Santé : la surtout pas radicale réforme libérale

2015/02/13 | Par Martin Lachapelle

Alors que l’intensification de la lutte contre l’austérité libérale inquiétait déjà les libéraux, l’imposition d’une réforme de la santé contestée par tous les principaux intervenants concernés n’a rien pour diminuer l’ardeur des manifestants et calmer les craintes de ceux qui appréhendent le retour des casseroles au printemps. Comme les chroniqueurs néolibéraux et libertariens qui critiquent l’attention médiatique accordée aux manifestants en souhaitant que le gouvernement aille encore plus loin.

Les projets de loi 10, 20 et 28 du ministre Gaétan Barette portant sur l’orientation et la gestion budgétaire du réseau de la santé sont fortement contestés par à peu près tous les intervenants concernés.

Des médecins spécialistes, aux omnipraticiens, aux infirmières jusqu’aux pharmaciens, tous s’entendent pour dénoncer cette réforme bulldozer que le Parti libéral s’est bien gardé de discuter dans le détail lors de la dernière campagne électorale. Faut croire que dire la vérité ne devait pas faire partie des « vraies affaires ».

Au-delà du double déni de démocratie causé par cette omission délibérée des libéraux et l’imposition du bâillon pour museler l’opposition, les opposants aux projets de loi 10 en ont contre cette réforme, car ils estiment qu’elle n’apportera rien de plus aux professionnels du réseau de la santé chargés de soigner les patients.


Une réforme plus centralisatrice que salvatrice sans aucune garantie d’économie

Au départ, on parle d’un brassage de structures par la création des CISSS et l’élimination des CSSS créés il y a une dizaine d’années (qui commençaient pourtant à bien s’organiser). Avec pour résultat une centralisation des prises de décisions qui s’inscrit à contre-courant avec l’approche asymétrique visant à assurer une proximité des centres décisionnels avec le patient.

Sans oublier la pensée magique du fouet, des quotas et des pénalités financières pour augmenter la charge de travail des médecins. Une idée à laquelle le ministre Barrette n’a curieusement jamais songé à l’époque où il était justement un de leurs représentants.

Toujours est-il que le ministre Barrette blâme les jeunes et les femmes médecins de ne pas avoir une bonne « culture de travail ». Des prétendus paresseux responsables du manque d’accès à un médecin en refusant d’être aussi disponibles qu’Yves « double trempette » Bolduc, l’infatigable médecin hyper performant qui travaille apparemment 8 jours sur 7 pour remplir ses quotas de patients…

Enfin, si les radios-poubelles ayant en horreur le modèle québécois et la fonction publique ont dû sauter de joie en apprenant que des milliers de cadres allaient perdre leur emploi avec le projet de loi 10 (comme si tout ce beau monde était surpayé pour accomplir un travail inutile), ajoutons que le projet de loi 28 concernant la coupure de 170 M$ dans les honoraires des pharmaciens à qui on demande de faire plus avec moins aura aussi pour conséquences des réductions de services et de postes pour plusieurs techniciennes en pharmacie. Et d’autres « gagne-petits » comme des livreurs ou des caissières.

Bref, des milliers d’emplois perdus pour du monde ordinaire et non des millionnaires.

Et tout ça pour quoi? Pour centraliser de façon contre-productive le réseau de la santé sur le dos de ses employés, sous prétexte que les dépenses du réseau seraient trop élevées et que le gouvernement pourraient apparemment réaliser des économies de 220 M$ avec le projet de loi 10 ? C’est ça ?

Or, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) estime au contraire que le projet de loi 10 du gouvernement libéral, par son aspect centralisateur, fera plutôt augmenter les dépenses publiques au lieu de les limiter.

L’IRIS déboulonne aussi le mythe de l’explosion des coûts de notre « trop » généreux système de santé public en rappelant que les dépenses publiques québécoises en santé, qui s’élèvent à 5616$ par habitant, sont pourtant moins élevées que la moyenne au Canada (6045$), ou celle des USA, avec le modèle américain du « tout au privé » contrôlé par des compagnies d’assurances (plus de 9000$). Une hausse des dépenses publiques s’élevant à 28 % depuis 1981 comparativement à 114 % pour le « super » privé.

