Improbable entente IRAN/P5+1

2015/04/10 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est vice-président des Artistes pour la Paix

Une marche pour la paix diplomatique longue de dix-huit mois entre les grandes puissances et l’Iran s’est conclue le 2 avril. Et encore! Peut-on parler de conclusion, avec les embûches à venir? En outre, ces dix-huit mois suivaient en fait douze ans de tractations, conclues par un dernier marathon « historique » de huit jours et huit nuits à Lausanne.

Les Artistes pour la Paix saluent cet exemple si rare de succès diplomatique, grâce en tout premier lieu au courage exemplaire du président Hassan Rohani d’Iran. Il s’agit d’un pays où les horribles Gardes Révolutionnaires ayant encore l’oreille du guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, peuvent à tout moment décréter arbitrairement que son action est traîtresse à son pays, en l’interprétant comme une volonté de les priver de l’arme suprême atomique (même si dans les faits, tous les Ayatollahs ont proclamé l’indécence morale de cette arme).

Les concerts de klaxons et les scènes de liesse dans les rues de Téhéran montrent bien de quel côté se range la population, excédée par le militarisme ambiant.

Le courage du président Barrack Obama n’est pas moins à souligner, n’en déplaise aux dogmatiques anti-impérialistes, car il a choisi d’aller à l’encontre des vœux

• de l’Arabie Saoudite, dont l’agressivité se démontre depuis deux semaines dans sa guerre au Yémen et auparavant par ses fournitures d’armes aux Taliban en Afghanistan et au Pakistan et par sa doctrine enflammant la rigueur sunnite fanatique de l’Armée islamiste en Syrie et en Irak, en prêchant la forme la plus intolérante musulmane du wahhabisme. Nous félicitons en aparte Stephen Harper pour sa grande « sagesse » quant au choix de ses alliés : le cas Raïf Badawi ne l’empêche pas de dormir!

• du complexe militaro-industriel américain et canadien (en lire un bref aperçu dans notre article http://artistespourlapaix.org/?p=4994)

• du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui a fait de sa haine de l’Iran l’essentiel de ses discours électoralistes semés jusqu’à Washington au Congrès, où il fut indécemment ovationné par les Républicains.

On me permettra à titre de membre exécutif de Pugwash Canada de citer M. Cotta-Ramusino, Secrétaire général des conférences Pugwash, le 2 avril à Nagasaki : Cette entente “montre que la volonté politique et une pensée non biaisée peuvent jouer un rôle critique et déterminant dans la création d’un plus stable et pacifique environnement international ».

À titre de membre exécutif du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire, voici maintenant une citation de M. Douglas Roche, co-fondateur de la Middle Powers’ initiative : [l’entente représente] « une avancée historique dans la longue route de l’élimination des armes nucléaires, un jalon qui réitère la validité du Traité de non-prolifération nucléaire, la plus importante mesure existante de contrôle de ces armes ».

Notre appréciation du travail de Vladimir Poutine est positive, même si elle n’oublie ni les dérives autoritaires de sa présidence, ni les rumeurs d’assassinat d’opposants et de journalistes, ni son alliance homophobe avec l’Église orthodoxe, ni la présence de l’armée russe en Ukraine de l’Est.

Mais nous devons souligner le rôle que la Russie a joué dans l’entente Iran/P5+1, en particulier son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Il avait évité le bombardement de la Syrie, en proposant plutôt, de concert avec le Secrétaire général de l’ONU, l’anéantissement des armes chimiques d’Assad.

On se souviendra aussi du rôle crucial joué par le Parlement britannique qui avait désavoué le premier ministre conservateur Cameron, partisan du bombardement. On a peine à se souvenir que tout cela survenait il y a dix-neuf mois à peine, alors que nos médias occidentaux unanimement pro-bombardements (l’aut’journal étant une notable exception) n’avaient jamais entendu parler de l’ISIS-Daech-armée islamique qui aurait profité de ces bombardements!

