Héritiers d’une longue tradition

2015/05/08 | Par Ginette Leroux

Titre : Le plancher des vaches
Écrit et réalisé par Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier
Avec la participation de Raphaël Bolduc, Pascale Turcotte, Céleste d’Anjou, Paul Chaperon, Isabelle Dubois et Yvon Boisvert
Musique originale : Viviane Audet, Robin-Joël Cool et Alexis Martin
Prise de son : Martyne Morin
Assistante à la réalisation : Élodie Genay
Producteurs exécutifs : Hugo Latulippe, Éric Deghelder, Michel St-Cyr, Guy Villeneuve
Production : esperamos / Distribution : Les Films du 3 mars
Année de production : 2015
Durée : 75 minutes
Date de sortie : 8 mai 2015

Artistes multidisciplinaires et complices dans la vie, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier sont, une fois de plus, réunis dans un projet de haut calibre. Le couple signe le documentaire « Le plancher des vaches », un titre évocateur.

Ils ont 15 et 16 ans. Ils font leur secondaire à la Maison Familiale Rurale de la Municipalité régionale de comté (MRC) en Estrie. En plus des cours réguliers, on y enseigne les métiers de la terre. La moitié du mois, les agriculteurs en herbe vivent ensemble dans une grande maison du village de Saint-Romain, gérée par la coopérative de solidarité de la région. Elle parraine aussi la recherche des milieux de stage chez des agriculteurs des environs où ces jeunes seront hébergés et travailleront. Le compagnonnage sera échelonné sur une année entière.

« Groundés » sur le plancher des vaches, Pascale, Raphaël et Céleste, les trois protagonistes du film, apprennent leur métier sous l’œil vigilant et les conseils judicieux de leur maître de stage, choisi pour leur passion du métier. L’esprit de solidarité, primordial à la vie rurale où chacun doit pouvoir compter sur les autres, est acquis par le partage de la vie commune dans la résidence de groupe.

Pascale est une fille de 16 ans au caractère explosif, rebelle et soupe au lait. Au régulier, l’adolescente était la risée de la classe. On la traitait de vache, à cause de son amour immodéré de ces ruminantes. Dur aussi d’entendre les « T’es conne » et les « T’es pas belle » de ses camarades. Ces quolibets laissent des traces.

Voilà pourquoi, malgré les réticences de son père qui aurait préféré voir sa fille vétérinaire, elle s’est inscrite au Centre de formation en agriculture et foresterie. La vie est dure sur une ferme. Pascale ne l’a pas facile. La jeune fille de 16 ans doit apprendre à contrôler son stress. Elle doit aussi aiguiser son sens de l’observation, être plus attentive aux consignes données.

Comme Mignonne, certaines vaches sont chatouilleuses. Ainsi Pascale doit penser à se tenir un peu en retrait pour ne pas être blessée d’un coup de sabot sur le nez ou sur le front lorsque qu’elle installe la trayeuse. La future fermière doit suivre à la lettre la méthode enseignée par Isabelle Dubois, propriétaire de Milibro, une ferme laitière d’exposition qu’elle exploite avec son mari Daniel Brochu depuis 10 ans.

Aujourd’hui, une vache va mettre bas. Pascale s’initie à la technique. Un moment d’adrénaline intense. On lui confiera la préparation du veau et son entraînement pour l’exposition annuelle.

Le père de Raphaël a quitté sa femme alors que son fils n’avait que quatre ans. Malgré le peu de contact avec son père, Raphaël n’avait, au cours des années, qu’un seul souhait en tête : aller bûcher avec lui.

Son rêve se réalise peu à peu depuis qu’il côtoie Paul Chaperon, propriétaire d’une terre à bois. « Aménagement et dorlotage de bois », tels sont les termes employés par celui qui pratique l’agriculture à l’ancienne. Chez M. Chaperon, les chevaux sont rois. Aucune machinerie moderne n’est utilisée. Une seule concession à la règle : la scie mécanique pour l’abattage des arbres.

Tous les matins à l’aurore, Raphaël retrouve les chevaux de trait à l’écurie. Il les attelle au tombereau. Cette équipée les conduira sur la terre boisée où il apprendra, non seulement à reconnaître et à nommer les arbres par leur nom, mais aussi la coupe du bois, sans oublier la débrouillardise. Survivre dans la forêt, se construire un abri avant la nuit et allumer un feu avec des écorces de bouleaux.

Selon le futur travailleur forestier, les gars de bois sacrent plus que les gars de lait. « On est plus au fun. Eux, ils travaillent tout le temps », avance celui qui affirme être mieux dans le bois qu’à l’école.

Est-ce qu’une fille de la ville peut devenir une fille des champs? Dans le cas de Céleste, on n’en doute pas une seconde. Suite à la mort de son père, survenue un an plus tôt, elle est mise en apprentissage chez Yvon Boisvert, propriétaire d’une ferme laitière de Coaticook, dans les Cantons-de-l’Est.

La douleur est encore vive. Se lever de bonne heure représente un défi, mais Céleste aime le travail à la ferme. « On a tout le temps de quoi à faire », lance celle qui, pour engourdir sa peine, redouble d’ardeur au travail. À la mécanique de la machinerie agricole, sa véritable bête noire, elle oppose patience et acharnement. Céleste est une fille courageuse et déterminée, à l’école comme à la ferme.

Dédié « aux pères », « Le plancher des vaches » est un film touchant, vrai. Julien Fontaine, l’habile directeur photo, capte les regards souvent inquiets ou contrariés, parfois tristes et fermés des jeunes de la génération IPhone. Au final, on est saisi par l’enthousiasme et la satisfaction que la réussite imprime sur des visages resplendissants, ouverts, souriants. Ce qui en dit long sur le bonheur de Pascale, Raphaël et Céleste et leurs camarades à la remise des diplômes de fin d’année.

Les enseignants pourront apprécier le modèle éducatif de la transmission des savoirs et des identités des métiers de la terre par le compagnonnage reconnu par l’Unesco, dont l’objectif premier est de choisir et de protéger le patrimoine culturel de l’humanité. Les maisons familiales rurales représentent cette famille moderne du compagnonnage.


 

Le plancher des vaches prend l’affiche dès le 8 mai aux Cinémas Beaubien et Excentris à Montréal, au Cinéma Cartier à Québec, à la Maison du cinéma à Sherbrooke.