Des représailles bien réelles pour une émeute inventée

2015/04/17 | Par Simon Rainville

Notre bon gouvernement Couillard, qui coupe et recoupe, sans discernement, comme la belle machinerie des capitaux étrangers qu’il s’apprête à envoyer détruire les rivières et les forêts du Nord, s’attaque aux ennemis de l’économie, du profit et de l’utilité au nom de l’hystérité.

Il souhaitait couper la « faramineuse » subvention consentie à l’Association internationale des études québécoises (AIEQ), ces « pelleteux de nuages des sciences humaines ». Personne n’allait mourir de ça.

Aux dernières nouvelles, l’organisme pouvait espérer conserver ses fonds publics. À voir ce que l’AEIQ publie, on comprend mieux l’intérêt de ces libéraux pourfendeurs d’identité à mettre la hache dans un programme de rayonnement international de la culture québécoise. L’émeute inventée de James Jackson, professeur retraité de littérature francophone et québécoise à Dublin, est un bon exemple de l’importance de cette association.

Vous avez bien lu : Dublin. Oui, la culture québécoise intéresse le monde entier : l’AEIQ a répertorié environ 3000 québécistes répartis dans 82 pays avec lesquels elle entretient des liens.

Depuis plus d’un siècle, certaines de nos élites ont tenté de faire rayonner la culture canadienne-française à l’international, surtout en France, avec un succès mitigé. Dès 1961, avec la création de la Délégation générale du Québec à Paris, les Québécois ont décidé d’investir davantage afin de faire connaitre la nation et l’identité québécoises. En coupant dans ce genre de subvention, c’est au statut de province insignifiante que Couillard nous convie.

Le propre d’une nation qui n’est pas pays est de croire qu’elle n’intéresse personne. Et le propre d’une nation qui n’a jamais contrôlé son destin est de s’imaginer décolonisée, passée à autre chose, moderne, que dis-je?, postmoderne!

L’échec patriote? C’est du passé! L’État-nation? C’est démodé! Et, de toute façon, « les British c’est des bons Jacks », comme le chante Loco Locass. Alors, pourquoi revenir sur les vieilles chicanes?

Jackson nous explique pourquoi ce ne sont pas des vieilles chicanes, mais des structures permanentes de la domination du peuple québécois.

Nous sommes 70 ans après la Conquête. Le mouvement patriote a le vent dans les voiles. Chaque élection confirme l’intérêt pour le parti de Papineau. Les Anglais n’aiment pas ça. Ils attendent le bon moment; ce sera l’élection de mai 1832.

Alors que la victoire devrait aller de soi pour le Parti anglais dans le Quartier-Ouest de Montréal, un Irlandais près des Patriotes, Daniel Tracey, décide de briguer le poste de député de la circonscription face au loyaliste Stanley Bagg.

Tracey, propriétaire et éditorialiste du Vindicator, un journal qui en fait prendre plein la gueule aux Anglais, dénonce les supercheries du pouvoir colonial qui, signe de son grand respect pour la diversité d’opinion, l’emprisonne. C’est le début de la notoriété de Tracey, qui sera accueilli par une foule en liesse à sa sortie de prison.

Les Anglais iront jusqu’à remettre en cause le titre de médecin de Tracey acquis en Irlande, souhaitant ainsi le discréditer. Ça ne vous rappelle pas les médias qui parlent toujours du « docteur Barrette » et jamais du « médecin Khadir », indigne d’un tel titre parce qu’il dérange l’ordre établi?

Les colonisateurs voient en Tracey un triple ennemi : il dénonce leur plan de vente de terres de la Couronne pour une somme dérisoire aux amis du régime (les Molson, Mc Gill, etc.); c’est un Irlandais qui a goûté à la médecine de l’armée britannique dans sa terre natale 30 ans plus tôt; il se range du côté des Canadiens (nous nous nommions encore ainsi). Parce qu’il faut bien le dire, les Patriotes étaient en majorité francophones, mais plusieurs étaient d’autres origines.