Nous avions alors organisé à la CSN le 3 décembre à l’intention des médias à Montréal la conférence de presse de Mère Agnès-Mariam de la Croix, infatigable instigatrice de médiations en pleine guerre civile syrienne dénonçant avec un courage inouï aux côtés de Mairead Maguire, prix Nobel de la Paix irlandaise, les milliers de mercenaires djihadistes venus des pays occidentaux empoisonnant cette guerre.

Nous remercions encore Azeb Wolde-Gheorghis de RDI et François Bugingo de TVA qui représentèrent des exceptions à l’unanimisme désolant des médias dits officiels.

Si nous taisons les rôles plutôt négatifs de la France et de la Grande-Bretagne dans cette improbable entente, nous louons avec force le rôle constructif +1 de l’Allemagne et de sa chancelière Angela Merkel. À peine de retour de ses expéditions pour la paix qu’elle a conduites jusqu’auprès de Stephen Harper pour l’empêcher de bombarder l’Ukraine de l’Est avec l’OTAN, elle a encore mis son incroyable énergie au service de la paix dans la conclusion de cette entente.

Avec quatre autres collègues, je représentais Pugwash/Canada à la 59e Conférence internationale Pugwash à Berlin le 1er juillet 2011, alors que le Bundesregierung votait en faveur du retrait de l’Allemagne de l’énergie nucléaire. J’avais eu alors l’audace de convaincre un ex numéro 1 du Mossad de discuter avec l’ambassadeur iranien à l’Agence internationale d’énergie atomique et notre conférence s’était conclue sur une présentation éloquente par un savant japonais des problèmes considérables à Fukushima, un trimestre à peine après la dévastation de sa centrale nucléaire par un tsunami.

À partir du 14 avril prochain, Québec meilleure mine organise le Symposium international sur l’uranium à Québec où des collègues tels le mathématicien Gordon Edwards, l’urgentologue Éric Notebaert et le professeur de l’Université Laval Michel Duguay, feront d’importantes présentations (voir http://www.uranium2015.org/), le tout se concluant par une interprétation d’une chanson de Gilles Vigneault contre le nucléaire, par lui-même!

Par contre, les discussions quinquennales seront difficiles au Traité de non-prolifération nucléaire à New York (ONU) le 23 avril prochain. Les P5 seront malgré le succès d’Iran/P5+1 à bon droit harcelé sur son inaction à produire des résultats quant à leur propre désarmement. Monteront aux barricades les militants d’ICAN.org, forts des grandes réunions à Oslo, Nayarit et à Vienne, il y a quatre mois, réunissant 158 pays, sans compter la courageuse action en justice internationale entreprise par les îles Marshall.

Si les optimistes ne manqueront pas de saluer la réduction des bombes nucléaires opérationnelles à 16 300, les réalistes déploreront qu’on budgette des sommes phénoménales pour leur rénovation, que seules la Chine et l’Inde aient officiellement renoncé à « une première utilisation», qu’au moins 1500 armes restent en état d’alerte maximale, prêtes à un déclenchement si rapide qu’on n’aurait pas le temps de vérifier si l’alerte donnée provient d’un faux signal ou d’un malfonctionnement électronique.

Enfin, l’indignation internationale contre les bombes nucléaires a gagné la Croix Rouge, un organisme qui pourtant n’adopte jamais de revendication politique, et l’Église catholique :

  • le pape François a relevé dans son prêche pascal « comme seul motif d’espérance [dans le contexte des massacres en Afrique et au Moyen-Orient], l’accord-cadre conclu le 2 avril à Lausanne entre l’Iran et les grandes puissances sur son programme nucléaire, souhaitant que cet accord soit un pas définitif vers un monde plus sûr et fraternel ».

  • Mairead Maguire, prix Nobel de la Paix 1976, a répondu à notre opinion exprimée sur le site des Artistes pour la Paix par les mots suivants : « cher Pierre, merci pour cet envoi qui nous donne espoir en nos efforts de débarrasser le monde des armes nucléaires et de la guerre : c’est un pas concret important de plus, en vue d’accéder à la vision de la paix et du désarmement. Peace, Mairead.