Protéger les religions plutôt que les individus?

2014/12/15 | Par Daniel Baril

L’auteur est anthropologue et militant laïque

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) vient de demander au gouvernement d’amender la Charte des droits et libertés afin d’interdire « les propos haineux qui ciblent les membres de groupes en raison notamment de leur sexe, leur orientation sexuelle, leur origine ethnique, leur race ou leur religion ». L’amendement permettrait à un individu de porter plainte s’il juge que le groupe dont il fait partie est collectivement victime de diffamation.

L’objectif est louable et mérite d’être soutenu. Toutefois, ce projet comporte un aspect pernicieux qu’il faut dès maintenant contrer. En mettant sur le même pied des éléments qui ne sont pas de même nature, la CDPDJ répète le vice d’architecture juridique que l’on retrouve dans nos chartes.

La religion ne peut être traitée comme le handicap, l’appartenance ethnique ou le sexe. Ces éléments biologiques sont des réalités objectives, alors que la religion relève de l’adhésion volontaire à un système de valeurs et de croyances. De plus, ce système de pensée s’oppose la plupart du temps aux autres droits fondamentaux reconnus dans les chartes.

La frontière entre la critique des religions et les propos perçus comme haineux est subjective. La démarche de la CDPDJ comporte donc un risque de limiter indûment la liberté d’expression lorsqu’il s’agira de critiquer les religions qui ne reconnaissent pas l’égalité des sexes ou de combattre des croyances incompatibles avec les connaissances scientifiques.

Autant il importe de protéger la liberté de religion, autant il importe de protéger la liberté de critiquer ces religions, même lorsque ces critiques sont considérées comme blasphématoires. L’amendement devra donc être formulé de telle sorte qu’on ne puisse pas mettre dans le même fourre-tout l’incitation à la haine et la critique des religions opposées aux valeurs humanistes.

Le risque est d’autant plus réel que le Code criminel exclut des propos haineux toute « opinion fondée sur un texte religieux auquel [on] croit » (art. 319). Il est donc permis de tenir des propos haineux à l’endroit des femmes, des homosexuels ou des athées si ces propos reposent sur des croyances religieuses. Cette même loi interdit le blasphème (art. 296). On peut se demander si la publication des caricatures de Mahomet, jugées blasphématoires par certains musulmans, aurait été permise au Canada.

Les propos tenus par le président de la CDPDJ, Jacques Frémont, en entrevue à Radio-Canada n’ont rien de rassurant. M. Frémont a fait allusion à une recommandation du Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU qui irait dans le sens de ce que demande la CDPDJ.

La position actuelle de l’Assemblée générale de l’ONU et de son Conseil des droits de l’Homme précise que ce sont les personnes, et non les religions, qui doivent être protégées de l’incitation à la haine (résolution de 2011). Les instances onusiennes se sont toujours opposées au concept de diffamation des religions, jugé incompatible avec le droit international ayant pour but de protéger les individus et non les systèmes de pensée.

Depuis l’affaire des caricatures, cette position fait l’objet de pressions constantes de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Cette organisation regroupe de nombreux pays réfractaires aux droits de la personne tels l’Arabie saoudite, l’Iran, le Pakistan, le Soudan, l’Afghanistan et le Qatar et cherche à faire criminaliser le blasphème au nom de la charia. Malgré la défaite de 2011, l’OCI multiplie les pressions dans les forums internationaux. En omettant de préciser ce contexte, Jacques Frémont induit le public en erreur. Ses propos nous incitent même à penser qu’il est sous l’influence d’un discours pro-OCI.

Le projet qu’il pilote est à mettre en relation avec sa charge contre le projet de loi sur la laïcité. Son intervention fondée sur le multiculturalisme canadien a été qualifiée de biaisée par de nombreux experts qui ont déploré les omissions dans ses références juridiques. La demande d’amendement à la charte des droits paraît entachée du même biais multiculturaliste et anti-laïque et mérite d’être mise sous surveillance.