Les baisses d’impôts privent l’État de 12 milliards

2015/03/26 | Par Gabriel Ste-Marie

Les chercheurs Jules Bélanger et Oscar Calderon de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) viennent de publier une importante étude sur la transformation du régime fiscal québécois.

Ils ont mesuré les effets des changements de notre fiscalité entre 1997 et 2013, en posant la question suivante : à quoi ressembleraient nos finances publiques en 2013, si nous avions conservé les mêmes taux d’impôts et autres paramètre fiscaux qu’en 1997?

La réponse nous ébranle. L’État aurait 8,4 milliards $ de plus par année dans ses coffres!

Entre 1997 et 2013, le gouvernement du Québec a diminué l’importance de l’impôt dans ses revenus en réduisant le nombre de paliers et leur seuil. Ces réductions ont entraîné une baisse des rentrées fiscales de 8 milliards $.

Pour compenser cette réduction de l’impôt progressif, l’État a augmenté le niveau de sa taxe de vente, la TVQ. Auparavant, elle s’établissait à 7,5% (8,025% si l’on tient compte du fait que la TVQ taxait la TPS). Aujourd’hui, nous payons 9,975%. Cela rapporte 3,5 milliards $ de plus par année au gouvernement.

Ce changement dans la façon d’engranger les revenus – diminuer les impôts et hausser la taxe de vente – avantage les plus riches au détriment des moins fortunés, puisque la taxation est plus régressive que l’imposition.

Cependant, cet élargissement des inégalités a été compensé par une augmentation des différents crédits d’impôts entre 1997 et 2013. Ils sont nombreux à avoir été modifiés : prime au travail, soutien aux enfants, solidarité, frais de garde, frais médicaux et taxe santé. Pris globalement, ces crédits d’impôts ont réduit les inégalités sociales. Toutefois, leur coût est élevé pour l’État québécois, soit plus de 4 milliards $ par année.

Pour récapituler, en modifiant son régime fiscal, l’État québécois se prive de 12 milliards $, soit 8 milliards $ en baisse d’impôts et 4 milliards $ par l’octroi de nouveaux crédits d’impôts, mais encaisse 3,5 milliards $ de plus en TVQ.

De façon surprenante, en analysant l’évolution du coefficient de Gini (statistique qui mesure les niveaux d’inégalités), les économistes concluent que ces changements n’ont pas entraîné une augmentation de celles-ci. En fait, elles ont même été réduites d’un peu moins de 1%.

Toutefois, l’inégalité s’accroît dès qu’on élargit les paramètres de l’analyse fiscale. Par exemple, l’importante hausse des différents tarifs n’est pas analysée dans cette étude. Même chose pour l’effet de répartition des services publics.

En réduisant ses recettes, l’État québécois a aussi réduit l’offre de services. Ces services jouent un rôle de répartition très important, surtout pour les familles du premier quintile (le groupe représentant le 20% des ménages les moins fortunés). Cet élément est bien démontré dans une étude antérieure de l’IRÉC (Les services publics : un véritable actif pour les ménages québécois, IRÉC, 2012).

Cet aspect n’est pas pris en compte dans la présente étude puisque tel n’était pas son objectif. Par ailleurs, il est désolant de constater que les compressions des Conservateurs font en sorte que Statistique Canada ne met plus à jour les données permettant d’évaluer l’évolution des services publics.

Comme nous le mentionnons précédemment, la présente étude ne tient pas compte des revenus additionnels du gouvernement découlant de la tarification des services publics. Celle-ci a passablement augmenté au cours des quinze dernières années. Par exemple, le coût du permis de conduire a plus que doublé.

Beaucoup plus importante est la hausse des tarifs d’électricité, qui se sont mis à grimper dès 2003. Or, c’est précisément la tarification des services publics qui constitue la forme de taxation la plus régressive.

Ainsi, une famille du premier quintile consacre une proportion deux fois plus importante de son budget à la facture d’électricité qu’une famille du cinquième quintile. Quand on augmente les tarifs, l’effort à fournir affecte davantage les moins fortunés. On sait bien que les hausses de tarifs d’électricité constituent une forme de taxation déguisée, puisque l’essentiel des bénéfices d’Hydro sont versés à l’État québécois.

Il n’en demeure pas moins surprenant de constater que les baisses d’impôts entre 1997 et 2013n’ont pas directement contribué à accroître les écarts de richesse, selon les calculs de Bélanger et Calderon.

Selon les éléments analysés par les économistes, c’est la hausse des taxes à la consommation qui vient accroître les écarts de richesse, puisque les plus riches sont moins touchés par cette augmentation. Encore une fois, les changements demeurent minimes. Toutefois, ce constat doit nous mettre en garde contre la proposition du Rapport de la Commission Godbout d’augmentation de la taxe de vente.

Les études touchant la fiscalité sont fort complexes. L’étude analysée est rigoureuse, mais son cadre est restreint : les taxes, impôts et crédits concernant les particuliers, pour le niveau provincial, au Québec, entre 1997 et 2013. Elle démontre que le gouvernement québécois a progressivement réduit ses recettes, au point de se priver de revenus de plus de 8 milliards $ par année.