Manif étudiante : C'est à ton tour, de te laisser parler d'amour

2015/03/30 | Par Laurence Vinet


L’auteure est étudiante au baccalauréat en Études littéraires

Mon ami, c’est un doux. Politisé, mais réservé, ses rares envolées lyriques sont réservées au Québec, sa patrie. Mon ami a de l’espoir tranquille dans les yeux. Il est patient.

Hier, j’ai vu la petite lueur dans ses yeux, celle qu’il réserve à sa patrie, se flétrir, se muer en stupeur incrédule. Il voulait fêter ses vingt-deux ans devant l’Assemblée nationale. Poser un geste pour le Québec dont il rêve, c’est tout à fait lui.

J’avais peur quand ils sont partis, les trois avec la vingtaine un peu flasque, pas trop équipé pour se battre contre des boucliers et des matraques. On avait discuté de ce qui s’était passé mardi. Les 274 arrestations, la violence. On s’est repassé la vidéo d’Impact campus, qui tremble au rythme où les policiers courent après des manifestants. Les policiers forment une rangée compacte, courent au même rythme en tapant leur matraque contre leur bouclier. Les manifestants, un amas incontrôlable qui va dans tous les sens. Je leur ai dit de faire attention, parce qu’avec cette technique, les policiers étaient assurés d’atteindre les plus faibles, moins rapides que les autres.

Je leur avais longtemps parlé de mon expérience de la brutalité policière. À 18 ans, le vent dans les cheveux, j’avais tenu des fleurs serrées dans mes poings jusqu’à ce que tout explose autour de moi. Je n’ai pas compris toute suite pourquoi il fallait se disperser. La pagaille bousculait nos horizons. Nous nous étions cachés au creux d’un building, avec la peur de se faire piétiner. Il était déjà trop tard. La souricière nous coinçait entre les matraques et le béton. J’ai des souvenirs qui me reviennent comme des gifles, une matraque contre une jeune fille, des sanglots devant les policiers qui éclatent de rire. Au Québec, on cache la répression des idées. Je suis restée marquée par la peur de manifester.

J’ai passé la soirée avec eux, après la manifestation. J’ai eu des informations pêle-mêle, au rythme de leur coeur qui battait la chamade. À un moment, ils m’ont raconté que quatre policier ont entouré le fêté de leurs matraques. Mon ami a un handicap physique visible. Il aura fallu que son copain le hurle aux quatre policiers. Ils ont eu l’immunité, en pensant à tous les autres pour qui les traces de cette violence ne seraient pas moins profondes que celles qu’il aurait pu avoir.

Vers la fin, l’ami m’a confié qu’il fallait le voir pour le croire. Ça m’a atteint droit au coeur. J’ai compris que ce sentiment de profonde injustice, qui m’avait animé dans cette manifestation qui avait mal tourné, pouvait être raconté, mais ne serait jamais transmis tout à fait. Je pense à cette une du Journal de Montréal, qui titrait 274 à 0 arrestations comme un score au hockey Québec contre Montréal, je pense à tous ces commentaires que remettent en doute la sincérité des injustices vécues lors des manifestations, je pense aux journalistes de Radio-Canada qui sont présents lors des manifestations et qui osent quand même remettre en question ce qu’ils ont dû voir de leur propres yeux. J’ai envie qu’ils viennent avec nous, dans la rue, nous dire que ce sont les manifestants le problème, que ce sont eux qui sont violents. J’ai envie qu’on comprenne la démesure de la répression envers les étudiants, qu’un trajet non remis dans un rassemblement qui n’en a pas de toute façon, ça ne vaut certainement pas un tir de lacrymogène au visage. J’aimerais qu’on arrête de dire que toutes ces bavures policières ne sont que des exceptions et que des exceptions en forme d’ecchymose, ça ne passe pas. J’aimerais aussi qu’on comprenne, finalement, que cette répression s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large et très dangereux pour notre liberté d’expression à tous.

Après avoir manifesté, mon ami a fondu en larmes. C’est qu’il est sensible, du moins pour quelques années encore, je l’espère.