Que reste-t-il à bombarder?

2015/03/13 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est membre des exécutifs des Artistes pour la Paix, de Pugwash Canada et du Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires, et membre du Cercle universel des ambassadeurs de paix (Genève)

Le premier ministre du Canada Stephen Harper a soutenu inconditionnellement les bombardements de Gaza par son homologue israélien Benjamin Nétanyahou, ovationné par les Républicains à Washington pour son appel à maintenant bombarder l’Iran.

Le pouvoir acculturé de cette triple alliance militariste se base sur une islamophobie désormais propre aux Conservateurs, selon le journaliste Siddiqui1.

Le commentateur Jon Stewart (Leibowitz) a rappelé avec pertinence et humour la semaine dernière à la télévision américaine que ce même Nétanyahou avait convaincu en 2003 les Blair & Bush à envahir l’Irak contre l’avis de l’ONU, en évoquant alors un avenir radieux qui s’ouvrirait pour la démocratie au Moyen-Orient entier!

Et son nouveau discours éculé, qualifié à juste titre par la démocrate Nancy Peloso d’insulte à l’intelligence des États-Unis, enthousiasme les Républicains aveuglés par leur idéologie de droite, en prônant une attaque encore plus suicidaire, afin d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire…

Sur quelle planète vivent ces gens de pouvoir pour ignorer ainsi le million de morts et les millions de réfugiés des douze dernières années, consécutifs à l’attaque contre l’Irak? Espérons que les Israéliens, eux, s’en souviendront en allant voter dans moins d’une semaine…


BOMBARDONS LES PAYS ISLAMISTES! – semble dire Harper, allié de l’Arabie Saoudite!?!

Une part immense des budgets militaires nord-américains est engloutie présentement dans les bombardements en Irak et en Syrie, plébiscités par des sondages tendancieux. Et pourtant, combien ils apparaissent absurdes et contreproductifs, vu l’alliance étroite de l’Amérique du Nord avec l’Arabie Saoudite2 dont la pléthore de pétrodollars a financé et finance encore dans les pays sous-mentionnés l’action terroriste des fanatiques intégristes salafistes :

  • en l’Afghanistan des années 80, avec les Moudjahidines armés par la CIA contre l’URSS puis lors de l’invasion des puissances occidentales en 2001, débordant ensuite au Pakistan avec les Taliban, Ben Laden et al-Qaeda jusqu’en 2011,

  • au Kurdistan, que notre gouvernement conservateur anti-séparatiste blâme pour la mort récente d’un soldat canadien, après avoir laissé les Kurdes victimes des violences tour à tour turques, irakiennes (Saddam Hussein), syriennes puis celles de DAECH/l’État Islamiste,

  • en Irak, dont des communautés sunnites ont été idéologiquement brainwashées à rejoindre les groupes terroristes djihadistes islamistes,

  • contre la communauté chiite irakienne et celles de Palestine et en particulier d’Iran avec lequel le Canada, trop haineux, n’a même pas songé à renouer les liens diplomatiques, pour profiter de la chute du non moins haineux Ahmadinejab,

  • en Syrie dont l’ONU, appuyée par un vote-surprise au Parlement britannique écoeuré par les manigances de Tony Blair, a réussi à empêcher l’invasion programmée entre autres par la France il y a un an et demi, grâce à l’opportune suggestion russe d’anéantir les armes chimiques de Bachar el-Assad,

  • et en Libye où un général canadien a perverti la mission de l’ONU de protéger Benghazi de l’armée de Kadhafi, en menant contre le gouvernement libyen une guerre de l’OTAN avec les conséquences désastreuses d’armer les islamistes du Nord jusqu’au centre de l’Afrique, avec les tueurs/violeurs de Boko Haram.


UNE FABLE GUERRIÈRE : Harper et les guêpes

La majorité canadienne qui gonfle les sondages pro-conservateurs est invitée à réfléchir à la fable guerrière suivante, qui a ses limites et ses failles, j’en suis conscient :

Si j’ai des guêpes dangereuses qui menacent ma maison et ma famille,

je tenterai d’abord de les en expulser ou de les capturer

avant de les relâcher dans la nature;

si elles persistent, je les tuerai, malgré mon pacifisme tendance bouddhiste,

en les empoisonnant avec un insecticide, malgré mes forts penchants écologiques.

Mais JAMAIS je n’engagerai à coûts de milliards de $ des hélicoptères

ni de malheureux soldats pour aller détruire les nids de guêpes à l’extérieur,

vu que cela aurait pour effet principal de les énerver,

de les chasser de leurs domiciles

et de les voir se réfugier en clandestinité chez moi

et menacer ma paix.

