Jacques Lanctôt à la défense de PKP patron

2015/04/22 | Par Pierre Dubuc

Jacques Lanctôt a été un des rédacteurs du célèbre Manifeste du FLQ. Après les Événements d’Octobre 70, il a vécu plusieurs années en exil à Cuba. À son retour au Québec, il a été un éditeur chevronné. Aujourd’hui, il est chroniqueur sur le site Canoë, propriété de Québecor, où ses écrits se distinguent par le propos progressiste, ainsi que sa maîtrise de la langue française et de ses subtilités.

Mais, comme plusieurs des zélateurs de PKP, sa boussole politique s’est complètement déréglée, ainsi qu’en témoigne son article, publié sur le site Vigile (19 avril 2015), consacré à mon livre PKP dans tous ses états.

Jacques Lanctôt m’accuse, si je comprends bien le titre de son article (Un livre mesquin), de manquer de générosité, d'élévation, de largeur de vues à l’endroit de Pierre Karl Péladeau.

Plus spécifiquement, il me reproche de m’être trop « attardé » sur le « passé antisyndical » de PKP et il entreprend de replacer les conflits au Journal de Québec, au Journal de Montréal et chez Vidéotron dans la « bonne » perspective.


La novlangue de l’ère Péladeau?

Selon Lanctôt, les « employés » des deux journaux avaient des conditions qui « correspondaient à un âge d’or qui n’existait plus à l’aube du XXIe siècle », même que les « employés » des petites annonces « faisaient partie du ‘‘club des millionnaires’’ ».

La durée du conflit au Journal de Montréal serait attribuable au mirage que la CSN a fait miroiter à ses « cotisants ».

Finalement, les « employés » de ces trois entreprises auraient accepté, « après, il est vrai de longues luttes coûteuses, de réduire leurs demandes nettement exagérées ».

À remarquer le choix des mots. Les travailleurs deviennent, sous sa plume, des « employés », voire des membres d’un « club de millionnaires », et les syndiqués des « cotisants » !

Il laisse entendre que ce sont les travailleurs – pardon, les « employés » – qui auraient déclenché de « longues luttes coûteuses », dont la durée serait attribuable à leurs « demandes exagérées ». Pourtant, dans les trois cas, c’est le patron PKP qui a décrété des lock-out qui ont perduré à cause de ses propres « demandes exagérées » et de ses tactiques, comme la vente des 664 techniciens de Vidéotron à la compagnie Alentron et, surtout, au recours dans ces trois conflits à des « scabs » ou, devrions-nous plutôt dire « des employés de remplacement temporaires ».

Lanctôt conclut le volet syndical de son article en affirmant que, « pour la grande majorité des travailleurs, qui sont non-syndiqués, ces employés du Journal de Montréal, du Journal de Québec et de Vidéotron faisaient figure de privilégiés ».

Voilà le mot « travailleur » qui réapparait, mais sous la forme de « travailleurs non-syndiqués » qu’on oppose aux « employés privilégiés ».

C’est exactement le discours démagogique qu’a tenu le ministre Moreau, lors du dépôt du projet de Loi 3 sur les régimes de retraite, pour aiguiser le ressentiment des travailleurs privés de régime de retraite contre les « employés privilégiés » des municipalités.

C’est également le discours que les Coiteux, Barrette et Couillard tiennent face aux « demandes exagérées » du Front commun.

On peut légitimement se demander si Lanctôt n’est pas en train d’établir les standards linguistiques de la novlangue d’une éventuelle ère PKP!


Lointain Cuba, lointain FLQ

Lanctôt ajoute, en citant un extrait de mon livre, qu’« il est un peu risible d’affirmer que ‘‘sa fortune [à PKP] provient ultimement du travail gratuit de ses employés obtenu par l’allongement de la journée de travail ou son intensification’’ ».

Comment pense-t-il qu’il est parvenu à faire partie du « club des millionnaires » canadiens, de ce club sélect du 0,1% des plus riches, avec des revenus en 2013 de près de 8,3 millions $?

Reconnaître que le profit provient du travail gratuit des travailleurs, c’est l’abc du marxisme, un abc dont on se demande comment il peut échapper à un militant qui a passé quatre ans à Cuba!

Quelle est donc loin l’époque où Jacques Lanctôt, rédacteur du Manifeste du FLQ, défendait dans ce texte, emblématique de notre histoire de libération nationale, le droit de se syndiquer et saluait « les braves travailleurs de la Vickers et ceux de la Davie Ship », « les gars de Murdochville », « les travailleurs de la Domtar à Windsor et à East Angus », « les travailleurs de la Squibb et de la Ayers et les gars de la Régie des Alcools et ceux de la Seven Up et de Victoria Precision, et les cols bleus de Laval et de Montréal et les gars de Lapalme », « les travailleurs de Dupont of Canada », « les petits salariés des Textiles et de la Chaussure », « les travailleurs de la General Electric », avant de terminer sur cet appel aux « Travailleurs du Québec » : «  Commencez dès aujourd’hui à reprendre ce qui vous appartient ; prenez vous-mêmes ce qui est à vous. Vous seuls connaissez vos usines, vos machines, vos hôtels, vos universités, vos syndicats ; n’attendez pas d’organisation miracle ».