On réalise donc que les mesures d’austérité libérale comme la réforme de la santé reposent sur l’entêtement idéologique et non la logique. Car ce gouvernement apparemment anti-radical qui prétend être obligé de couper demande la contribution de tout le monde… sauf ses vaches sacrées.

Doit-on rappeler que le financement des écoles privées coûte plus cher (500 M$) que l’économie escomptée (390 M$) avec les projets 10 et 28, pendant que l’Ontario, de son côté, ne donne absolument rien aux écoles privées ?

Et doit-on rappeler que les dépenses en santé seraient beaucoup moins élevées si le gouvernement libéral ne s’était pas entêté à construire deux hôpitaux universitaires à Montréal, alors que des villes nettement plus populeuses et prospères en comptent pourtant un seul ?


Rangez le bulldozer… et sortez le tank

Comme si cette réforme néolibérale n’était pas déjà assez radicale, sachez que les libertariens encore plus à droite de la droite voudraient aller plus loin.

Telle que la cofondatrice du Réseau liberté-Québec, Johanne Marcotte, qui souhaite pratiquement que la réforme, pas assez radicale de la droite dite molle des (néo)libéraux partisans du « tout à l’État » (!), sonne le glas du modèle public au profit d’une privatisation du réseau de la santé. Et ce même si le Québec est déjà un paradis pour le secteur privé.

Tant qu’à délirer davantage, ajoutons que cette militante pour les libertés individuelles, qui ne semble pas se formaliser du fait que des patients perdront la liberté de choisir où ils veulent être soignés, a aussi critiqué le prétendu biais de Radio-Canada en faveur des opposants à l’austérité.

Ça ne s’invente pas. Faisant dans la paranoïa trudeauiste ou harperienne, Johanne Marcotte prétend que Radio-Canada serait « anti-libérale » et pencherait même à gauche. Avec des commentateurs politiques tels que les Marie Grégoire, Yolande James, Lisa Frulla, Daniel Lessard, Tasha Kheiriddin, les chroniqueurs politiques de Gesca comme Alain Dubuc, sans oublier les commis de service de l’Institut économique de Montréal ? Et une certaine membre du très à droite courant libertarien, qui a elle-même déjà profité de temps d’antenne sur les ondes du prétendu nid de gauchistes (et de séparatistes) radio-canadiens ?


Alain Dubuc et les vrais clowns de l’info-spectacle…

Terminons avec une autre critique délirante contre Radio-Canada. Dans un article intitulé L’information-spectacle publié le 9 février dernier, Alain Dubuc a affirmé que RDI (et le secteur de l’information en continu) n’en aurait que pour les « images » et aurait fait de l’info-spectacle en médiatisant le fait que des manifestants contre l’austérité et la privatisation des services publics ont récemment perturbé un discours économique adressé à des gens d’affaires par le gouvernement.

(On ne parlerait que d’un groupe marginal et de seulement 400 trouble-fêtes…)

Or, l’info-spectacle ne se limite pas qu’à la télé ou à la radio, ni aux « amuseurs » de l’information apparemment dépourvus de crédibilité tel qu’Infoman.

Puisque l’info-spectacle, au même titre que n’importe quel spectacle, ne se résume pas qu’à des images et du son. Le spectacle dépend aussi souvent d’une mise en scène et d’un scénario. Et qui de mieux que des chroniqueurs biaisés pour pondre le scénario des films de science-fiction politique sur les prétendus bienfaits de l’austérité ?

Comme l’a déjà souligné Marc Labrèche dans un texte d’opinion intitulé Qui sont les vrais clowns de l’infospectacle? :

« N’y a-t-il pas (…) dans les journaux, des chroniqueurs et columnists qui font encore de la démagogie et manipulent l’information afin de rassembler la meute et glorifier leur ego ? Ce ne serait pas eux, plutôt, les vrais clowns de l’infospectacle ?