La meilleure façon d’aider les réfugiés

dont le nombre augmente chaque année dans le monde,

c’est d’empêcher la guerre

qui détruit leurs habitats et provoque leur douloureux exil,

c’est le gros bon sens.

Noam Chomsky reproche à ses concitoyens américains :

« tout le monde s’inquiète du terrorisme;

il y a un moyen très simple de l’arrêter : cessez d’y participer »!


NOUS, ON FABRIQUE DES BOMBES – chanson immortelle de Pagliaro

Le message de Chomsky s’adresserait aussi à certains de nos riches Québécois : les Financières Sun Life et Power Corporation, de même que la Banque Scotia, ont investi depuis 2011 plus de onze milliards de $ d’argent canadien dans la fabrication de bombes atomiques, d’avions furtifs F-35 et de drones meurtriers américains : on consultera à ce sujet le rapport édifiant de novembre 2014 www.dontbankonthebomb.com.

C’est d’autant plus scandaleux que les Libéraux coupent dans la santé, l’éducation, l’aide sociale et les arts en vertu d’un discours de propagande qui clame que notre province manque d’argent. Le ministre Coiteux encore hier déclarait, pour justifier la politique d’austérité, que l’argent ne pousse pas dans les arbres! Et ces onze mille millions de dollars que nos compagnies investissent dans General Dynamics, Northrop Grumman et Lockheed Martin???


C-51 : UNE LOI CONSERVATRICE MOTIVÉE PAR LA HAINE?

Les Artistes pour la Paix, dont la vie du vice-président est menacée par une fatwa koweitienne, sont bien conscients qu’il faut tirer des leçons des meurtres perpétrés par des islamistes fanatisés à St-Jean, Ottawa, Paris et Copenhague, d’autant plus que dans ces deux derniers cas, furent visés des confrères caricaturistes. Mais nous ne nous sentons pas du tout protégés par le projet de loi 51 des Conservateurs, appuyé par le parti libéral de Justin Trudeau, car il nous semble mû par la haine des terroristes et non par l’amour et la volonté de protéger les Canadiens.

Jean Chrétien et d’autres ex-premiers ministres ainsi que des ex-juges de la cour Suprême ont dénoncé les changements conservateurs prévus, en défendant la loi originale canadienne, amplement suffisante, à la condition d’accorder aux policiers l’argent supplémentaire nécessaire à leur mission.

Nous, Artistes pour la Paix, n’avons rien à cacher ni à la GRC ni au Service Canadien de Renseignement de Sécurité, à moins que sous la pression du gouvernement Harper, nos échanges amicaux avec l’ONU, l’UNICEF et l’UNESCO deviennent suspects, au même titre que Radio-Canada déclarée « ennemie des valeurs conservatrices »? Qu’en est-il des Assange, Manning et Snowden que Harper considère comme des terroristes, alors que nous les voyons comme des héros whistleblowers d’une dérive sécuritaire?


PENSER GLOBALEMENT, AGIR INTERNATIONALEMENT ET LOCALEMENT

Délégué canadien à la 59e conférence internationale Pugwash sur la science et les affaires mondiales3 à Berlin, commanditée par le gouvernement allemand d’Angela Merkel et par la présidente de la Fondation Simons de Vancouver, j’ai participé étroitement à des discussions entre l’ex-numéro un du Mossad israélien et l’ex-ambassadeur iranien à l’Agence internationale d’énergie nucléaire de Vienne, animés tous deux, malgré leurs différends, d’un désir de paix. Depuis une décennie, je suis témoin d’une ferveur pour la paix mondiale qui anime entre autres les Parlementaires mondiaux (IPU) et les presque sept mille Maires pour la Paix. Les actions de la jeunesse mondiale rassemblée par la Coalition internationale contre l’armement nucléaire (ICAN.org) ont organisé trois grands congrès rassembleurs en Norvège, au Mexique et en Autriche, il y a trois mois.

À l’instar du NPD, du Parti Vert, du Bloc et du Parti des régions, nous croyons fermement que nous n’avons pas à choisir entre notre sécurité et nos droits. On devine déjà de quel côté nous nous engagerons en vue de la campagne électorale imminente qui décidera dans chacun de nos comtés du maintien ou non du parti conservateur militariste au pouvoir. De la défaite conservatrice, dépend l’avenir de l’humanité?


