Voyage de pêche à Anticosti avec le grincheux

2015/01/06 | Par Paul de Bellefeuille

Le grincheux est heureux. Il a rendu à peu près tout le monde malheureux.

Il a débuté avec la santé. Il ne fallait pas tarder à annoncer ses couleurs. Le noir lui va comme un gant. Le ministre de la Santé a présenté le projet de loi 10*. Comme il se sentait particulièrement en appétit, il en a présenté un second, le numéro 20**.

Le milieu de la santé réagit fortement. Les médecins, les infirmières, les syndicats de la santé et tutti quanti s’opposent au coup de force du ministre. Mais ce n’est pas cela qui va l’arrêter. Il en a vu d’autres.

Les autres ministres ragent de voir le ministre de la Santé prendre ainsi du galon auprès du premier ministre et leur damer le pion. Tous se disent alors que cela ne resterait pas lettre morte. Il va bien voir ce ministre de quel bois on se chauffe.

Le ministre de l’Éducation réfléchit, mais pas trop longtemps. Je vais abolir les commissions scolaires et en créer de nouvelles plus grosses et plus performantes. Le premier ministre applaudit son ministre et l’encourage à poursuivre son œuvre. Devant tant d’encouragement, le ministre redouble d’efforts.

Les enseignants et enseignantes n’ont qu’à bien se tenir. Je vais augmenter le nombre d’élèves par classe. L’important ce n’est pas la qualité de l’enseignement. Austérité oblige! Faire plus avec le même nombre de professeurs. La seule règle valable pour évaluer l’enseignement est la règle comptable. Si ça coûte moins cher, c’est bon. La philosophie de l’éducation n’est pas la lecture de chevet du ministre. Il aime bien réduire la colonne des dépenses.

Bien entendu, les profs sont en beau fusil. Les représentants syndicaux dans le secteur de l’enseignement dénoncent les intentions du ministre. Les profs sont déjà au bout du rouleau et ce sont les élèves qui vont payer le prix de ces nouvelles exigences. Le ministre n’écoute que le premier ministre qui trépigne de joie de voir son ministre de l’Éducation faire œuvre utile.

La ministre de la Famille piaffe d’impatience. Elle aimerait bien obtenir elle aussi l’attention du premier ministre. Mais comment s’y prendre? J’ai trouvé. Mon mandat consiste, entre autres, à organiser les services de garde à l’enfance. Ce réseau fait l’envie du monde entier. Il a fait ses preuves, mais il coûte bien cher à l’État. Je vais exiger des parents une contribution plus importante et je vais moduler cette augmentation en fonction du revenu des parents. La ministre fait part de son intention au premier ministre. Le regard de celui-ci s’illumine et il donne un appui sans équivoque à sa ministre. Vas-y! Fonce dans le tas, lui dit-il.

Les parents, les travailleuses et travailleurs du réseau de garde à l’enfance réagissent et dénoncent les intentions de la ministre. Même la dragonne, Danièle Henkell,*** affirme que ce gouvernement manque de vision et qu’il s’attaque aux femmes en haussant les frais de garde.

L’opposition sociale et syndicale aux projets du gouvernement ne cesse de s’élargir. Le grincheux est de plus en plus heureux. Le nombre de malheureux ne cesse d’augmenter. C’est inespéré en cette veille de Noël. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin?

Le premier ministre jette un œil du côté de ses ministres à vocation économique et leur dit : j’attends de vous un peu plus d’enthousiasme. Le ministre de la Santé, celui de l’Éducation et la ministre de la Famille vous tracent la voie. Je m’attends à ce que ces derniers vous inspirent. Alors, au travail et revenez-moi rapidement avec vos idées de coupures dans les services publics. Soyez imaginatifs et audacieux!

Le ministre des Finances n’en demandait pas tant avant de se lancer à corps perdu dans son plan de réduction des finances de l’État. Il avait déjà sa petite idée et il ne s’en laisserait pas imposer par le ministre de l’économie et par le président du Conseil du trésor.

Une mise à jour économique s’impose. L’État n’a pas d’argent, dit-on. Je sais où le trouver. Il suffit d’aller piger dans les poches de ces nombreux contribuables en leur demandant de mettre un peu plus d’argent dans les coffres de l’État.

Et pour ne pas me faire taxer de ne m’en prendre qu’aux ménages, le secteur financier sera mis à contribution lui aussi. De toute façon, ce secteur trouvera bien un moyen légal de récupérer ce qui lui est demandé. Je viens de ce milieu. Je lui fais confiance. Il ne lui restera qu’à user de son influence auprès du gouvernement pour atténuer les effets de mes demandes.

