Une légende du pays en 2035

2015/02/06 | Par Julien Beauregard


Lecteur de littérature de science-fiction à son jeune âge, René Lévesque songeait à écrire un roman d’anticipation après son retrait de la politique, projetant le Québec dans un avenir où son statut de pays aurait été acquis.

Étonnamment, de voir dans une fiction futuriste que le Québec est un pays à part entière n’est pas marginal. De plus, s’il résiste à l’épreuve du temps, en ne peut pas en dire autant du reste de l’Amérique du Nord. La chute des États-Unis d’Amérique semble inévitable, entrainant avec eux le reste du Canada, à l’exception peut-être des Acadiens que le Québec parvient parfois à rescaper.

De manière générale, ce choix éditorial est moins une prise de position politique qu’une vision de l’évolution naturelle du monde, surtout lorsque cela vient d’un auteur américain ou d’ailleurs. Par contre, la chose n’est pas du tout innocente lorsqu’elle est alimentée par des créateurs québécois tel que le montre la toute récente pièce du Théâtre du Futur actuellement à l’affiche au Théâtre d’aujourd’hui, soit Épopée nord d’Olivier Morin et de Guillaume Tremblay.

Cette proposition théâtrale sous forme de récit d’anticipation est la troisième partie d’une trilogie incluant les pièces Clothaire Rapaille, l’opéra-rock et L’assassinat du président. Cette pièce s’installe sous la forme d’une légende racontée à des spectateurs installés tout autour de la pièce. L’ambiance rappelle une bonne vieille soirée canadienne avec ses danses et chansons traditionnelles, le sucre à la crème et le caribou partagé entre convives.

Le futurisme de Morin et Tremblay va de pair avec un profond enracinement dans des traditions qui autrement auraient été jugées désuètes, voire quétaines. On serait porté à croire que le statut de pays enfin acquis décomplexifie notre rapport au passé. Pays, il l’est devenu en 2022 au détour d’une campagne référendaire victorieuse menée par Gilles Duceppe, premier président de la nouvelle république.

En 2035, année où s’installe le récit, les promesses de jours meilleurs se réalisent dans les politiques économiques, environnementales et culturelles. Seule ombre au tableau, le peuple invisible, tel que Richard Desjardins les a appelés dans son documentaire de 2007 à propos des Algonquins, mais le problème reste le même à l’égard des autres peuples des Premières Nations.

Dans l’avenir, la problématique autochtone demeure entière. Pire, elle s’est envenimée avec un mépris digne du Indian act (loi sur les Indiens), cette loi coloniale et raciste que le gouvernement fédéral n’entend toujours pas modifier, encore moins l’abolir. Or, les autochtones ont planifié leur revanche qui fera en sorte de renverser les rôles entre dominant et dominé, entre majoritaire et minoritaire.

L’humour avec lequel Morin et Tremblay manipulent cette réflexion sur l’avenir est exubérant, mais non moins pertinent, bien que souvent cabotin. Le recourt au réalisme merveilleux permet d’explorer les archétypes et les mythes québécois afin de révéler notre intériorité collective, autant ses anges que ses démons.

Comme l’a confié au Devoir Guillaume Tremblay, ce travail de projection est définitivement mieux que ce que projettent ces politiciens abonnés aux «vraies affaires» dont les stratégies ne sont que planifications à court terme, leur vision de l’avenir n’allant jamais au-delà de la semaine suivante.


Épopée nord

texte, mise en scène et interprétation Olivier Morin
texte et interprétation Guillaume Tremblay
interprétation et musique Navet Confit
interprétation Myriam Fournier, Virginie Morin
musique sur scène Ariane Zita
scénographie Alexandre Paquet
éclairages Marie-Aube St-Amant Duplessis
une production du Théâtre du Futur
présenté à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’aujourd’hui du 27 janvier au 14 février 2015
en supplémentaires les 14, 17, 18, 19 et 20 février 2015