Injonctions et démocratie étudiante

2015/04/22 | Par Geneviève Boileau

L’auteure est étudiante à la maitrise en théâtre à l’UQAM et membre de l’Aféa, de l’Adémat et de la Sétue.

Le rectorat de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et, par extension, l’instance décisionnelle suprême qu’est le Conseil d’administration, agissent présentement comme des directeurs d’école primaire, ou même encore comme des directeurs de prison. Pour moi, et c’est bien malheureux, la grève à l’UQAM n’a plus rien à voir avec l’austérité et les hydrocarbures, elle est devenue une lutte à finir contre la répression politique qui s’est installée entre les murs de notre institution.

L’UQAM a été fondée, dans la même foulée que les cégeps, dans un esprit d’accessibilité et de démocratisation. Plus particulièrement, notre université est construite sur des bases de dialogue et de collégialité. Les plans de cours, proposés par les enseignantEs en début de semestre, sont ensuite votés par la classe et doivent être adoptés à majorité. Le contenu des programmes d’enseignement est élaboré en comités, composés d’étudiantEs et d’enseignantEs, qui discutent, débattent et arrivent ensemble à un consensus.

Le calendrier scolaire et les mesures à prendre en cas de perturbations, de menaces de renvoi, ou autres, sont soigneusement étudiés et proposés par une instance appelée la Commission des études, elle aussi composée de chargéEs de cours, professeurEs, étudiantEs et employéEs de soutien. On peut être d’accord ou non avec ce mode de fonctionnement participatif, mais c’est cela qui fait l’unicité de cette institution académique.

Depuis plus d’un demi-siècle, les syndicats étudiants se sont prononcés sur divers enjeux sociaux, relevant ou non du domaine de l’éducation. Depuis plus d’un demi-siècle, ils ont eu le droit de recourir à la grève pour faire monter la pression et établir un rapport de force. Depuis plus d’un demi-siècle, ces mandats de grèves doivent être respectés, et ainsi pour les faire respecter, les associations étudiantes procèdent à des levées de cours lorsque nécessaire.

Sauf cette année. Cette année, le recteur Robert Proulx a décidé que certainEs étudiantEs (et pas d’autres, pour des raisons pour le moins obscures) devaient être renvoyéEs pour avoir fait respecter une grève par des levées de cours dans les deux dernières années (il n’y avait pas d’injonction en 2013).

Cette année, le recteur Robert Proulx a décidé que le comité devant lequel devaient paraitre ces étudiantEs menacéEs de renvoi se verrait privé des étudiantEs qui y siègent, accordant ainsi à l’administration la double position de juge et partie.

Cette année, le recteur Robert Proulx a demandé une injonction d’urgence pour empêcher les associations de faire respecter la grève par des levées de cours et lignes de piquetage, rendant d’office ces dernières illégales jusqu’au 21 juillet.

Cette année, le recteur Robert Proulx a décidé de répondre à ceux et celles qui ont tout de même cherché à faire des levées de cours pacifiques par une attaque violente de l’escouade anti-émeute dans nos murs. 

Cette année, il a décidé. Fini, la collégialité. Fini, la concertation et la démocratie. Fini l’écoute envers la communauté.

Peu importe si les syndicats des professeurEs et des chargéEs de cours ajoutent leurs voix aux associations étudiantes pour lui faire entendre raison.

Peu importe si la Commission des études l’implore de revenir sur sa décision de ne pas modifier le calendrier.

Peu importe si depuis des décennies ce calendrier est prolongé à chaque grève générale illimitée. Il ne pliera pas. Par orgueil? Par manque de fonds? Par pression gouvernementale? Personne ne connaît vraiment ses motifs. Pourtant, une chose est sûre : s’il atteint son but, si la grève est cassée, et que ceux et celles qui se sont montrés solidaires et ont respecté le mandat démocratique se retrouvent avec des échecs pour les cours et évaluations manquées, cela créera un dangereux précédent. 

La prochaine fois que la communauté étudiante voudra se lever contre une nouvelle ineptie néo-libérale, elle se verra hantée par la peur réelle et tangible d’un échec.

La prochaine fois qu’elle voudra voter une grève, elle saura qu’elle ne pourra la faire respecter.

La prochaine fois qu’elle souhaitera se montrer solidaire, elle saura que l’Université n’est plus un sanctuaire de débats et de dissidence politique, mais bien un établissement où elle est cliente, sans droit de parole, sous peine de répression politique, physique et académique.

La prochaine fois que notre jeunesse voudra se lever, elle sera bâillonnée d’avance. 

Il est là, le problème. Qu’on soit d’accord ou non avec la pertinence d’une grève étudiante contre l’austérité, on ne peut pas accepter que ce soit au rectorat de dicter à la communauté étudiante quand et comment elle peut voter et faire respecter une grève.

Il en va de la préservation de notre démocratie étudiante, de la collégialité de nos instances, et de l’identité même de la communauté uqamienne.

Robert Proulx croit qu’il faut punir « ses » étudiantEs pour leur apprendre une leçon. Il nous voit comme des enfants qu’il doit corriger, non comme des adultes, qui travaillent, peuvent voter, ont des familles, comme lui, mais ne sont tout simplement pas d’accord avec lui.

Il leur appartient de faire entendre cette dissidence politique à l’intérieur et à l’extérieur de leurs murs. Il leur appartient de voter les moyens de pression qu’ils et elles jugent appropriés et de les faire respecter.

À qui l’UQAM? À tout le monde, bien sûr, mais d’abord et avant tout à ceux et celles qui contribuent à son enrichissement par leur travail. ProfesseurEs, chargéEs de cours, étudiantEs, employéEs de soutien, voilà à qui il appartient de choisir ce qui peut et va perturber leur milieu de vie, ce qui vaut la peine, ce qui enrichit et fait grandir.