Un journaliste de La Presse infiltré chez Walmart

2015/05/28 | Par Pierre Dubuc

Walmart est à notre époque ce que General Motors était aux années 1950, à cette différence près que, si GM payait ses employés pour qu’ils puissent acheter ses voitures, Walmart paye ses employés pour qu’ils soient obligés de faire leurs achats dans ses magasins, raconte Hugo Meunier dans Walmart, journal d’un associé (Lux).

Pour la rédaction de ce petit livre, le journaliste de La Presse a travaillé pendant trois mois dans un Walmart, au nord de Montréal, et s’est rendu à Bentonville en Arkansas, lieu de naissance de l’entreprise, où se trouve toujours son siège social.

Walmart est l’entreprise phare du capitalisme de ce début de XXIe siècle par l’extrême sophistication informatique de sa gestion et le précariat dans lequel est confiné le personnel de ses succursales.


Une entreprise dominante

Dès les années 1980, Walmart s’est payé, au coût de 24 milliards $, un réseau de satellites privés pour assurer un contact permanent entre chaque succursale et le siège social. Cela permet une gestion constante du flux de marchandises, partout à travers le monde, et jusqu’au nombre de produits scannés à l’heure par chaque caissière.

Walmart est adulé, dans le milieu des affaires, pour sa réussite économique. En 2013, elle a enregistré des profits nets de 17 milliards $. La fortune des six héritiers de l’empire correspondait, en 2007, aux revenus totaux de 30% des familles américaines les moins nanties.

Mais Walmart est surtout célébrée parce qu’elle permet aux autres entreprises de maintenir leurs salaires le plus bas possible en réduisant le coût de la vie des familles ouvrières. L’entreprise s’installe dans les quartiers et les régions moins riches et on a calculé qu’elle faisait économiser 100 milliards $ par année aux consommateurs américains, soit environ 600 $ pour une famille moyenne.


L’infiltré et les « associés »

L’essentiel du livre d’Hugo Meunier est consacré à son « infiltration » dans le Wallmart de Saint-Léonard, où il décrit avec beaucoup d’humanité, d’empathie et d’humour son travail, ses relations avec les autres « associés » et la clientèle.

L’attitude étonnante des clients de Walmart, telle que décrite par Hugo Meunier, montre qu’ils ne sont pas dupes. Ils expriment volontiers leur colère lorsque les produits annoncés en vente ne sont plus disponibles sur les étagères et ne se gênent pas pour ouvrir les boîtes avant d’acheter ou de goûter aux produits alimentaires, en se justifiant : « Ben voyons, vous faites de l’argent en masse icitte! »

Pour « encadrer » cette clientèle anarchique, Walmart a emprunté aux entreprises coréennes un modèle de gestion du personnel où les employés deviennent des « associés ».

Au-delà du ridicule cri de ralliement matinal quotidien (Donnez-moi un W!, Donnez-moi un A!, etc.), la motivation principale des employés, rémunérés au salaire minimum ou un peu plus, s’obtient principalement par la promesse d’un bonus annuel.

À chaque matin, raconte Meunier, lors de la réunion des « associés », on compare le chiffre d’affaires de la veille à celui de l’année précédente à pareille date, même si ce n’est pas le même jour de la semaine. Le message est passé que des profits inférieurs sont susceptibles d’influencer à la baisse le bonus annuel.

Meunier a été témoin qu’« un cadre a invité les employés à aller porter leur manteau au vestiaire AVANT de puncher. Faire le contraire constituerait un vol de temps ET une perte de productivité, donc une baisse éventuelle du bonus ».

En cas de blessure, on déconseille aux employés d’aller cogner à la CSST, parce que Walmart va contester systématiquement toutes ses décisions et « que si Walmart avait à débourser quelque chose, c’est le bonus de tout le monde qui écoperait ».

Mais, soyons rassurés, les employés peuvent devenir de véritable « associés ». Walmart leur offre de prélever de l’argent chaque mois sur leur paye pour acheter des actions de l’entreprise. L’entreprise verse 15 cents pour chaque dollar versé en action par l’employé.


Le party

Le livre du journaliste Hugo Meunier est captivant, à cause de la qualité de l’écriture et du témoignage, mais aussi par la très belle relation de solidarité qu’il a développée avec ses collègues du Wallmart, comme en témoigne cet extrait de la conclusion.

« Un échange de courriel entre les employés de La Presse me met au courant d’un débat qui fait rage au journal. L’organisateur du somptueux party de Noël a décidé de louer un local dans un édifice qui abrite un célèbre bar de danseuses nues. Est-ce éthique de boire du vin et de manger de bonnes petites bouchées dans un tel endroit?

« Mes collègues associés, eux, mangent du surgelé tous les midis. Ils n’ont pas le loisir de partager en groupe leur cas de conscience, de remettre en question une quelconque décision. Ils n’ont souvent rien d’autre à se mettre sous la dent que le frein qu’ils rongent. Plusieurs ont l’âge de ma mère, ils prennent des pauses pour souffler un peu en grimpant les escaliers qui mènent au magasin, leurs mains abîmées agrippent la rampe en tremblotant. Mais je tiens à rassurer mes amis associés : s’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts, mes camarades journalistes participent à une guignolée des médias pour leur venir en aide. »

Le syndrome de Stockholm, s’est-on sans doute dit à La Presse en lisant cet extrait.

Walmart, journal d’un associé par Hugo Meunier, Lux, 2015, 180 pages.