Vendus comme terroristes à la cruelle Amérique

2015/02/13 | Par Ginette Leroux

Scénario et réalisation : Patricio Henriquez
Durée : 99 minutes
Année de production : 2014
Langues : ouïghour, anglais, chinois, v.o. anglaise, sous-titres français
Producteur : une coproduction de Macumba Media et de Catherine Loumède (ONF)
Date de sortie : 13 février 2015

« La campagne contre le terrorisme continue », affirmait le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, lors d’un point de presse au Pentagone, le 19 novembre 2001, avant d’ajouter que « nos objectifs militaires immédiats restent la destruction du réseau Al-Qaïda, les dirigeants talibans et la fin de l’Afghanistan comme lieu où les terroristes sont hébergés ». Ainsi commence « Ouïghours, prisonniers de l’absurde », le plus récent documentaire de Patricio Henriquez. Les propos de Rumsfeld scellaient le sort de nombreux hommes pris au piège d’un conflit dont ils demeureront, à tout jamais, d’innocentes victimes.

« On courait comme des animaux », confie Abou Bakker, se remémorant le début des bombardements en Afghanistan, après le 11 septembre 2001. Fuyant les répressions aux limites de « l’ethnocide » du régime chinois, de nombreux Ouïghours, peuple turcophone et musulman, ont quitté le Turkestan, situé dans la région occidentale de la Chine, pour trouver refuge dans les pays voisins, l’Afghanistan et le Pakistan.

Le cinéaste engagé a réussi à retracer vingt-deux de ces hommes traqués au cœur d’une guerre qui leur était étrangère. Trois d’entre eux témoignent. Abou Bakker, Ahmat et Khalid ont accepté de raconter leur lutte incessante contre les autorités américaines et… chinoises depuis le jour où des seigneurs de la guerre véreux et autres bandits profiteurs les ont vendus comme terroristes aux Américains. « Je ne croyais pas que ces passeurs étaient américains. Les États-Unis sont un pays démocratique », raconte l’un d’eux.

Ces hommes ont été marqués du sceau de combattants ennemis. Une étiquette dont ils n’ont jamais réussi à se débarrasser, malgré leur remise en liberté à la suite de sept années d’enfer passées dans les prisons de Guantanamo où, ironiquement, un panneau affiche le slogan « Honour bound to defend freedom » qui se traduit par « Le devoir de défendre la liberté ».

L’interprète américaine d’origine ouïghoure Rushan Abbas et l’avocat bostonnais Sabin Willet, empreints d’empathie et d’humanité, ont travaillé sans relâche et insufflé aux prisonniers l’énergie nécessaire pour qu’ils se battent jusqu’au bout.

Apatrides, ces Ouïghours vivent aujourd’hui dans des pays qui leur ont offert l’asile politique en échange du soutien financier des États-Unis. Dénigrés, critiqués, incompris dans leur pays d’accueil, ils demeurent persona non grata, sans droits ni passeports.

Images d’archives, cartes animées retraçant le parcours d’errance des déracinés en quête de liberté, une caméra inventive qui capte les moments d’émotions des principaux intervenants dans cette cause sont autant de moyens utilisés par le documentariste pour démontrer avec habileté et tact le sort inexplicable réservé à ces sacrifiés sur l’autel de la « démocratie » américaine.

Patricio Henriquez, d’origine chilienne, est Montréalais depuis 1974. Le cinéma n’est pas seulement sa passion, mais le truchement par lequel passe un engagement politique et humain en faveur des personnes opprimées par des régimes qui dénient les droits fondamentaux. Rappelons que sa carrière a débuté en 1998 avec le film « 11 septembre 1973, le dernier combat de Salvador Allende », relatant le coup d’État qui a bouleversé la vie de nombreux Chiliens comme lui, forcés de s’expatrier.

Dix ans plus tard, l’actualité l’interpelle à nouveau. « Sous la cagoule : un voyage au bout de la torture » s’intéresse aux détenus d’Abou-Graïb en Irak, torturés par les soldats américains. En 2010, Henriquez réalise « Vous n’aimez pas la vérité, 4 jours à Guantanamo », récompensé d’un Gémeau et du Prix spécial du jury au Festival international du documentaire d'Amsterdam, le plus important festival de cinéma documentaire au monde. Dans ce film, il scrute le sort réservé à Omar Khadr, dont les droits fondamentaux ont été usurpés avec l’assentiment des autorités canadiennes.

Le film est dédié à Magnus Isacsson, cinéaste engagé et ardent défenseur du documentaire.

 

Ouïghours, prisonniers de l’absurde prend l’affiche le 13 février 2015 en version originale anglaise et sous-titres français.

Cote