Notre ami à Ottawa

Lanctôt poursuit sa lecture critique de mon livre en trouvant « ridicule de feindre de ne pas comprendre qu’on puisse défendre, comme PKP l’a fait, Radio-Canada, victime de nouvelles compressions budgétaires, et dénoncer la société d’État lorsqu’elle exerce une concurrence déloyale avec l’argent des contribuables » au réseau TVA.

En fait, c’est le résumé par Lanctôt du chapitre de mon livre consacré à Radio-Canada qui est difficile à comprendre, voire ridicule.

Pourtant, il peut se résumer facilement. PKP a applaudi les coupes à la tronçonneuse du gouvernement conservateur dans les budgets de Radio-Canada, jusqu’à ce que la Société d’État soit dans une situation suffisamment précaire pour qu’elle ait l’obligation de s’associer à TVA pour la diffusion d’événements mondiaux comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du Monde de Soccer.

Jamais à court de qualificatifs, Lanctôt trouve « tout aussi grotesque d’affirmer que PKP appuie secrètement Harper et le Parti conservateur, car il en va de ses intérêts dans ses entreprises de télécommunications ».

En fait, je n’ai jamais écrit qu’il l’appuyait « secrètement ». J’ai écrit qu’il l’avait appuyé « publiquement » et qu’il a même contribué à sa caisse électorale en 2004 et 2006.

Il était reconnu par tous que Sun News et Sun Media étaient les courroies de transmission du Parti conservateur au Canada anglais.

Lors de la dernière élection fédérale, les journaux de Sun Media, alors propriété de Québecor, ont fait ouvertement campagne pour Harper, allant jusqu’à publier en page frontispice, la veille du scrutin, une photo de Harper avec ce titre « He’s our man! ».

Et toute personne s’intéressant le moindrement au domaine des télécommunications sait que le gouvernement fédéral peut faire et défaire des empires par sa mainmise sur le CRTC et son pouvoir de fixer les conditions lors de l’octroi du spectre.

Vidéotron n’aurait jamais pu concurrencer les trois Grands que sont Bell, Telus et Rogers, avec leurs 25 millions d’abonnés, si le gouvernement Harper n’avait pas décidé de favoriser des petits joueurs comme Vidéotron (630 000 abonnés) lors des enchères du spectre.

Ainsi, lors des dernières enchères, Vidéotron n’a payé que 11 cents le megahertz, alors que Telus a déboursé 3,02 $ et Bell 2,96$ le megahertz. Des représentants de Bell ont calculé que Vidéotron, qui a déboursé à cette occasion 31,8 millions $, avait ainsi bénéficié d’une subvention de 857 millions $.

Nous n’avons pas la naïveté de croire que de telles faveurs accordées par Ottawa à Vidéotron ne sont motivées que par le désir d’assurer le développement d’une « saine concurrence » dans le marché de la téléphonie.

Cette décision du gouvernement Harper est à mettre en relation avec les déclarations de PKP remettant en question « la pertinence du Bloc Québécois » et en faveur de l’oléoduc d’Énergie Est de TransCanada, deux déclarations « retour d’ascenseur » à Stephen Harper.

Enfin, Lanctôt termine son article en conseillant à ses lecteurs de lire, plutôt que mon livre, la biographie de Pierre Karl Péladeau par Frédéric Tremblay, une « biographie », dont l’auteur a lui-même reconnu qu’elle n’était qu’une « revue de presse ». Et dire que Jacques Lanctôt a déjà été éditeur !


Addendum

Dans leurs critiques, globalement positives de mon livre PKP dans tous ses états, Louis Cornellier dans Le Devoir et Réjean Parent sur son blogue du Journal de Montréal, émettaient des réserves quant à mon appréciation globalement négative du bilan de PKP dans le monde des affaires.

Mitch Garber à l’émission Tout le monde en parle et, plus récemment, Jean-Paul Gagné du journal Les Affaires ont cependant confirmé mon analyse.

Jean-Paul Gagné ajoute au bilan négatif de PKP un élément qui m’avait échappé, soit son échec dans sa tentative de concurrencer les hebdos régionaux de Transcontinental. Échec qui s’est concrétisé par la vente des hebdos régionaux de Québecor à Transcontinental.