Il y a bien aussi un peu d’argent à récupérer du côté des syndicats. Je réduis le crédit d’impôt et je fais d’une pierre deux coups. Je récupère de l’argent dans les coffres de l’État et je réduis leur influence malsaine auprès de leurs membres et de la population.

Le premier ministre invite son ministre des Finances à souper à la maison afin de le remercier d’avoir trouvé autant d’argent en si peu de temps. Bien sûr, se dit-il, cela aura des conséquences sur les services publics, mais les gens n’auront qu’à se payer dorénavant ces services. Et le premier ministre d’ajouter qu’il ne faut pas perdre de vue notre objectif d’équilibrer rapidement le budget de l’État.

Bravo, Monsieur le ministre des Finances et savourez votre repas de Noël. Vous le méritez.

Le ministre de l’Économie, sachant les attentes du premier ministre, se creuse la tête afin de trouver l’idée qui pourra plaire au premier ministre. Mais il a un grand défaut. Il se préoccupe de l’économie et n’est pas prêt de la sacrifier sur l’autel de l’austérité. Il a moins l’esprit grincheux que ses confrères. Il est aussi moins puissant qu’eux au sein de l’équipe économique. Tout de même, il entend lui aussi le grincheux lui souffler à l’oreille et n’entend pas se défiler devant tant d’insistance. Il aura son heure.

Le président du Conseil du trésor regarde d’un air amusé ses deux confrères, celui des finances et celui de l’économie. Ils n’ont encore rien vu. Je vais leur donner des exemples de l’étendue de ma puissance. C’est moi qui détiens le plus de pouvoir dans l’appareil gouvernemental. C’est moi qui décide du nombre d’employés de l’État et de leurs conditions de travail. Le premier ministre ne m’invitera pas seulement à souper. Un séjour de pêche m’attend à Anticosti.

Les conventions collectives de plus de 500,000 employés viennent à échéance prochainement. Il y a manifestement trop d’employés. Une réduction de leur nombre s’impose. Ils et elles peuvent toujours rêver à leur prochaine augmentation de salaire. Il n’y en aura pas.

De plus, leur régime de retraite, bien qu’en très bonne santé financière, doit être repensé. Ils prennent leur retraite trop tôt. Il suffit de repousser l’âge de la retraite et pour s’assurer qu’ils restent au travail, je vais augmenter la pénalité en cas de départ hâtif. Et ceux et celles qui quitteront avant que mes nouvelles idées ne prennent forme, m’auront permis de réduire la taille de l’État comme je le souhaite. Il fallait y penser.

Et je pense aussi à abolir certains programmes gouvernementaux. Il y aura des pertes d’emplois, mais nous pourrons habilement utiliser le secteur de l’économie sociale et communautaire pour combler le vide.

Le cellulaire du président du Conseil du trésor sonne. Avant de répondre, il regarde qui l’appelle. C’est le premier ministre. Son rythme cardiaque s’accélère. Ce qui lui arrive rarement. Il prend l’appel et le premier ministre, à entendre le ton de sa voix, est rempli de joie.

Je vous félicite M. le Président. Je n’en attendais pas moins de vous. Vous comblez toutes mes espérances et même plus. Que diriez-vous d’un séjour de pêche à Anticosti? Il y a toujours sur cette île des pourvoyeurs privés qui se feront un plaisir de nous recevoir. Pas question de se rendre chez un pourvoyeur public comme celui de la Sépaq. Nous serons entre amis et à l’abri du regard des fonctionnaires de l’État.

Le grincheux a de quoi être heureux. Son souffle maléfique a agi sur les esprits des ministres et du premier ministre de ce gouvernement.

On peut dire que la majorité de la population est aujourd’hui en état de choc. Tout le monde est malheureux, comme le dit la chanson du poète.

Le grincheux sait bien qu’il a provoqué le chaos et qu’une réponse musclée ne devrait pas tarder à arriver une fois les fêtes terminées. Mais encore faudra-t-il que la population se réveille de ce cauchemar.

Et ce que craint le grincheux par-dessus tout, ce sont les mots de Lise Payette qui insufflent l’esprit de résistance et de révolte chez les malheureux :

Quand nous serons tous assez indignés, nous serons invincibles.


Paul de Bellefeuille



*Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales.

** Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistéeLoi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.

***http://www.lesaffaires.com/blogues/daniele-henkel/des-politiques-de-courte-vue/574775