LA SÉCURITÉ DES FEMMES

Au lieu de terroriser, que le gouvernement canadien choisisse de plutôt sécuriser la population, en premier lieu les femmes, premières victimes de nos sociétés de guerre, de sexisme et de racisme : pourquoi, malgré les semonces des Nations-Unies, n’y a-t-il encore aucune enquête fédérale sur les mille deux cent Amérindiennes assassinées ou disparues au Canada au cours de la dernière décennie? N’y a-t-il pas un déplorable parallèle à faire entre Harper et l’idéologie U.S. qui face au Venezuela dont la pauvreté extrême a été combattue par l’action de Chavez, le cible comme danger public, en ignorant les pays « libres » tels le Honduras, le Guatemala et le Mexique accablés par une dizaine de morts violentes syndicales et autres chaque jour ? Combien d’argent le Canada a-t-il versé pour le prix Nobel de la Paix 2014 Malala Yousafsai et son combat pour l’éducation des filles au Pakistan et pour Mère Agnès-Mariam de la Croix et ses médiations courageuses aux côtés de la Prix Nobel irlandaise Mairead Maguire en Syrie?

Le ministre de la Défense Jason Kenney prétend que les bombardements des Hornet canadiens sur Mossoul n’ont pas d’autre but que de délivrer les femmes enchaînées par DAECH, appuyant son argumentation de façade par l’envoi de photos de mascarade : quel lamentable exemple de compassion irréfléchie.

Heureusement, les Conservateurs ont appuyé la nomination de la nouvelle Secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean. Nous espérons qu’elle réitérera son admirable appel à éradiquer la tradition de l’excision en Afrique : des centaines de millions de $ engagés dans une campagne onusienne en ce sens feraient bien davantage pour mettre en échec les intégristes islamistes, que les mille milliards de $ gaspillés par les États-Unis et le Canada à bombarder l’Afghanistan (chiffres du Financial Times).


« CE N’EST PAS D’UNE POLITIQUE DE DÉFENSE QUE LE CANADA A BESOIN, MAIS D’UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE SÉCURITÉ »

Il faut retrouver le sens de cette principale recommandation de l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité4 animée par cinq éminents Canadiens (y compris le progressiste-conservateur Douglas Roche), que les Artistes pour la Paix avaient accueillie en ses locaux à Montréal dès 1992.

L’ex-sénateur Roche, qui a co-fondé avec Jimmy Carter la militante anti-nucléaire Middle Powers’ Initiative, est sur notre comité exécutif du Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires et nous venons d’envoyer ensemble une lettre au nouveau ministre des Affaires étrangères, Rob Nicholson : nos médias ont hélas choisi de l’ignorer, malgré l’imminence de l’ouverture des discussions quinquennales de révision du Traité de non-prolifération nucléaire le 27 avril prochain à New York5.

Il est primordial d’appuyer, contre les Républicains et Nétanyahou, la volonté du président Obama d’arriver, en dépit des blocages français et des objurgations conservatrices de Harper, à une entente avec l’Iran, d’autant plus pressante que l’appui inconditionnel nord-américain à l’Ukraine obscurcit le jugement de ses leaders.

Nous ne sommes pas une bande de marginaux affublés d’une robe blanche (comme dans Tintin, l’étoile mystérieuse) à sonner l’alarme la fin du monde est proche.

Depuis la déclaration de Ban Ki-moon selon laquelle il faisait de l’éradication des bombes nucléaires le combat prioritaire de son deuxième mandat à la tête de l’ONU, des représentants officiels de plus de 150 pays réunis à Vienne par ICAN il y a exactement trois mois ont été rejoints par le message humanitaire de la Croix-Rouge internationale et des religions pour la paix (le pape François au premier rang) et par une vague de jeunes militants qui dénoncent les armes nucléaires comme une menace intolérable à la sécurité du monde, vu la possibilité d’un déclenchement par faille informatique ou lecture erronée d’une alerte ou par attentat terroriste : Corée du Nord, Pakistan, Israël et Russie sont ciblés à tort ou à raison comme principaux pays à risque, sans compter des alliés peu sûrs comme la Turquie qui dispose de bombes nucléaires dues au laxisme irresponsable de l’OTAN.

Contre l’arme nucléaire, qui inutilisée depuis soixante-dix ans siphonne pour son entretien ou renouvellement cent milliards de dollars annuels de la part de ses neuf pays détenteurs, le moment est venu pour tous les partisans de la paix mondiale, jeunes et moins jeunes, de S’ENGAGER en cette année du 70e anniversaire de Hiroshima.

1 Embassy, 10 mars 2015 : article de Haroon Siddiqui, d’abord publié au Toronto Star le 4 mars

2 Le Canada, Badawi et la terreur saoudienne sur http://artistespourlapaix.org/?p=4994

3 Voir dans la section en français sur www.pugwashgroup.ca mon Rapport Berlin de juillet 2011

5 http://www.pugwashgroup.ca/index.php/nuclear-disarmament-67
/517-canadian-network-to-abolish-nuclear-weapons-cnanw