La connaissance ou l'ignorance

2015/01/06 | Par Jean-Serge Baribeau

L’auteur est sociologue des médias

On attribue à Abraham Lincoln la phrase que voici : « Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance.» Actuellement, on peut lire et relire régulièrement cette phrase dans les médias sociaux.

Il est certain que le PM Couillard et le ministre Bolduc devraient, eux aussi, lire et relire cette phrase, tout à fait pertinente. Permettez-moi de proposer une courte réflexion, un peu autobiographique, sur l’éducation.

Quand on a décidé de réformer le système scolaire au début des années 60, l’idée fondamentale était de démocratiser l’éducation et les connaissances. Il était temps.

Ayant fait mon cours classique (1955-1963) et ayant enseigné dans un collège classique (1966-1968), je crois que je peux, sans prétention, affirmer que la démocratisation tellement désirée est devenue peu à peu factice et trompeuse.

Après avoir enseigné dans un collège classique, comme je l’ai déjà indiqué, j’ai enseigné dans un cégep, de 1968 à 2003. Je pense savoir que, d’année en année, de convention collective en convention collective, de décret en décret, les conditions garantissant un enseignement efficace et de qualité, ont été grugées, émiettées, disloquées et broyées.

Des personnes qui n'avaient jamais enseigné méprisaient les enseignants, ces fainéants et se disaient qu'il fallait les forcer à travailler, sans trop augmenter leurs salaires.

Mon propos concerne tous les paliers du système scolaire.

Quand j’ai commencé à enseigner, je venais candidement d’avoir 23 ans. Quand je parlais de mon travail, pendant les années 60, de très nombreuses personnes me remerciaient, avec beaucoup d’émotion et de sincérité, d’avoir choisi d’instruire «nos jeunes». On respectait alors la transmission du savoir et des connaissances. On voulait quitter le royaume de l’ignorance et de l’obscurantisme.

Je gagnais alors 5,200$ par année et cela choquait de très nombreuses personnes qui trouvaient que ce n’était pas suffisant pour une personne travaillant dans un service si essentiel.

Toutefois, les conditions de travail étaient meilleures que maintenant. Il était presque impossible d’enseigner à plus de 120 étudiants ou étudiantes.

Au cégep, quand j’ai déguerpi, en 2003, il était fréquent de devoir enseigner à près de 160 personnes, ce qui pouvait éventuellement limiter la qualité et la quantité de travaux, ces travaux si indispensables lorsqu’il s’agit, pour les étudiants, de se construire une pensée, un sens analytique et critique.

Au fil du temps et des gouvernements, enseigner devenait une tâche ingrate et méprisée. La transmission de connaissances cédait le pas au retour de l’ignorance, cette ignorance que prône l’actuel gouvernement libéral.

Qui plus est, de nombreuses personnes, encouragées par les propos ministériels et gouvernementaux, méprisent de plus en plus les enseignantes et enseignants. On se fait dire assez souvent : «Vous êtes des gras-dur. Et vous ne travaillez pas assez. Alors, acceptez votre sort et oubliez les grèves ou autres moyens de pression qui déplaisent au «peuple».»

Le docteur Bolduc a déjà sorti son bistouri et il va trancher dans le vif en prônant, chafouinement, le retour de l’ignorance.

Au secours, Abraham Lincoln…