La succession royale et la constitution canadienne

2015/06/01 | Par André Binette

L’audition du procès débutera lundi prochain, 1er juin, au palais de justice de Québec (salle 3.44) devant le juge Claude Bouchard de la Cour supérieure, et ce, en après-midi en raison du témoignage par vidéoconférence d’experts étrangers (Australie, Royaume-Uni) qui contraint à modifier l’horaire courant du tribunal.


Les parties en présence :


Geneviève Motard et Patrick Taillon
Professeurs de droit constitutionnel à l’Université Laval
(Me André Jolicoeur, Me Jean Fortier et Me André Binette)

 vs 

Procureur général du Canada
(Mr David Lucas et Me Warren Newman)

et

Le sénateur Serge Joyal
Intervenant au soutien du procureur général du Canada

Procureur général du Québec
Intervenant au soutien de la requête
(Me Dominique Rousseau)

Canadian Royal Héritage Trust
Intervenant au soutien de la requête
(Me Michel Boulianne)


Les faits :

En 2011, au Sommet de Perth, les 16 royaumes du Commonwealth ont convenu de moderniser les règles de succession au trône afin de permettre au premier-né de succéder à la Couronne sans égard au genre et d’éliminer l’incapacité du Souverain à régner résultant d’un mariage avec un catholique (tout en maintenant l’interdiction d’être lui-même catholique).

Pour donner suite à cet engagement, le Parlement fédéral a adopté, en 2013, une loi « d’assentiment » à la modification des règles de succession royale. Par cette loi, le législateur prétend ne pas modifier le droit canadien : il ne fait que « consentir » aux changements adoptés par le Parlement britannique.


L’objet du litige :

Comme dans l’affaire de la nomination du juge Nadon ou dans celle de la réforme du Sénat, où le Québec a eu gain de cause l’an dernier en Cour suprême, l’affaire de la succession royale vise à déterminer si Ottawa peut procéder unilatéralement, c’est-à-dire sans la participation des provinces, à la mise en œuvre de ce type de changement.

Selon le gouvernement fédéral, la modification faite par le Parlement britannique s’applique automatiquement en droit canadien. Suivant ce point de vue, il serait inutile pour une telle réforme de modifier la Constitution du Canada puisque cette dernière comprendrait une règle non écrite selon laquelle le Roi du Canada est automatiquement le Roi du Royaume-Uni.

Patrick Taillon et Geneviève Motard, le gouvernement du Québec ainsi que l’organisation monarchiste Canadian Royal Héritage Trust prétendent au contraire que le Canada, étant un pays souverain et ayant rapatrié sa Constitution, doit modifier le droit canadien de la succession royale afin de mettre en œuvre cette réforme. Leur position se résume ainsi :

  • Il existe un droit canadien de la succession royale : celui-ci permet de déterminer qui peut légalement prétendre et accéder au poste de chef de l’État canadien.

  • De 1763 à 1931 : ce droit était initialement celui de l’Empire britannique, modifiable uniquement par le Parlement impérial.

  • De 1931 à 1982 : la Couronne s’est « canadianisée » à la suite de l’accession du Canada à l’indépendance politique. Toutefois, seul le Parlement britannique, à la demande et avec le consentement des autorités canadiennes, pouvait modifier les règles de succession, et ce, jusqu’à ce que le Canada ait rapatrié sa Constitution.

  • De 1982 à aujourd’hui : l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 a fait perdre au Parlement britannique toute compétence sur ce droit canadien de la succession royale qui est dorénavant modifiable suivant la procédure de l’alinéa 41 a) qui impose le consentement unanime du fédéral et des provinces pour toute modification à la « charge de Reine ».


Les répercussions possibles de cette affaire advenant que la loi canadienne soit déclarée inconstitutionnelle :

Sur le plan des relations fédérales-provinciales :

  • Nouvelle ronde de négociations constitutionnelles entre le fédéral et les provinces portant sur la charge de Reine, de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur en vue de conserver l’allégeance commune;

  • Augmentation du rapport de force du Québec sur le plan constitutionnel.

Sur le plan des relations avec les autres royaumes du Commonwealth :

  • Nécessité pour le Canada de respecter les engagements internationaux pris à l’occasion du Sommet de Perth de 2011;

  • À défaut de modification constitutionnelle, la charge de Reine du Canada serait éventuellement assumée par une personne physique différente de celle assumant la charge équivalente dans les autres royaumes du Commonwealth.