L’identité québécoise, contrairement à ce que veulent nous faire croire plusieurs, a toujours été ouverte aux influences autres que la culture de la majorité. « Qu’est-ce que les Canadiens?, argumentait Augustin-Norbert Morin en 1827. Généalogiquement, ce sont ceux dont les ancêtres habitaient le pays avant 1759, et dont les lois, les usages, le langage leur sont politiquement conservés par des traités et des actes solennels; politiquement, les Canadiens sont tous ceux qui font la cause commune avec les habitants du pays, quelle que soit leur origine ».

Ne pouvons-nous pas nous inspirer de ces « vieilles affaires » pour définir les Québécois d’aujourd’hui ?

Mais revenons à l’élection entre Bagg et Tracey qui s’avère très serrée. Après plusieurs jours de tension politique et de violence physique, au cours desquels les partisans de Bagg et le pouvoir colonial usent de méthodes aussi honnêtes que celles du camp du NON de 1995, la victoire de Tracey ne fait plus de doute.

C’en est trop pour le pouvoir établi qui se crée un prétexte pour dompter les coloniaux : les partisans de Tracey auraient déclenché une émeute pour « célébrer » leur victoire. L’armée n’avait donc pas le choix de tirer sur la foule. Voilà ce que nos historiens ont cru et propagé depuis 1832.

Dans une reconstruction historique fascinante, qui rappelle que l’analyse minutieuse et détaillée d’un évènement peut souvent nous apprendre davantage que des conceptualisations extrêmes, James Jackson montre que cette émeute n’a jamais eu lieu, que le pouvoir colonial a monté de toute pièce l’épisode afin de discréditer les Patriotes.

Ça vous rappelle quelque chose ? La loi sur les mesures de guerre décrétée durant la crise de la conscription de 1918 et celle d’Octobre 1970, par exemple ?

Il y a dans le livre de Jackson tout ce qu’il faut pour comprendre la situation québécoise; les Britanniques, devenus aujourd’hui Canadiens, qui s’arrogent le droit de gouverner les Canadiens indigènes, devenus Québécois, et de leur interdire toute forme de non-consentement au pouvoir colonial, le succès du parti patriote ne pouvant pas être toléré par les administrateurs corrompus de la Couronne; quelques minorités qui soutiennent le peuple opprimé, et la majorité qui se range du bord des colonisateurs appuyés par quelques indigènes ; toutes les tractations politiques, juridiques, militaires et médiatiques afin de forger l’opinion publique.

Jackson nous montre aussi, dans un condensé efficace, la logique guidant les relations entre Britanniques et Canadiens (aujourd’hui Québécois); le racisme institutionnalisé, le mépris de la majorité (par exemple, environ ¼ des jurés sont francophones et catholiques alors que ceux-ci représentent plus des ¾ des habitants du Bas-Canada), la vente des terres à des gens vivant en Grande-Bretagne n’ayant jamais mis les pieds ici, le copinage politique, médiatique et juridique, etc.

Pour James Jackson, cette « émeute » de mai 1832 est le point de départ de la radicalisation de plusieurs jeunes Patriotes, comme La Fontaine et Cherrier, et le début de la défection de plusieurs anglophones, comme John Nielson, qui s’étaient d’abord rangés du côté de la majorité opprimée. Le procès, hautement médiatisé, a suscité les passions et a servi de catalyseur à la frustration.

Cet épisode a été éclipsé des préoccupations des historiens par l’épidémie de choléra qui eut lieu à l’été de la même année et par les 92 résolutions de 1834 qui menaçaient l’Angleterre.

À quand un film sur cette « émeute »? Je suis prêt à parier que Téléfilm Canada, qui adore promouvoir les moments difficiles de notre histoire, souhaite financer ce genre de projet … Feu Pierre Falardeau en sait quelque chose.

James Jackson, L’émeute inventée. La mort de trois Montréalais sous les balles de l’armée britannique en 1832 et son camouflage par les autorités, traduit de l’anglais par Michel Buttiens, Montréal, VLB, 2014, 322 p. (Coll. Études québécois)