Le syndrome de Stockholm

2015/02/18 | Par Michel Rioux

Comprenne qui pourra, tant qu’il est vrai que les voies de la Providence sont souvent tortueuses !

En ces jours où sévissent pas moins d’une cinquantaine de nuances de Grey, force est d’admettre que le masochisme se porte plutôt bien merci, et en de nombreux milieux. Y compris politique.

Ce tristement syndrome, dit de Stockholm, a connu une gloire planétaire dans les années 70 quand Patricia Hearst, petite-fille de William Randolph Hearst, celui-là même qui avait inspiré Orson Welles pour son film Citizen Kane, avait pris le parti de ses ravisseurs, même après que ces derniers l’aient maltraitée durant des mois.

Préférer ses bourreaux aux personnes qui les ont défendus, donner l’accolade à ceux qui, hier encore, étaient leurs pires ennemis, oublier un mépris affiché, faire l’impasse sur un cynisme érigé en système, effacer aussi rapidement de sa mémoire les souffrances et les humiliations que les hordes policières lancées contre eux leur avaient réservées : c’est ce que je ne comprends pas des résultats des sondages qui, les uns après les autres, viennent nous dire que dans la tranche des 18-24 ans, c’est le parti libéral du Québec qui est leur parti de prédilection ! Dans une proportion de 34 % dans le plus récent…

Une jeune étudiante en sociologie de l’UQAM, plutôt délurée et progressiste, à qui je fais part de mon incompréhension devant ces résultats, me répond que les jeunes, aujourd’hui, voyagent, qu’ils vivent la mondialisation et que de ce fait le parti qui leur semble le plus ouvert sur le monde serait le parti libéral… Je me dis : C’est bien beau d’avoir la tête dans la stratosphère, mais encore importe-t-il de savoir où on a les pieds, non ?

La chroniqueuse libertarienne de droite Joanne Marcotte s’en félicitait récemment. « En mars dernier, à 10 jours des élections du 7 avril, un sondage Léger Marketing révélait que le PLQ dominait dans les intentions de vote parmi les tranches d’âge de 18-24 ans (à 30%) et de 25-34 ans (à 42%).  Notre jeunesse serait-elle plus « libérale » que ne le laissent voir les manifestations de la rue largement diffusées par nos médias. »

Lors de son dernier congrès, l’aile jeunesse du PLQ préconisait rien de moins que l’abolition des Cégeps pour les remplacer par des écoles de métier, la privatisation de la SAQ, au bénéfice des amis du régime, sans doute, une plus grande place pour le privé en santé, etc. Toutes des mesures fort progressistes, on le voit. Ce serait à cela, et à tout le reste des œuvres libérales menées sous l’étendard de l’austérité et du démantèlement du modèle québécois, qu’applaudirait la jeunesse d’aujourd’hui ?

Et encore, sans remonter au déluge, comment oublier qu’après tout ce qu’avait fait subir au Québec le régime Trudeau, les libéraux fédéraux faisaient élire 74 députés sur 75 aux élections du 18 février 1980 ?

Et encore plus près, comment comprendre qu’à peine 18 mois après avoir donné leur congé à ces libéraux dont les prévarications, les malversations, les concussions à répétition, les exactions commises au plus haut niveau et la corruption sous toutes ses formes avaient été étalées jusqu’à plus soif, le peuple québécois les aient allègrement, et les yeux pour ainsi dire fermés, remis en selle ?

La mémoire serait-elle donc vraiment une faculté qui oublie ? Et la devise du Québec est-elle toujours Je me souviens ?


La servitude volontaire

Tout cela, qui rend chagrin, me rappelle ce qu’avait écrit dans son temps le copain de Montaigne, Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire paru en 1549.

Ce jeune homme de 18 ans à peine, d’une lucidité implacable (non ! il n’aurait pas voté libéral, j’en suis convaincu, même s’il s’était trouvé dans la tranche des 18-24…), a soutenu que ce n’est pas le tyran - entendre ici le gouvernement - qui prend au peuple sa liberté, mais bien le peuple qui la délaisse et la lui abandonne. Il posait la question clairement : comment expliquer que les hommes non seulement se résignent à la soumission mais, qu’en plus, ils acceptent sans mot dire des politiques qui leur sont néfastes ?

Mais dieu merci, il s’en trouve encore pour prendre la parole et crier haut et fort. À l’occasion d’un rassemblement tenu le 13 février sous le thème Refusons l’austérité, une participante est venue au micro pour lancer cette phrase attribuée à Agatha Christie :

« Un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups. »

À méditer, quel que soit notre âge.