Réduction de notre dépendance aux consultants externes

2015/04/14 | Par Richard Perron

L’auteur est président du SPGQ

Depuis le 18 mars dernier, Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, répète inlassablement qu’il entend réduire notre dépendance aux consultants externes dans les contrats en informatique. Il précise même qu’il a déjà réduit de 30 % le nombre de ressources externes en informatique au Centre de services partagés du Québec (CSPQ). S’agit-il d’une réduction nette ou d’un simple transfert vers d’autres ministères?

Martin Coiteux a poursuivi son homélie lors du dépôt de la Stratégie de gestion des dépenses (Budget de dépenses 2015-2016) en mentionnant qu’il renforcera l’expertise interne. Cependant, le document omet de mentionner s’il s’agit d’embauche ou non. Au mieux, ce document indique une perspective de rétention de l’expertise interne stratégique.

Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a pourtant déjà expliqué, récemment, les efforts de la fonction publique ontarienne qui, depuis 2003, a converti 1 519 emplois de consultants externes (incluant 1 335 consultants en informatique), travaillant pour le gouvernement de l’Ontario, en emploi dans la fonction publique ontarienne – une pratique qui se nomme l’insourcing, un terme qui peut se traduire par « réinternalisation ». Le gouvernement de l’Ontario a vu juste, car le geste a généré des économies permanentes d'environ 60 millions $ par année.

Pour sa part, le gouvernement américain n’est pas en reste dans ce domaine, même s’il a déjà largement fait appel à la sous-traitance pendant les années de l’administration Bush. Sous l’impulsion de l’administration Obama, le gouvernement américain a plutôt choisi d’embaucher des dizaines de milliers de fonctionnaires dans différents domaines, comme l’informatique, pour remplacer des sous-traitants dans les différents ministères, comme ceux de la défense, de la sécurité intérieure et du revenu.

Diminuer les coûts, tel a été l’un des principaux objectifs du gouvernement américain, principalement en informatique. En une seule année, la division des technologies de l’information des Douanes et de la protection des frontières au ministère américain de la sécurité intérieure a, par exemple, économisé 27 millions $ sur un budget de 400 millions $ en convertissant 200 consultants externes en employés de la fonction publique (Center for American Progress, Insourcing : How Bringing Back Essentiel Federal Jobs Can Save Taxpayer Dollars and Improve Services, 2012).

Mentionnons que les économies réalisées par la division des technologies de l’information de ce ministère américain ne proviennent pas du fait que ces nouveaux employés de la fonction publique sont moins bien payés que lorsqu’ils étaient consultants; ils ont conservé le même salaire. Les économies proviennent simplement de l’élimination des profits réalisés par les entreprises des consultants qui offraient leurs services à cette division.

Selon une autre étude (Project On Government Oversight, Bad Business : Billions of Dollars Wasted on Hiring Contractors, septembre 2011), le gouvernement fédéral américain a payé en moyenne 1,83 fois plus cher pour des services fournis en sous-traitance que si ces derniers avaient été rendus par des employés du gouvernement fédéral, et ce, en y incluant les avantages sociaux.

Les autres principaux objectifs du gouvernement américain en pratiquant l’insourcingsont de renforcer son expertise interne, surtout dans des emplois stratégiques, et d’accroître sa transparence, notamment en matière de conflits d’intérêts. Un dernier objectif consiste finalement à accroître la qualité du travail, surtout lorsque les sous-traitants sous-traitent eux-mêmes de façon importante, car cette pratique tend à diminuer considérablement la qualité du travail réalisé.

Les mêmes raisons ont amené les gouvernements locaux et régionaux du Royaume-Uni à pratiquer l’insourcing. Ils sont principalement motivés par une réduction des coûts, incluant ceux associés au temps consacré à l’élaboration et au suivi des contrats, ainsi que par un accroissement de la flexibilité, du contrôle, de l’expertise et de la qualité des services (Report by APSE for UNISON, Insourcing update : The value of returning local authority services in-house in an era of budget constraints, juin 2011).

Monsieur Coiteux, si vous désirez vraiment rénover l’État québécois, écoutez plusieurs députés de l’Assemblée nationale et faites des économies comme d’autres grands gouvernements, dont nos voisins, qui réduisent leur dépendance aux consultants externes en pratiquant la réinternalisation. À l’inverse, réduire la taille de l’État par la sous-traitance (l’outsourcing ou l’externalisation) dans toutes les sphères de l’État, incluant le secteur de la santé, conduit inévitablement à payer plus cher pour des services qui sont souvent de moindre qualité.

Comme les services sous-traités font perdre à l’État le peu d’expertise qu’il lui reste dans les domaines stratégiques, comme celui de l’informatique, l’insourcing (ou la réinternalisation) mérite d’être considérée très sérieusement.