'assurance et dans des ententes conclues entre pays.

Comme je l'ai dit, un mécanisme efficace de règlement des différends prévoit un traitement équitable des investisseurs des deux côtés de l'Atlantique. Nous croyons que c'est ce qu'il y a de mieux. Nous avons toujours été clairs : nous voulions négocier un accord qui irait dans le meilleur intérêt des Canadiens. Nous croyons que l'ensemble de ce texte incarne cet engagement.

La sénatrice Hervieux-Payette : Prenons un exemple très présent à notre esprit en ce moment. Selon les dispositions de l'entente, si elle avait été en vigueur au moment où on a décrété que les bélugas faisaient dorénavant partie des espèces en voie de disparition, et si des millions de dollars avaient déjà été investis dans le projet de Gros-Cacouna, une compagnie européenne aurait pu nous poursuivre, non pas devant les tribunaux canadiens, mais devant un tribunal composé de personnes n'ayant aucun titre de magistrat.

Elle aurait pu demander des compensations pour un projet qui n'aura pas lieu, même si les gouvernements, à ce moment-là, avaient décrété que les dangers pour l'environnement étaient extrêmement délicats. Il s'agirait de centaines de millions de dollars. On expose les Canadiens à des poursuites faramineuses. Quel est l'intérêt de signer un pareil accord?

Le sénateur Carignan : Je crois qu'il faut faire attention aux exemples qui sont évoqués. Dans le cas des bélugas, il a toujours été illégal de les tuer, de les capturer, de les harceler et de leur nuire ou de détruire leur habitat, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, de la Loi sur les pêches et du Règlement sur les mammifères marins.

En ce qui a trait au traitement des différends, je crois qu'il s'agit d'un mécanisme efficace qui prévoit un traitement équitable des investisseurs des deux côtés de l'Atlantique. Nous croyons que cela protège les intérêts des Canadiens.