Le 8 mars, hier et aujourd’hui

2015/03/06 | Par Pierre Dubuc

C’est lors d’une conférence internationale des femmes socialistes, tenue à Copenhague en 1910, que Clara Zetkin a fait adopter la proposition que les femmes socialistes de tous les pays organisent, tous les ans, une journée des femmes qui servira, en premier lieu, la lutte pour le droit de vote des femmes.

Au cours des années qui suivront, des activités auront lieu dans plusieurs pays, mais aucune date précise ne sera fixée. Selon le site Internet du Conseil du statut de la femme, l’origine du choix du 8 mars découle de la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, qui a été le signal de départ de la Révolution de février 1917 en Russie. L’événement a eu lieu le dernier dimanche de février, selon le calendrier en usage en Russie, ce qui correspondait au 8 mars du calendrier grégorien moderne. Pour saluer cet événement, Lénine aurait proposé, en 1921, le 8 mars pour la Journée internationale de la femme.

Par la suite, les mouvements socialiste et communiste, de même que le mouvement syndical, dans de nombreux pays, ont consacré le 8 mars comme Journée internationale de la femme. Il en fut de même dans les mouvements de libération nationale, particulièrement dans le contexte de la décolonisation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Au Québec, l’intérêt pour la Journée internationale des femmes s’est imposé par le biais du mouvement de libération des femmes à la fin des années 1960 et au début des années 1970, qui était lié au mouvement d’émancipation nationale, comme en témoignait son slogan : «Pas de libération des femmes sans libération du Québec! Pas de libération du Québec sans libération des femmes! ». C’est le 8 mars 1971 que le Front de libération des femmes lançait officiellement une campagne nationale pour l’avortement libre et gratuit.

Les célébrations du 8 mars ont rapidement été prises en charge par le mouvement syndical. En 1974, les femmes des comités féminins des trois centrales syndicales ((CEQ-FTQ-CSN) et d’organismes sociaux et communautaires conviaient, pour la première fois, toutes les femmes, ménagères et travailleuses, à fêter cette journée qui leur est dédiée dans différentes villes du Québec.

Les luttes pour le droit de vote et pour le contrôle de la reproduction par les femmes ont eu un impact majeur sur la société, tout comme l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, qui leur permettait d’aspirer à l’égalité économique avec les hommes.

Prenant la pleine mesure de ces changements structurels, des historiens ont affirmé que le mouvement de libération des femmes a été la caractéristique centrale du XXe siècle.

Aujourd’hui, au Québec, les femmes constituent près de 50 % de la main-d’œuvre, comparativement à 37 % en 1976. Cela a transformé de fond en comble le modèle traditionnel de la famille et commande une toute nouvelle approche pour assurer l’épanouissement de la femme et du couple, et le bien-être des enfants et des aînés.

Les femmes ont investi le mouvement syndical, au point d’en constituer aujourd’hui la moitié des effectifs, et ont joué un rôle prédominant pour que soient mises de l’avant des revendications pour concilier leur participation au marché du travail et la vie familiale.

Si, historiquement, le mouvement syndical a revendiqué et arraché les assurances sociales caractéristiques de la première période de l’État-Providence, il a également été à l’avant-garde de la lutte pour l’obtention des services de garde et de l’équité salariale.

Des gains importants ont été réalisés dans ces deux domaines au Québec, mais il manque encore plusieurs milliers de places en garderie et le salaire des femmes, travaillant à temps plein toute l’année, ne représentait toujours en 2011 que 75,3 % de celui des hommes.

Malheureusement, avec le gouvernement Couillard à Québec, les choses ne vont pas s’améliorer. Au contraire. Le gouvernement propose un gel salarial de deux ans pour la fonction publique où les femmes sont largement majoritaires. De même, le remplacement du principe de l’universalité par la modulation des frais de garde en fonction des revenus et l’accent mis sur les places en garderie commerciales (1% en 2003 contre 18% aujourd’hui) ont pour conséquence d’appauvrir les utilisatrices de ce service, de même que les éducatrices, la privatisation étant synonyme de désyndicalisation.

L’arrogance du gouvernement Couillard à l’égard des femmes n’est pas mieux exprimée que par les propos du ministre des Finances Carlos Leitao, lors de la comparution en commission parlementaire de Camil Bouchard, critiquant la politique du gouvernement visant à privilégier les garderies privées au détriment des CPE, comme l’a rapporté Vincent Marissal de La Presse.

Après la présentation de Camil Bouchard, appuyé par deux sommités universitaires, à la défense des CPE, le ministre Leitao a tranché : «Respectueusement, je ne suis pas d'accord avec vous». C’était tout ! La veille, il avait accueilli la présentation du néolibéral Institut économique de Montréal par ces mots : «C'est rafraîchissant. On a entendu beaucoup de groupes et votre opinion diffère de ce qu'on a entendu avant, et je dois vous dire que c'est beaucoup plus proche de ce que je pense. On finit en beauté!»

Carlos Leitao – dont la famille a quitté le Portugal, lors de la Révolution des Œillets, qui a mis fin à la dictature salazariste qui dominait le pays depuis 1933 – est un des partisans de la « Quatrième Révolution » prônée par les journalistes John Micklethwait et Adrian Wooldridge dans leur livre The Fourth Revolution. The Global Race to Reinvent the State (Penguin Press), dont Philippe Couillard a déclaré qu’il était la bible de son gouvernement.

Cette « Quatrième Révolution » est, dans les faits, une contre-révolution. Elle est l’héritière de la contre-révolution néolibérale enclenchée au début des années 1980 pour les gouvernements Thatcher et Reagan et vise à compléter le démantèlement de l’État-providence.

L’objectif est de réduire l’État à ses fonctions régaliennes (police, armée, justice, monnaie, politique étrangère, etc.) et de transférer progressivement à la sphère privée les programmes sociaux.

Dans la poursuite de ce but, le gouvernement Couillard est en parfaite harmonie avec le gouvernement Harper. Leur arrimage est parfaitement synchronisé sur la question des femmes. La principale promesse électorale du gouvernement Harper sera le fractionnement des revenus, une mesure qui, non seulement privilégie les plus hauts revenus, mais dont l’objectif est d’inciter les femmes à quitter le marché du travail et demeurer au foyer.

Aujourd’hui, la lutte pour l’avancement des droits des femmes se complique avec la disparition du paysage politique de l’idéologie socialiste, qui a porté depuis le XIXe siècle leurs revendications pour l’égalité avec les hommes.

Dans plusieurs pays dominés, l’idéologie socialiste a été remplacée par l’islamisme, une idéologie dont la pierre angulaire est la soumission des femmes. Dans les pays avancés, comme le Québec, une partie de la gauche fait alliance avec les islamistes, sous le fallacieux prétexte qu’ils luttent contre l’impérialisme, ce qui affaiblit d’autant la lutte pour l’émancipation de la femme.

Au cours de la Révolution tranquille, la lutte pour l’émancipation des femmes et pour la laïcité étaient des sœurs siamoises. De plus, elles s’imbriquaient parfaitement dans la lutte plus globale pour l’émancipation nationale et sociale. Il ne saurait en être autrement aujourd’hui.