Bordel informatique : la valse des pantins se poursuit

2015/05/08 | Par Richard Perron

L’auteur est président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec


Vous êtes préoccupés par le bordel informatique qui engloutit en pure perte des millions de dollars par an ? Si oui, vous vous êtes probablement étouffés avec votre café, au matin du 7 mai dernier, en lisant ces deux nouvelles : une armée de consultants est toujours active sur des projets qui ne vont nulle part au ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI), sans oublier les déboires de la firme informatique privée EBR qui ferme ses portes après avoir été secouée par divers scandales au cours des dernières années. 

 Au MIDI, une pléiade de projets informatiques n’arrive pas à voir le jour, malgré des budgets importants et une équipe de 70 consultants payés à fort prix. Les échéanciers ne sont pas respectés et les dépassements de coût explosent. Ceci a pour résultats que les clientèles du MIDI, dont celles des nouveaux arrivants, peinent à se faire servir adéquatement. L’État gaspille ainsi l’argent durement gagné par les Québécoises et les Québécois. Pendant ce temps, une poignée de firmes privées s’engraisse, sans livrer aucun résultat tangible. Pourtant, ne sommes-nous pas en période d’austérité ?

En parallèle, la firme informatique EBR ferme définitivement ses livres après qu’une enquête de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) eut permis d’arrêter deux de ses vice-présidents. Dans ce dossier, Revenu Québec et le ministère de la Sécurité publique ont été victimes (avec des complices à l’interne) de fraude, de complot et d’abus de confiance de la part de ces sinistres individus. EBR devait pourtant fêter ses 25 ans l’an prochain, elle qui en 2014 avait était sacrée entreprise de l’année à Québec ! 

Ces deux tristes histoires mettent en lumière deux éléments fondamentaux qui ont pour effet de prolonger le bordel informatique : le recours abusif à la sous-traitance et l’absence (ou la faiblesse) de l’expertise interne en informatique au sein du gouvernement.

Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, a beau répéter sur la place publique qu’il entend réduire notre dépendance aux consultants externes dans les contrats en informatique. Néanmoins, il demeure difficile de croire à ces chimères, d’autant qu’il refuse aux syndicats l’accès au tout nouveau Conseil consultatif du gouvernement du Québec sur les technologies de l'information (TI), lequel est sensé amorcer une grande réflexion sur l’avenir des TI et formuler des recommandations à M. Coiteux.

En outre, le gouvernement a abandonné sa Stratégie de transformation et d’optimisation des ressources informationnelles, un plan couteux visant à économiser 200 millions $ par année en freinant le gaspillage informatique. Selon le Bureau d’enquête du Journal de Québec, « non seulement aucune économie n’a été réalisée, mais les dépenses ont plutôt bondi de 170 M$ entre 2013 en 2014 ». Austérité, rigueur et transparence, dites-vous M. Coiteux ?

Sauf à croire que le gouvernement veut volontairement enrichir les firmes privées en informatique, sa stratégie consistant à réduire la taille de l’État par la sous-traitance nous conduit invariablement à payer plus cher pour des services qui sont souvent de moindre qualité.

Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a pourtant déjà expliqué au gouvernement qu’il est possible de réduire sa dépendance aux consultants externes en pratiquant la « réinternalisation », comme l’a fait la fonction publique ontarienne. Depuis 2003, celle-ci a converti 1 519 emplois de consultants externes (incluant 1 335 consultants en informatique), travaillant pour le gouvernement de l’Ontario, en emplois dans la fonction publique ontarienne. Résultat de cette « réinternalisation » : des économies permanentes d'environ 60 millions $ par an. Pas mal, non ?

Comme les services sous-traités font perdre à l’État le peu d’expertise qu’il lui reste dans les domaines stratégiques, comme celui de l’informatique, la « réinternalisation » mérite sérieusement d’être considérée. Et ce, au risque de voir se perpétuer la valse des pantins qui ouvre la porte à la culture de l’impunité, faisant du Québec un terreau plus que fertile à la collusion et à la corruption.