Plan d’action interministériel en itinérance : n’oublions pas les femmes !

2014/12/09 | Par Marie-Helene Senay

La Fédération des maisons d’hébergement pour femmes se félicite de la publication du premier plan d’action en itinérance hier dimanche 7 décembre. Il a le mérite d’exister en cette ère d’austérité. Quelques doutes subsistent toutefois sur la mise en œuvre de ces promesses.

Rappelons d’abord quelques faits. Les études montrent que 71% des femmes en situation d’itinérance ont un passé lié à la violence, dont 60% ne l’ont jamais rapporté à la police. Retenons également que, lorsqu’elles deviennent itinérantes, les femmes sont plus à risque de violence, d’agression, ainsi que d’exploitation et d’abus sexuels (Burcycka et Cotter, 2011 :5 ; Gaetz et all., 2010 ; Paridis et Mosher, 2012). Mentionnons finalement que de nombreuses femmes éviteront à tout prix les refuges et la rue : elles resteront plutôt dans une relation dangereuse ou malsaine…

La FMHF apprécie donc le fait que le lien entre un passé de violence, les problématiques de santé mentale et la situation d’itinérance des femmes, et des jeunes, soit pris en compte dans ce plan d’action. Elle apprécie également qu’il évoque que la judiciarisation ne soit pas la solution et qu’il appelle à la prévention et à la collaboration de tous les acteurs sociaux. Elle adhère finalement aux propositions d’assurer un revenu décent à ces personnes.

Notre Fédération regrette toutefois le manque généralisé de clarté et de précision des mesures proposées ainsi que d’analyse différenciée selon les sexes (ADS). Afin que notre action atteigne ses objectifs, il est primordial de déterminer quelles sont les spécificités de l’itinérance au féminin. Il est impératif de penser les ressources à la lumière de cette analyse. Bien que le plan d’action affirme avoir réalisé une telle analyse, les solutions proposées n’en témoignent pas clairement.

Rappelons que les maisons d’hébergement développent depuis plus de 40 ans leur expertise auprès des femmes violentées vivant de multiples problématiques sociales, dont l’itinérance. Il semble alors pertinent de se questionner sur la logique du rehaussement de financement de cinq maisons d’hébergement pour femmes, à Montréal seulement.

En effet, à l’échelle de la province, les maisons d’hébergement pour femmes présentent un taux d’occupation de presque ou plus de 100 % (le Devoir du 6 décembre dernier). Qui plus est en région, elles sont souvent le seul lieu d’accueil sécuritaire garantissant le droit à la sécurité, à la dignité et à la protection pour les femmes : à Gaspé, à Chibougamau, à Alma, les ressources ne sont tout simplement pas suffisantes pour répondre aux besoins des femmes.

Pourquoi, dans ce cas de figure, ne pas donner à TOUTES les maisons d’hébergement les moyens de soutenir cette clientèle chaque année plus présente ? Pourquoi ne pas se donner les moyens d’aider davantage de femmes, de leur apporter un meilleur soutien et plus d’accompagnement, et ce, à l’échelle de tout le Québec ?

Nous recommandions déjà, en 2008 lors de la commission parlementaire sur le phénomène de l’itinérance au Québec, d’ouvrir davantage de maisons d’hébergement, de logements transitoires et de logements permanents. Il faut impérativement se doter d’une offre d’hébergement constituée de logements sociaux à loyer abordable, qui permettrait à ces femmes de ne pas retourner dans un milieu éventuellement dangereux. Il conviendrait finalement de proposer davantage de services pour les femmes violentées vivant de multiples problématiques sociales, dont l’itinérance.

Une deuxième problématique à prendre en compte dans l’analyse de ce plan d’action interministériel est celle de sa mise en œuvre par une multitude d’acteurs. Comment assurer l’arrimage des services pour un continuum optimal qui réponde réellement aux besoins des femmes et des filles ? Quel financement et quelle concertation des acteurs sociaux ?

Nous appelons à un financement du communautaire qui permette aux nombreux organismes de l’action communautaire autonome de prodiguer leur mission de soutien et d’accompagnement des personnes vulnérables. Véritable filet de protection sociale, le secteur communautaire doit être reconnu, et financé, à la juste valeur du travail réalisé. Si la tendance, comme l’ont mentionné plusieurs ministres depuis quelques mois, est de transférer les services sociaux au secteur communautaire, il faudra s’assurer que le financement suive.

Finalement, nous nous devons de constater que les plans d’action interministériels ne peuvent répondre à leur mission que si une réelle volonté politique de les actualiser est présente. Que ce soit en violence conjugale, en ADS, ou en égalité, rien n’évolue s’il n’y a pas une impulsion forte au sein du gouvernement tout entier. Pour cela, il faut des leaders motivés, ayant l’influence nécessaire au sein de l‘appareil d’État pour mener à bien de si ambitieux projets. Qui se chargera de cette mission fondamentale ?



Photo : ledevoir.com