Budget fédéral : L’austérité vient (surtout) de l’ouest!

2015/04/24 | Par Gilbert Paquette

L’auteur est président des Organisations unies pour l’indépendance. La position exprimée ici est appuyée par les quatre principaux partis souverainistes: le Parti québécois, Québec solidaire, Option nationale et le Bloc québécois.

Pour comprendre la crise actuelle des finances publiques au Québec, il faut regarder non seulement les politiques d’austérité du gouvernement Couillard, mais aussi ce qui se passe à Ottawa, où sont dépensés les quelque 50 milliards de dollars de nos taxes et impôts envoyés annuellement par les Québécoises et les Québécois au gouvernement canadien. Pendant qu’à Québec un gouvernement à courte vue sabre les services essentiels ou augmente les taxes et les tarifs, à Ottawa, on recommence à prévoir des surplus.

Nous n’allons pas du tout dans la bonne direction avec le présent budget canadien. Au contraire, les décisions canadiennes se poursuivent dans la même direction cette année, et elles vont accroître la pression déjà intolérable qui s’exerce sur les finances du Québec.

En novembre 2014, le ministre canadien des Finances estimait le surplus anticipé pour 2015-2016 à 1,9 milliard de dollars ; avant la baisse du prix du pétrole. Pour les quatre années suivantes, on estimait des surplus croissants allant de 4,3 milliards à 13,1 milliards de dollars pour 2019-2020. La part du Québec dans ces surplus (20 %) est à peu près équivalente au déficit structurel du budget du Québec. Comme entre 2001 et 2008, le gouvernement canadien voit ses revenus augmenter plus vite que ses dépenses. À Québec, c’est l’inverse.

Le partage des compétences est la source principale de ce phénomène. La charge qu’exerce l’augmentation faramineuse des coûts de la santé crée cette distorsion, qui n’ira pas en diminuant. Plutôt que de faire des bonbons électoraux, Ottawa devrait considérer le transfert de champ fiscal vers le Québec et les provinces, tel que l’a suggéré jadis la Commission sur le déséquilibre fiscal.


Des cadeaux qui coûtent cher

Pendant qu’à Québec on coupe dans le filet social des plus démunis et de la classe moyenne, les mesures du budget canadien 2015-2016 auront pour effet un manque à gagner croissant des gouvernements au profit des contribuables les plus riches. Selon l’Institut Broadbent et l’IREC, il s’agit d’une bombe à retardement qui risque de se traduire par une réduction des services publics ou une augmentation des taxes pour compenser cette perte de revenu fiscal.

 Dans le relèvement du plafond admissible au CELI, le manque a` gagner pour les gouvernements est absorbé aux deux tiers par Ottawa et au tiers par les provinces. Il pourrait être de 1,3 milliard de dollars cette année. Dans quelques années, le régime infligera des pertes de revenus de 25 milliards de dollars, estime le directeur parlementaire du budget (DPB) à Ottawa, dont 1,6 milliard par année au budget du Québec.

Toujours selon le DPB, le fractionnement du revenu, où on permet à un conjoint d’attribuer jusqu’à 50 000 dollars à son conjoint assujetti à un taux d’imposition inférieur, ne profitera qu’à 15 % des familles au Canada. Cette mesure réduira par contre les revenus du gouvernement d’environ 2,2 milliards de dollars en 2015. Elle aura aussi un effet certain sur les revenus du Québec dans la mesure où Québec suit sa tendance naturelle à s’harmoniser avec les mesures fiscales d’Ottawa.

Un exemple dramatique de ces vases communicants entre les deux budgets est fourni par le financement des dépenses de santé et d’éducation pour lesquelles le gouvernement canadien effectue des transferts aux provinces grâce à l’énorme marge de manoeuvre dont il dispose. Or, ces transferts continuent de décroître, passant de 25 % du budget du Québec à 18 % en 2009. Cette décroissance va s’accélérer avec les nouvelles mesures annoncées depuis deux ans, déstabilisant les finances du Québec dans les prochaines années.

En 2011, Ottawa a décidé unilatéralement de réduire la croissance du Transfert canadien en santé (TCS) a` compter de 2017-2018 à au plus 3 % alors que depuis 2004, la croissance moyenne a été de 6 %. Cette décision privera le Que´bec de près de 10 milliards de dollars au cours des dix prochaines années. En contrepartie, le gouvernement fédéral réalisera des économies évaluées à 31,2 milliards de dollars pendant cette même période, ce qui lui permettra d’augmenter ses surplus et d’en disposer à sa guise, notamment dans le soutien à l’industrie du pétrole et dans l’armement, lequel coûte aux contribuables québécois 4,5 milliards de dollars par année.

En 2014, une autre décision unilatérale d’Ottawa a plafonné l’indexation annuelle du Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS) à 3 % pour les années à venir. Ce faisant, cette enveloppe demeurera sous le niveau d’avant les coupes fédérales drastiques effectuées au milieu des années 1990 sur le dos des provinces. Ces coupes sont la cause directe du déficit important de nos universités, encore accru récemment par les compressions du gouvernement du Québec. Le rattrapage sur 10 ans représenterait une hausse de l’enveloppe de 3,9 milliards de dollars en 2014-2015 pour le fédéral, dont 875 millions pour le Québec, ce qui permettrait de redresser les finances des universités sans augmenter les frais de scolarité et même en les réduisant.

Même l’enveloppe de la péréquation est réduite d’année en année en regard du PIB et dans sa proportion dans le budget du Québec. En 2014-2015, elle représentait 0,85 % du PIB nominal canadien, alors que la moyenne annuelle historique depuis 1967-1968 était de 1,01 % du PIB.

En novembre 2008, le gouvernement fédéral a décidé d’imposer deux plafonds au programme de péréquation qui, depuis 2009-2010, ont fait perdre plus de 8 milliards de dollars au Que´bec. Soulignons en passant que, contrairement à ce qu’on entend du côté fédéraliste, toutes les provinces bénéficiaires de la péréquation (sauf l’Ontario) reçoivent plus par habitant que le Québec. Ce transfert de péréquation est par ailleurs annulé par le déficit du Québec dans les investissements du gouvernement canadien.

Ce n’est pas toute l’austérité qui vient de l’ouest. Une partie relève des choix néfastes des gouvernements au Québec. Mais il est certain que notre nation ne pourra reprendre son essor sans une transformation radicale du régime fiscal canadien. Cette voie étant impossible, la grande majorité de la population canadienne et les principaux partis canadiens s’y opposant, la seule voie d’avenir pour le Québec consiste à réaliser son indépendance et réunir ainsi ses deux moitiés de budget en fonction de ses besoins et de ses valeurs.